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Claude Favre de Vaugelas, baron de Péroges. 1585 1634 1634 1650

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Nul, plus que Vaugelas, n'a été prédestiné à la vie académique. Il était fils de ce président Antoine Favre, qui, avec saint François de Sales, fonda, vingt-sept ans avant la naissance de l'Académie française, l'Académie florimontane, dont l'emblème était un oranger en fleur. En sa jeunesse, dans la maison de son père, il avait assisté, chaque semaine, à quelqu'une de ces séances où François de Sales fournissait les fleurs et le grave président les fruits à l'arbre emblématique. Second des six enfants d'Antoine Favre, il prit de sa mère le nom de Vaugelas, et reçut de son père la baronnie de Péroges, au pays de Bresse, berceau de la famille. A la maigre baronnie s'ajoutait pour lui une pension de deux mille livres que son père lui avait obtenue de Louis XIII, au voyage qu'il avait fait à Paris, en 1619, à la suite du prince de Savoie venant épouser la fille de Henri IV, Christine de France. La pension, nous le verrons, fut toujours mal payée : première cause d'une constante détresse. De bonne heure, Vaugelas vint en France, où il s'attacha à la cour. A la mort de son père, en

XXIX.

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1624, il était gentilhomme entretenu de la maison du roi. Il passa ensuite, avec le titre de chambellan, au service de Gaston, duc d'Orléans, qu'il accompagna en toutes ses retraites hors de Paris et du royaume. Jamais, toutefois, il ne prit part aux affaires politiques. Bien fait de sa personne, gentilhomme de belle physionomie, d'un accueil agréable, d'une exquise politesse, d'une conversation charmante, il ne profita pour sa fortune d'aucun de ses avantages, et demeura toujours le plus pauvre des courtisans. Sa pension suspendue, et réduit aux minces revenus de sa baronnie, il dut accepter pour vivre la charge de gouverneur des enfants de Mme de Carignan, que les infirmités de ses élèves et les exigences de la princesse lui rendaient bien pénible. Au-rapport de Tallemant, Mme de Rambouillet disait : « Quelle des<«< tinée pour un homme qui parle si bien et qui peut si bien ap«prendre à parler, d'être gouverneur de sourds et muets! » Un de ces élèves, néanmoins, n'était pas muet, mais sa fantasque mère ne voulait pas qu'il parlât: c'était le futur prince Eugène, dont Vaugelas, sans doute, pressentit moins alors la destinée que plus tard Louis XIV. Ainsi vécut Vaugelas, toujours pauvre, mais honnête. Sa pauvreté même lui est un titre d'honneur, puisqu'il lui aurait été si facile d'en sortir en quittant les voies honorables. Aussi, tous les contemporains ont rendu hommage à sa vertu. Une femme illustre, peutêtre la marquise de Rambouillet, disait au P. Bouhours : « Ce que « j'estimais le plus en lui, ce n'est pas le bel esprit, la bonne mine, «l'air agréable, les manières douces et insinuantes, mais une probité «exacte et une dévotion solide. Je n'ai jamais vu un homme plus « civil et plus honnête, ou, pour mieux dire, plus charitable et plus « chrétien. » Avec ces qualités sociales, il était trop souvent condamné à une cruelle solitude. « Il se tenait caché comme un hibou, « dans un petit coin de l'hôtel de Soissons, pour éviter les poursuites « de ses créanciers, » dit Vigneul-Marville. C'est à l'hôtel de Soissons qu'il demeurait, et c'est là qu'il mourut en 1650, victime, suivant Tallemant des Réaux, de Mme de Carignan. « C'est elle, dit-il, <«< qui a fait mourir ce pauvre M, de Vaugelas, à force de le tourmenter « et de l'obliger à se tenir debout. » Il mourut aussi d'un abcès à l'estomac, dont il souffrait depuis plusieurs années. « Vous voyez, mon << ami, dit-il à son valet effrayé, ce peu que c'est que l'homme. » Ce fut sa dernière parole.

