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Paris et entra dans le nouvel Institut, aux applaudissements de ses collègues. Paisible sous le directoire, il reprit le cours de ses travaux. En 1800, il fut nommé conservateur de la Bibliothèque nationale, qu'il sauva de la spoliation en 1815. En 1802, il fut chargé de reconstituer l'Institut, pendant qu'il se distinguait, au tribunat, par des rapports très-étendus sur les finances. Homme d'Etat, il n'oubliait pas les lettres, et ce fut lui qui rédigea le rapport sur les progrès de l'histoire et de la littérature ancienne depuis 1789 jusqu'à 1808, travail demandé par le gouvernement aux différentes classes de l'Institut, pour servir de base à la distribution des prix décennaux. — La restauration ne l'honora pas moins que l'empire. Chevalier de la légion d'honneur, Louis XVIII le fit officier du même ordre et lui donna le cordon de Saint-Michel; Charles X le créa baron à l'occasion de son sacre. Il était âgé de quatre-vingts ans lorsque l'Académie française l'appela dans son sein. M. Villemain, qui n'en comptait guère que trente, dut le recevoir en qualité de directeur, et lui répondit avec le respect dû à sa vie et à sa vieillesse. Malgré une constitution toujours délicate, il vécut plus de dix ans encore. Peu de temps avant sa mort, il témoignait quelque inquiétude religieuse : « Rassurez-vous, lui répondit un « ami, faisant allusion à sa puissance persuasive, si Dieu vous entend << un quart d'heure, vous êtes sauvé ! »

Ce fut encore un témoin actif de nos troubles révolutionnaires qu'on lui donna pour successeur, mais, certes, moins pur et moins honorable dans une vie qui n'a guère été moins longue. — Né à Versailles en 1768, Pierre-François Tissot était fils du tapissier de Mesdames, tantes du roi, qui environnèrent de leur bonté protectrice sa famille et sa jeunesse. Orphelin de bonne heure, il fut placé à Paris dans une maison d'éducation dont les élèves suivaient les cours de Montaigu. Après des études irrégulières et incomplètes, il entra dans un atelier de peinture, puis chez un procureur au Châtelet, et il s'y lia avec des rapins et des clercs destinés à figurer plus tard avec lui dans les excès révolutionnaires. Nourri dès lors de tout ce qu'il y avait d'excessif dans le langage, de déclamatoire dans les sentiments de l'époque, épris de tous les programmes de philanthropie, de liberté illimitée qui circulaient partout, il brûlait de voir passer dans les faits toutes ces théories filles de Rousseau. « Il ne voulait rien moins, a dit « M. de Salvandy, que le Contrat social dans toute sa vérité. » Quel rôle a-t-il joué lorsque la révolution éclata? Dans ses écrits histori

ques, il ne s'est présenté que comme un témoin des faits qu'il raconte, et il a nié sa participation aux crimes; mais ses récits mêmes nous montrent en lui un témoin si bien informé, qu'il a dû être nécessairement au premier rang de l'horrible spectacle. Or, être au premier rang comme spectateur, c'était y être aussi comme complice. S'il n'a été un des grands acteurs dans aucune des scènes terribles de ce grand drame, on ne saurait nier qu'il n'y ait été autre chose qu'un comparse. Membre, avec son beau-frère Goujon, des clubs de Versailles et de Sèvres, il prit une part quelconque aux mesures cruelles qui en sortirent, bien loin de s'être opposé en homme honnête et courageux, comme il l'a prétendu, aux ordres de massacres et de s'être jeté au-devant des assassins. La prise de la Bastille, les journées d'octobre et de septembre, le 10 août, toutes ces scènes dont il s'est fait plus tard l'apologiste le virent au moins comme agent subalterne. Il recueillit le fruit de sa complicité. Nommé secrétaire de l'administration des subsistances au ministère de la guerre, il accompagna son beau-frère Goujon, devenu conventionnel, à l'armée de Rhin et Moselle. Rappelés l'un et l'autre après le 9 thermidor, comme appartenant au parti vaincu, ils furent mis en arrestation, puis bientôt délivrés sur la recommandation de leurs amis. Après la mort de son beaufrère, condamné comme un des assassins de Ferraud, Tissot perdit ses emplois et son crédit. Il se glissa pour vivre dans les bureaux de la police générale, qui fit de lui un agent confidentiel et un secrétaire intime. Nommé député en 1798, son élection fut annulée, et en même temps il perdit son emploi au ministère de la police. C'est alors qu'il chercha dans les lettres, dit-il, une compensation digne de lui. De là, en effet, date sa carrière littéraire. Il publia sa traduction en vers des Bucoliques de Virgile, au moment même où Delille annonçait sa traduction de l'Enéide. Grâce à ses amis qui le prônèrent dans tous leurs journaux, il n'eut pas à souffrir de la perspective d'un tel concurrent, et son livre eut le succès dont, à tout prendre, il était digne. Arrêté encore après le 3 nivôse et menacé de la déportation, il fut sauvé par la protection de Fouché, dont il devint, au prix d'un bon traitement, l'espion secret auprès des gens de lettres. C'est en cette qualité qu'il s'introduisit auprès de Delille, dont il capta la confiance en conquérant les bonnes grâces de la Xantippe que le pauvre poëte appelait son Antigone:

