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elle-même, & qu'elle n'eft jamais plus prophane, que quand elle roît fcrupuleufe.

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Suite des Caracteres de M. de M.**

Vdes beaux efprits de Paris, Ma

Ous voulez que je vous parle

dame, la matiere eft fine; & bien m'en prend d'avoir un zele d'obéïffance, qui m'étourdit fur les difficultés du fujet. J'oferai donc obéir; mais obfervez,s'il vous plaît, Madame, qu'ici tout mon devoir eft d'ofer, &point de réüffir; à moins qu'il ne foit vrai comme on dit, que l'amour donne de l'efprit: Nous fçaurons bien-tôt ce qu'il en faut croire; car je vais éprouver le proverbe, comme partie capable s'il en fut ja

mais.

Paris fourmille de beaux efprits: il n'y en eut jamais tant ; mais il en eft d'eux, à peu près comme d'une armée;il y a peu d'OfficiersGeneraux, beaucoup d'Officiers Subalternes un nombre infini de Soldats.

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J'appelle Officiers Generaux, les Auteurs, qu'en fait d'Ouvrages de goût, le Public avoue pour excellens.

Après eux, viennent les grands mediocres dans le même genre de travail, paffez-moi ce nom plaifant que je leur donne, ou bien mettonsles à la tête des Officiers Subalternes; appellons-les les premiers de ' ceux-là.

Imaginez-vous, Madame, un efpace entre l'excellent & le mediocre; c'eft celui qu'ils occupent. Leurs idées font intermediaires; ce n'eft pas que ce milieu qu'ils tiennent foit fenti de tout le monde; il n'appartient qu'au Lecteur excellent lui-même, de les y voir; & leur caractere d'efprit, generalement parlant, leur fait tour à tour trop de tort, & trop d'honneur: trop de tort, parce que bien des gens machinalement connoiffeurs du beau, ne fe fentant pas affés frappés du ton de leurs idées, les confondent avec les mediocres trop d'honneur, parce que bien des gens auffi n'ayant qu'un goût peu fûr, peu dé

cifif, les jugent excellens fur la foi du peu de plaifir qu'ils prennent à la lecture de leurs Ouvrages.

Après eux font les mediocres; comme les Officiers Subalternes ; gens dont le talent eft de fixer avec ordre fur du papier, un certain genre d'idées raisonnables, mais communes, qui fuffifent pour le commerce & la conduite des honnêtes gens entr'eux, & par là fi familieres, qu'elles ne meritent pas d'être expreffément offertes à la curiosité du Lecteur un peu délicat.

Difons un mot en paffant, des efprits du plus bas rang: ce font des Auteurs au deffous du mediocre ; gens fi miferables, que c'eft fortune à eux que de fixer même une idée commune dans fon degré de force & de jufteffe.

Un fipetit talent d'efprit, ne vaut pas la peine d'une plus grande analyfe; qu'il vous fuffife de fçavoir, Madame, que ces Meffieurs n'ont point de nom: qu'on ne connoît chacun d'eux ni par la chûte ni par le fuccès particulier de leurs ouvra❤

ges; fuffe par la chûte: ce feroit toûjours être connu par quelque chofe. Un mediocre compofe-t'il? s'il tombe; du moins dit-on, un tel est tombé, comme on dit un tel Officier a été tué; mais à l'égard de ces derniers, on fçait en gros, que mille de leurs productions paroiffent & ne valent rien; c'eft comme un bataillon qui fe prefente, & que le Moufquet fait tomber: qui eftce qui s'avifera de demander le nom des Soldats morts?

Il y a d'autres Auteurs encore, que nous mettrons fi vous voulez au rang des beaux efprits : ce font les Traducteurs ; ils fçavent les Langues fçavantes, ils reffufcitent l'efprit des anciens, qui, difent-ils, vaut cent fois mieux que l'efprit des modernes; du moins faut-t'il avouer qu'ils le croyent de bonne foi, puifque nous ne voyons pas qu'ils s'eftiment affez pour penfer par eux mêmes. C'eft agir confequemment à leur principe.

Je vous aurois parlé plûtôt d'une autre forte d'Auteurs, fi je n'avois

jugé qu'ils tiendroient à injure de fe voir au rang de ceux qu'on appelle beaux efprits: ce font les Philofophes & les Geometres. J'ai quelque fois penfé au peu de cas que ces Meffieurs là femblent faire des productions de fentiment & de goût; auffi bien qu'à la diftinction avantageufe que le public fait d'eux. Le bel efprit,il eft vrai, ne s'eft pas fait de la Geometrie, une science particuliere; il n'eft point Geometre ouvrier, c'est un Archite&te né, qui méditant un édifice, le voit s'élever à fes yeux dans toutes fes parties differentes; il en imagine & en voit l'effet total par un raifonnement imperceptible & comme fans progrès, lequel raifonnement pour le Géometre contiendroit la valeur de mille raifonnemens qui fe fuccederoient avec lenteur. Le bel efprit, en un mot, eft doué d'une heureuse conformation d'organes, à qui il doit un fentiment fin & exact de toutes les chofes qu'il voit ou qu'il imagine; il eft entre fes organes & fon efprit, d'heureux accords qui lui forment

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