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« que tu peux voir et comprendre, c'est le degré où « tu peux contempler Dieu en toi'! ce sont des « vérités inessentiées, consubstanciées, incarnées à « ton âme2. » Ce sont des simulacres, des ressemblances, des images de ce qui est en Dieu (simulacra, similitudines, et quasi imitamenta), dit saint Grégoire de Nysse; et Thomassin insiste et appelle cette région de l'intelligible, le simulacre de Dieu et sa brillante imitation (Dei simulacrum et divinitatis fulgidissimum imitamentum). Nous retrouvons donc encore bien ici « ces fantômes di<< vins et ces ombres immuables de Celui qui est << éternellement. » Thomassin cite et répète les mots mêmes de saint Augustin (spectamina illa æternarum rationum), et il résume ainsi sa description du degré inférieur de l'intelligible : « Il « faut, dit-il, maintenir avec ténacité (mordicus) <«< ces deux choses, savoir que ces spectacles im<< muables de principes et de règles éternels qui « ne cessent d'éclairer l'âme raisonnable, et lui <«< sont comme naturellement liés, que toutes ces

1 Quod a te capi et comprehendi potest, Dei contemplationis in te modus est. Lib. v, cap. 11, § 18.

2 Naturæ quasi inessentiaverit, sive consubstantiaverit et incorporaverit. Ibid.

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<< formes incorruptibles de sagesse, de justice, de beauté, sont en Dieu, vivent en Dieu, rayonnent « de cette source des idées et des types, et se gra<< vent dans l'âme raisonnable, sans toutefois y ha<«< biter (non immigrando sed inscribendo), de sorte << que quand on demande si l'on voit les principes <«< immuables ou en Dieu ou dans l'âme, il faut ad« mettre l'un et l'autre en même temps, en ce sens « qu'on sache bien qu'ils ne peuvent apparaître « dans l'âme que si les idées éternelles qui sont en « Dieu se gravent dans l'âme, et qu'on ne présume << pas les voir en Dieu, si ce n'est à un si incroya«< ble intervalle que toute la vue en devienne énig<< matique et symbolique'. »

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En un mot, ce degré, et c'est ce que nous répétons toujours, avec tous ceux qui connaissent quelque chose de l'intérieur de l'âme, ce degré de l'intelligible, c'est un miroir dans lequel on voit Dieu par ses rayons (nimirum hæc specula sunt, in quæ radios suos Deus ejaculatur, in quibus videtur)2.

Mais qu'est alors l'autre degré du monde intelligible, celui où l'on ne voit plus seulement que Dieu est, mais ce qu'il est, où on le voit lui-même : connaissance que l'impie ne saurait avoir, tandis

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qu'il est capable de l'autre? Cette connaissance, dit Thomassin, est surnaturelle, l'autre naturelle seulement. Il cite et approuve l'auteur cité par saint Bernard, qui enseigne : « que la connaissance « de Dieu par les lois immuables de la sagesse « et de la vérite est naturelle; mais que savoir ce qu'est Dieu mème est un don particulier de grâce « divine: que ces deux degrés sont distincts, et que <«< dans le moins élevé on ne sait ce qu'est Dieu en « lui-même 1. Mais savoir ce qu'est en lui-même <«< Celui qui est, cela n'est pas possible à moins qu'on n'y parvienne par le sens de l'amour lu<<< mineux ?! »

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Ce sont donc bien toujours ces deux régions distinguées par Platon, saint Augustin et saint Thomas d'Aquin, dans l'une desquelles on voit le simulacre ou l'ombre de Celui qui est, pendant que dans l'autre, l'âme contemple Celui qui est.

Mais nous disions que Thomassin fait de cette distinction une heureuse et féconde application à la plus haute théologie. Nous ne connaissons pas sous ce rapport de plus admirable théologien. A ses

1 Lib. IV, cap. XI, § 11.

2 Ipsum vero quod est idipsum id quod est, cogitari omnino non potest, nisi quantum ad hoc sensu illuminati amoris attingi potest. Ibid.

yeux, l'une des régions est celle du Verbe universel tel qu'il éclaire naturellement les hommes venant en ce monde; l'autre est celle du Verbe incarné se donnant surnaturellement pour le salut du monde. L'une c'est la raison, l'autre c'est le Christ. Comme Malebranche, il connaît le rapport de ces deux noms. Il fait voir l'identité des deux dans leur principe, c'est-à-dire en Dieu même; puis il nous montre leur rapport, leur nécessaire rapprochement, et surtout le moyen et la condition du passage de l'un à l'autre.

C'est ce dont il sera parlé en son lieu.

BOSSUET.

I.

Dans ce grand mouvement de l'esprit humain qui constitue le xvir siècle, Bossuet a manifestement joué un moindre rôle comme philosophe que comme théologien. Bossuet, comme tous les grands esprits, ne faisait qu'un cas médiocre de ce qu'il appelait le philosophique pur. Il n'y a pas un esprit du premier ordre, ni Platon, ni Aristote, ni saint Augustin, ni saint Thomas d'Aquin, ni Descartes, ni Leibniz, qui ait jamais prétendu à la Philoso

phie pure. La Philosophie pure est une invention des professeurs et des sophistes. Les esprits vraiment grands et pratiques aiment et cherchent simplement la vérité, en tout sens, et sans abstraction. Tel fut tout particulièrement Bossuet. Bossuet cherchait la vérité partout, en théologie, en philosophie, en histoire, en physiologie. Il avait à un haut degré l'instinct de la science comparée et de l'unité de l'esprit humain. Il applique et compare la Théologie à tout, et toutes choses entre elles. Ses idées sont comme son style qui, dit Joubert, emploie tous nos idiomes, comme Homère tous les dialectes. Tous les temps et toutes les doctrines lui étaient sans cesse présents, comme toutes les choses et tous les mots.

L'esprit humain, dit Pascal, est comme l'esprit <«< d'un homme universel en qui les effets du rai« sonnement augmentent sans cesse, parce que « toute la suite des hommes, durant le cours de << tant de siècles, doit être considérée comme un « mème homme qui subsiste toujours et qui apprend continuellement. » Or les esprits tels que Bossuet, Fénelon, Leibniz, et quelques autres, sont les liens réels de cette unité idéale; ils portent plus que les intelligences ordinaires, la vie et l'unité du grand esprit humain; ils l'expriment et la développent, souvent sans le savoir.

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en eux,

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