Antigone à son gré
Recevant en son bouge

Son époux en bonnet carré

Et son amant en bonnet rouge,

a dit le chevalier de Langeac. De là sa fortune littéraire, de là aussi sa fortune plus solide. S'étant introduit vers le même temps dans l'administration du Mécène de l'époque, de Français de Nantes, il put cumuler vingt mille francs de revenu, auxquels s'ajoutèrent les six mille francs de la suppléance de Delille dans la chaire de poésie latine au Collège de France. L'ancien jacobin était opulent! Mais 1814 et les Bourbons vinrent lui fermer plusieurs de ces sources de richesse. Il chercha un supplément dans les journaux le Pilote, la Minerve, le Constitutionnel, auxquels il prit une part active; et quand plusieurs de ces journaux, dont il était le propriétaire ou l'actionnaire, disparurent, il trouva une compensation dans une entreprise d'annonces de librairie. Malgré tout, la restauration ne lui était pas un régime favorable. Ce fut bien pis lorsque le ministère, mécontent de voir 1: successeur de Delille faire de Virgile un thème à ses déclamations libérales, lui enleva sa chaire et son traitement. Heureusement pour lui arriva 1830, sa restauration, comme il disait, qui le réintégra dans cette chaire de Delille, où il reprit ses leçons à la fois virgiliennes et démocratiques. Tous les journaux lui rendirent en éloges l'arriéré de son silence forcé, le proclamèrent professeur illustre, orateur éloquent, et lui ouvrirent ainsi l'Académie française. A cette époque, ses titres littéraires étaient, outre ses Bucoliques, une traduction des Baisers de Jean Second, poëte latin du xvr siècle, déjà traduit par la muse cithéréenne de Dorat. C'est dans l'étude de ces poésies érotiques, auxquelles il joignit quelques poésies originales, qu'il s'était reposé, au sortir de la terreur, de ses œuvres révolutionnaires. Il avait encore publié les Trophées des armées françaises, les Fastes civils, des Mémoires historiques sur Carnot: tout cela fort médiocre. Son œuvre capitale était ses Etudes sur Virgile, auxquelles, à en croire ses prospectus, rien ne pouvait être comparé dans l'antiquité ni dans les temps modernes ; travail immense, ajoutait-il, qui devait recommander son auteur à la dernière postérité. L'Université, en adoptant l'ouvrage en 1830, poussa moins loin l'hyperbole de la louange; toutefois, elle y vit, avec M. Villemain, son rapporteur, un commentaire, non pas philologique et minutieux, mais littéraire dans le sens le plus complet du mot, où Virgile était apprécié en lui-même, comparé avec Homère et toute la grande école épique, et même avec toutes les épopées modernes, éclairé par d'ingénieux parallèles avec