Vaugelas n'a été qu'un homme de lettres, ou plutôt qu'un amateur de beau langage. C'est cette passion unique, et non l'ambition, qui l'at

tira à Paris, où il venait chercher une société polie et bien parlante. Le nom de son père, ses qualités personnelles le firent admettre aussitôt à l'hôtel de Rambouillet, dont il devint l'oracle. Il se lia avec tous les illustres du temps, Chapelain, Conrart, d'Ablancourt, Patru; mais son oracle à lui, ce fut l'évêque Coëffeteau, dont l'histoire romaine était alors, à cause de sa méthode et de son style clair, coulant, net et précis, un des modèles de la langue. Il ne jura plus que par Monsieur Coeffeteau, hors de qui il ne pouvait trouver de beaux mots ni de phrase bien faite. Balzac écrivait à ce propos : « Au jugement de « M. Vaugelas, comme il n'y a point de salut hors de l'Eglise romaine, il n'y a point aussi de français hors de l'histoire romaine. »> -C'était surtout un travail de style qui se faisait alors, grâce au goût modeste et intelligent de nos premiers écrivains et au bon génie de notre littérature. On a dit souvent la pensée avant les mots; en France, les mots sont venus avant la pensée qui, à sa naissance, a trouvé de quoi se couvrir et se parer. Après le xvi° siècle, âge d'érudition, la pensée française n'était pas encore éclose: on pensait par Athènes, par Rome, par l'Italie, non par soi: il fallait d'abord la langue nationale, condition essentielle de la pensée nationale. Nos premiers écrivains ont donc eu un instinet admirable: ils ont commencé par nous apprendre à parler; ils ont travaillé au vêtement de la pensée future, semblables à ces mères qui préparent à l'avance le costume de l'enfant qui va naître. De là le grand nombre des traducteurs à cette époque. On prenait la pensée d'autrui pour n'être pas distrait, par la recherche de l'idée, du travail de l'élocution.

Tel fut le rôle de Vaugelas, des sociétés littéraires du temps et de la naissante Académie. Homme de cour et homme du monde, il voyait le vrai langage dans ces nobles régions où Malherbe transportait alors la nouvelle poésie; étranger, il étudiait le français comme une langue savante et sans y admettre d'idiotismes provinciaux. C'est ce culte de la langue qui attira sur lui les regards de l'Académie française, car il n'avait encore rien publié lorsqu'il y fut admis, lui vingt-deuxième. Or, on sait que l'Académie, à sa naissance, se résolut à rédiger une grammaire, une rhétorique, une poétique, et à dresser un dictionnaire de la langue. Sur tout cela, Vaugelas offrit à l'Académie les observations qu'il avait déjà faites, et l'Académie ordonna qu'il en conférerait avec Chapelain, et que tous deux donneraient des mémoires sur le plan et la conduite du travail. Vaugelas ne rédigea que de courtes remarques, qui embrassaient le triple projet d'un dictionnaire,

d'une grammaire et d'une sorte de rhétorique. L'Académie voulait d'abord se borner au dictionnaire, au sujet duquel le plan plus développé de Chapelain prévalut. Mais elle choisit Vaugelas pour diriger le travail, et, afin qu'il pût s'y livrer tout entier, elle obtint de Richelieu le rétablissement de sa pension, dont il n'était pas payé depuis dix ans. A cette occasion, Vaugelas alla remercier le cardinal, qui lui dit en souriant : « Eh bien, Monsieur, vous n'oublierez pas du moins dans « votre dictionnaire le mot de Pension. Non, Monseigneur, ré«pondit le gentilhomme avec plus de délicatesse, et moins encore « celui de Reconnaissance. » Du reste, il fut enchanté de Richelieu, car, au moment même, Chapelain écrivait à Balzac : « Hier et aujour« d'hui, M. de Vaugelas a vu Son Eminence, qui l'a caressé et ac« cueilli de telle sorte qu'il ne tient pas dans sa peau. »>

Voilà donc Vaugelas, un enfant de la Savoie, chargé du dictionnaire de la langue française. Il se mit aussitôt à en dresser les cahiers, qu'il rapportait ensuite pour les soumettre à l'examen et à la discussion de l'Académie. Il y mettait une telle activité, qu'il pouvait fournir aux trois bureaux qui se tenaient toutes les semaines. Mais il mourut que le travail était encore peu avancé. Pour comble de malheur, les cahiers qu'il en avait rédigés furent saisis, avec ses autres écrits, par ses créanciers; de sorte qu'il fallut plaider, et que l'Académie ne rentra en possession de l'ébauche du dictionnaire que ́deux ans plus tard, sur arrêt du parlement.

