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triers pour la brune en queftion, qu'on me dit être intime amie d'une de mes parentes; mais je n'aurois pas fait grace à ma foeur, fi elle avoit été à la place de la brune; s'agiffoit d'un plaifir de vanité coquette; & quand il se prefente un pareil gain à faire, parmi nous au tres femmes, on en ignore encore le facrifice; & j'étois femme com→ plette à cet égard; ou pour mieux dire, j'avois là-deffus, pour ma part, l'avidité de quatre femmes enfem·ble.

.. La brune m'en a toûjours voulu depuis; elle à tort cependant; paf fe qu'elle mehait alors: encore ces reffentimens-là ne doivent-ils durer qu'un jour? Pour moi, fi jamais femblable avanture m'arrivoit, je protefte aujourd'hui, contre la rancune qui me faifira, & dont la durée excedera le tems que je viens de te dire.

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U te ressouviens bien, ajoûta

Tla Dame à fa compagne, en continuant fon histoire, que j'avois déja deux amans : j'en retenois un, parce que j'étois coquette; mais le coeur me parloit pour l'autre; & pour entretenir deux amans de cette efpece, il faut du manége.

Il eft difficile de fe conferver des plaisirs de vanité, qui nuifent à tous momens à ceux que le coeur veut prendre ; & d'ailleurs une coquette, en pareil cas, oublie fouvent de l'être, ou du moins pour veiller à sa gloire, pour la trouver touchante, il faut qu'elle s'avife d'y penfer; mais elle penfe à fon amour, fans s'en avifer; elle n'a befoin que de fentimens pour en goûter les douceurs; & ce fentiment, elle ne le cherche point; il eft toûjours tout trouvé.

C'est donc un grand embarras que d'avoir à garder deux conquêtes pareilles aux miennes; & il falloit

être

être bien hardie pour en méditer une troifiéme.

Mais, il faut te l'avouer ; je ne fuis point faite là-deffus, comme les autres femmes; ce n'eft pas même à force d'efprit & de fineffe que je me démêle de ces intrigues; je ne réflechis jamais; je badine, & je fens: voilà tous mes talens; c'eft avec cela que je me fuis toûjours tirée d'affaire. Les mefures les plus délicates, Ies tours les plus fubtiles ne coûtent aucun effort de pensée ; j'ai làdeffus une adreffe de temperamment; j'agis par inftinct, toûjours à propos, & toûjours me divertiffant de tout, même de la violence que je me fais avec mes amans,pour ne point donnér d'avantage à celui que j'aime, fur celui que je n'aime point.

Autant que j'en puis juger cependant, je crois que cette foupleffe de coeur & d'efprit, cette audace à tenter plufieurs conquêtes, à vouloir me les conferver, malgré leur nombre, quand elles font faites, cet art de furmonter alors des difficultés

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que je ne prévois jamais, & dont j'ai l'habileté de me tirer, fans tâcher d'être habile; ce talent d'être impunément coquette, de faire foûpirer mes amans fous le joug d'une coquetterie actuelle, dont aucun d'eux ne m'accufe, qu'ils ne devinent point; je crois, dis-je, ne devoir ces avantages qu'à l'infatiable envie de fentir que je fuis aimable, & qu'à un goût dominant pour tout ce qui m'en fait preuve.

Vois-tu, mon enfant ; fi j'ai quatre amans, j'ai pour moi-même un amour, de la valeur de tout celui qu'ils ont pour moi. Oh! il faut que tu fçaches que le plaifir de s'aimer fi prodigieufement, produit naturellement l'envie de s'aimer encore davantage; & quand un nouvel a‐ mant m'acquiert ce droit; quand je me vois les délices de fes yeux, je ne puis t'exprimer ce que je deviens aux miens. Mes conquêtes prefentes & paffées s'offrent à moi; je vois que j'ai fçu plaire indiftinctement, & je conclus en treffaillant d'orgueil & de joye, que j'aurois

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autant d'amans qu'il y a d'hommes, s'il étoit poffible d'exercer mes yeux fur eux tous.

Et même alors, en concluant ce que je dis là; je vois en idée les regards que fçavent porter mes yeux; je les admire; j'en deviens amoureufe; le charme m'en émeut intérieurement; je brûle de trouver quelqu'un qui les éprouve : & fi chemin faifant, il fe prefente un objet, pour qui mon coeur fe déclare, c'est une avanture agréable, un bénefice dont je joüis par furérogation, qui dure autant qu'il peut, & qui n'interrompt nullement mes deffeins de conquête.

Toutes ces parantefes que je mêle au recit de ma vie, vont à ton inftruction; voilà pourquoi je me les permets volontiers. Jufqu'ici ton amour propre n'étoit qu'un maladroit, qui prenoit fes interêts à gauche je crois pourtant m'aperçevoir qu'il eft de bonne trempe, & qu'il ne tient qu'à lui de s'évertuer. Songe bien, ma fille, a mé. diter fur l'avidité du mien, & furla

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