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DOM JUAN

OU

LE FESTIN DE PIERRE

COMÉDIE

REPRÉSENTÉE POUR LA PREMIÈRE FOIS

LE 15 FÉVRIER 1665

SUR LE THÉATRE DE LA SALLE DU PALAIS-ROYAL

PAR LA

TROUPE DE MONSIEUR, FRÈRE UNIQUE DU ROI

MOLIÈRE. ▼

NOTICE.

Dom Juan ou le Festin de Pierre suivit de près le Tartuffe. Ce fut la première en date des comédies que Molière fit représenter sur la scène du Palais-Royal, pendant le temps où cette scène était fermée à sa grande comédie de l'hypocrisie. La bonne encre dont il avait écrit celle-ci était encore au bout de sa plume quand il écrivit celle-là. Elle y a laissé sa marque, que l'on reconnaît çà et là fortement empreinte.

On lit dans le Registre de la Grange pour l'année 1665 : « Pièce nouvelle de M. de Molière. La Troupe a commencé le Festin de Pierre le dimanche 15 février. »

La veille de cette première représentation, « trois jours avant mardi gras, » c'est-à-dire le samedi 14 février, Loret, qui ne savait pas encore, à ce qu'il semble, qu'elle fût fixée au lendemain, écrivait dans la Muse historique :

L'effroyable Festin de Pierre,

Si fameux par toute la terre,
Et qui réussissoit si bien
Sur le théâtre italien,

Va commencer, l'autre semaine,
A paroître sur notre scène,
Pour contenter et ravir ceux
Qui ne seront point paresseux
De voir ce sujet admirable,
Et lequel est, dit-on, capable
Par ses beaux discours de toucher
Les cœurs de bronze ou de rocher;
Car le rare esprit de MOLIÈRE
L'a traité de telle manière,

Que les gens qui sont curieux
Du solide et beau sérieux,

S'il est vrai ce que l'on en conte,

Sans doute y trouveront leur compte;
Et touchant le style enjoué,
Plusieurs déjà m'ont avoué
Qu'il est fin, à son ordinaire,
Et d'un singulier caractère.
Les actrices et les acteurs,

Pour mieux charmer leurs auditeurs
Et plaire aux subtiles oreilles,
Y feront, dit-on, des merveilles.
C'est ce que nous viennent conter
Ceux qui les ont vus répéter.
Pour les changements de théâtre,
Dont le bourgeois est idolâtre,
Selon le discours qu'on en fait,
Feront un surprenant effet.

Pour mieux s'en assurer,

Soit aux jours gras, soit en carême,
Que chacun l'aille voir soi-même.

On l'alla voir en effet avec un empressement qui ne se ralentit un peu que dans les six dernières des quinze représentations, les seules qui furent accordées à la pièce. Le Registre de la Grange ne laisse pas de doutes sur le succès. Voici les recettes qu'il constate :

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Si l'on compare ces recettes avec celles des quinze premières représentations du Tartuffe, joué en 1669, après cinq ans d'une attente qui avait si vivement excité les passions, on trouvera sans doute une différence, mais qui n'est point énorme. C'est donc à tort que Voltaire', la Serre 2, et, après eux, Cailhava3, dont les témoignages sans doute ne concordent que parce qu'il est commode de se copier, ont parlé de la médiocrité du succès. Très-suivies au contraire, comme nous venons de le voir, si les représentations cessèrent de bonne heure, nous aurons bientôt à donner l'explication de cette disparition de la pièce, qui en aucune façon ne fut une chute.

Il serait difficile de comprendre que le succès eût manqué à Molière, où il ne semblait pouvoir manquer à personne, dans un sujet qui avait la vogue, et, sur différentes scènes, de quelque façon qu'il eût été accommodé, s'était trouvé du goût des spectateurs. La pièce, nous dit Loret, dans les vers qui viennent d'être cités, était fameuse « par toute la terre, » c'està-dire partout où il y avait un théâtre qui ne nous fût pas inconnu, en Espagne, en Italie, en France. Le gazetier ajoute que, sur la scène italienne de Paris, elle réussissait très-bien. De même que nos comédiens italiens, les comédiens de Mademoiselle et ceux de l'Hôtel de Bourgogne avaient donné le spectacle à la mode, les uns et les autres avec des pièces spécialement composées pour leur théâtre. La troupe de Molière voulut aussi mettre à profit l'engouement du public; et après elle, il fallut un peu plus tard que celle du Marais, dans l'intérêt de ses recettes, satisfît à son tour la même curiosité.

1. Voyez ci-après son Sommaire, p. 74.

2. Mémoires sur la vie et les ouvrages de Molière, dans les OEuvres de Molière, édition in-4° de 1734, tome I, p. xxxII.

3. Études sur Molière, p. 121.

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