Mais, dans l'intervalle, soit désespéré de la lenteur du travail, soit désireux de se donner, lui étranger, un certificat de suffisance, Vaugelas avait publié ses Remarques sur la langue française, le seul ou vrage qu'il ait mis lui-même au jour, le seul aussi qui protége sa mémoire. Ses essais de poésie italienne, fort estimés dans le temps, quelques impromptus français, tout cela n'est que peu de chose. Les Remarques, voilà le livre capital de Vaugelas, voilà Vaugelas luimême. Il avait passé sa vie à étudier la langue française dans les livres, dans les sociétés, à la cour, parmi les maîtres et les juges. Dans ce commerce, il s'était fait à lui-même une langue d'une exactitude admirable, dont les tours et les expressions étaient pris aux meilleures sources, mais qui lui appartenait en propre par la force d'assimilation et de concentration qu'il avait employée à se la former. Ce qu'il avait fait pour lui, il voulut le faire pour tous, et, après avoir été témoin attentif et intelligent du grand travail de la langue générale, il voulut en être le rapporteur; le rapporteur seulement, répé

tons-le, et non le réformateur. Il borna son rôle à montrer ou à éclaircir l'usage, à distinguer le bon du mauvais. Le bon, suivant lui, c'était « la façon de parler de la plus saine partie de la cour, confor« mément à la façon d'écrire de la plus saine partie des auteurs du « temps. » Où l'unanimité manquait, il s'en rapportait à la majorité; dans le doute, il consultait ses amis, et, parmi ceux-ci, les plus habiles et les plus sincères, et il condamnait ce qu'ils condamnaient, et même ce qu'ils hésitaient à approuver. D'ailleurs, il allait lentement, afin de discerner l'usage passager de l'usage définitif, et de donner à ses remarques la double consécration de l'usage et du temps. Aussi, ne craignit-il pas de promettre à ses principes, à ses règles pour la netteté du langage et du style, la durée même de notre langue et de notre empire. Et au bout de plus de deux siècles, le bon usage, sa divinité inspiratrice, ne lui a pas donné un démenti, et ses Remarques, à part un très-petit nombre, ont résisté à toutes nos révolutions littéraires. En général, les contemporains admirèrent et se soumirent. Baillet a enregistré leurs éloges, notaminent ceux de Sorel et du P. Bouhours, c'est-à-dire des hommes qui étudièrent la langue avec le plus d'ardeur, car c'est une chose remarquable, que le livre de Vaugelas fut le signal de nombreuses études grammaticales et littéraires. Il y eut, toutefois, des opposants. Ménage, par haine du P. Bouhours et par jalousie de Vaugelas, chercha à enlever à celui-ci la propriété de ses plus belles remarques, pour la transporter à ses amis ou la revendiquer pour lui-même. L'historiographe Scipion Dupleix fit un livre contre Vaugelas, sous le titre de Liberté de la langue française. La Mothe le Vayer surtout l'attaqua vivement dans plusieurs traités en forme de lettres. Mais les adversaires mêmes profitaient de Vaugelas en le combattant, et se soumettaient à ses lois au moment même où ils cherchaient à en secouer le joug. Ainsi, la Mothe le Vayer n'a été nulle part meilleur écrivain que là où il combat les Remarques, parce que,. malgré lui, il s'y sert de la langue épurée dont Vaugelas avait donné les règles. —Peut-être, toutefois, Vaugelas a-t-il trop brisé avec cette langue du xvi° siècle, dont Montaigne est le modèle, et dont, enfant, il avait pu voir la tradition si gracieusement continuée dans saint François de Sales. Lui-même sentait qu'il appauvrissait un peu le fonds de la langue nationale, car il se plaint de la tyrannie de l'usage à qui il est obligé de sacrifier, et il regrette plus d'une vieille locution. Il n'est impitoyable que pour les façons de parler provinciales qu'il accuse de corrompre tous les jours la pureté du vrai français; mais il

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