ce que la poésie, l'histoire et l'éloquence de tous les temps avaient produit de plus beau. Ces Etudes sur Virgile sont le seul ouvrage de Tissot qui mérite de lui survivre. Son Histoire de la révolution, qu'il publia depuis son entrée à l'Académie, n'en est qu'une détestable apologie; ses Leçons et modèles de littérature française, publiés à peu près en même temps, ne s'élèvent pas au-dessus de la médiocrité ordinaire de ces sortes de compilations. Du reste, ni l'un ni l'autre de ces deux ouvrages ne réussirent. L'Histoire de la révolution n'a pu se vendre même au rabais qui a valu aux Leçons de littérature quelques acheteurs. Quand Tissot mourut en 1854, on lui fit de trop pompeuses funérailles. M. de Salvandy, qui portait la parole au nom de l'Académie, mit seul quelque réserve dans les éloges officiels prononcés sur sa tombe. Il lui marqua trop honorablement sa place « entre Delille, d'un côté, Jouy, Etienne, ses amis, de l'autre ; « mais, ajouta-t-il, on peut dire qu'il l'aurait tenue plus grande, « avec tout ce qu'il avait de vive imagination, d'instruction clas«sique et de talent d'écrire, si des règles plus fermes et plus << hautes avaient gouverné son esprit et sa vie. » Dans cette phrase, le nom de Delille est moins bien placé que dans une autre du même discours, où l'orateur l'enchâsse pour protéger Tissot, dit-il, contre de sinistres souvenirs. Ce fut encore M. de Salvandy qui eut à prendre la parole dans la séance où l'on donnait Mgr Dupanloup pour successeur à Tissot. Le directeur et le récipiendaire parlèrent peu de l'auteur des Etudes sur Virgile, et cherchèrent à échapper à la difficulté du sujet par d'habiles réticences. Mgr Dupanloup se plaça sur le terrain neutre de Virgile. « Je n'aime point la contention avec les vivants, dit-il; « j'en aurais horreur avec ceux qui ne sont plus. J'ai cherché dans << M. Tissot ce qui aurait pu être notre rapprochement possible, s'il « m'avait été donné de le rencontrer en ce monde. » Puis l'évêque se plut à imaginer ce qu'aurait pu être, entre lui et Tissot, une conversation d'abord virgilienne, et où ils auraient pu aboutir en partant, par exemple, du Pollion: « Nous eussions retrouvé peut-être comme << un pressentiment du christianisme qui allait paraître; et, au mi<«< lieu de ces épanchements littéraires, peut-être quelque chose de « plus sérieux et de plus utile eût fini par se mêler à nos entretiens. >> M. de Salvandy fut plus bref encore, mais plus ferme : « A l'époque, « dit-il, où resta vacante la place que M. Tissot avait occupée vingt «< ans parmi nous, l'Académie prononça un jugement réfléchi de la <«< plupart de ses travaux, quelquefois ouvrages considérables, trop

« souvent jets rapides sans lien entre eux, tous attestant ce fruit heu« reux des bonnes études de la jeunesse, qui, après le naufrage de « théories et d'illusions fatales, s'étaient retrouvées tout à coup à « ses côtés, comme de fidèles et salutaires compagnes, pour offrir un « sûr abri au reste de sa vie. Tout le monde a remarqué votre atten«tion à saisir le seul point commun qu'il y eût entre lui et vous, dans « cet amour vrai des lettres, qui a été, selon votre juste expression, « l'honneur de sa vie, qui n'est qu'une distinction de la vôtre. » C'était assez faire entendre que, à part l'amour des lettres, rien n'était honorable dans la vie de Tissot. A d'autres de dire ce qui convenait le mieux, en cette circonstance solennelle, en ce jugement des morts, de la charité de l'évêque ou de la juste sévérité de l'honnête homme. U. MAYNARD.

1. ALGER, Etude, par M. Ernest FEYDEAU. 1 volume in-12 de 288 pages (1862), chez Michel Lévy frères; — prix : 3 fr.

L'auteur de ce livre s'est fait, dans ces dernières années, un grand renom, et il est peu de personnes qui, par expérience ou par la critique des journaux, ne le connaissent comme romancier. Ses productions en ce genre, Daniel, Fanny surtout (Voir p. 195 de notre t. XX, et p. 212 de notre t. XXIII), ont obtenu une trop fâcheuse célébrité, dont le goût du temps, l'amour des romans porté à la fureur, n'a pas laissé d'être complice. Quel bon livre de nos jours a égalé le succès de Fanny (dix-huit éditions en quelques mois!), succès prolongé, mais heureusement éphémère, flambeau qui a brûlé vite tout ce qu'il avait de substance, et qui, aujourd'hui éteint, ne se ranimera plus, du moins on peut l'espérer ?

Parler ainsi n'est pas faire un mauvais souhait à M. Feydeau. L'auteur de cette œuvre plus que légère est aussi, par le plus singulier contraste, un écrivain sérieux, érudit, un archéologue instruit, qui, après avoir employé de longues années à étudier les usages funèbres de l'antiquité, a consigné le résultat de ses études dans un grand ouvrage avec planches dont un volume a paru, et dont l'autre est attendu. Or, c'est, autant qu'on en peut juger par un mot de sa dédicace, dans le but de continuer ce grand travail, qu'il a été chargé d'une mission en Algérie, et qu'il a ainsi trouvé l'occasion de publier l'étude, - car il tient à ce mot, dont nous avons à rendre compte. Ses romans sont des études, études de mœurs, et de mauvaises mœurs,

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