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ne maniere de penfer, dont l'éten duë, l'évidence & la chaleur ne font qu'un corps; je ne dis pas qu'il ait chacune de ces qualités dans toute leur force; un fi grand bien eft au deffus de l'Homme; mais il en a ce qu'il en faut pour voler à une fphère d'idées, dont non feulement les rapports, mais la fimple vûë paffe le Géometre.

A l'égard des Philofophes, la nature & fes principaux effets ne fontils pas le noeud-gordien pour eux ? nous fommes-nous, à nous mêmes moins énigmes, qu'il y a quatre mille ans? qu'à pû penfer fur l'Homme, un Philofophe, qu'un bel efprit excellent ne nous puiffe dire, & plus ingenieufement, & par des préceptes plus accommodés à nos façons non reflechies, de connoître & de fentir? à entendre faftueufement prononcer le nom de Philofophe, qui ne croiroit que fon efprit eft d'un autre genre que celui du bel efprit? l'Homme pour l'ordinaire eft cependant leur fujet commun, en quoi different-ils donc ? c'eft

que l'un traite ce fujet dans un Poëme, dans une Ode; l'autre le traite dans un corps de raisonnemens qu'on appelle fyftême. L'un gliffe l'inftruction à la faveur du fentiment; c'est un maître careffant qui vous fait des leçons utiles, mais intereffantes; l'autre eft un Pédago

qui vous regente durement, & ans un trifte filence.

Pourquoi donc penfe-t'on plus refpectueufement du Philofophe que du bel efprit? ne feroit-ce pas que lePhilofophe, ou bien l'Homme au fyftême, nous propofant une reconoiffance expreffe de nousmêmes, nous fait penfer que nous fommes difficiles à comprendre, & par-là importans; au lieu que le Philofophe qui fait un Poëme ou une Ode, femble ne nous expofer à nos propres yeux, que pour nous divertir: ce deffein là ne nous fait pas tant d'honneur.

Pardon, Madame, fi ceci m'a conduit un peu loin: ce que j'ai dit eft une idée que j'avois depuis longtems dans l'efprit, & qui a trouvé

jour. Revenons à nos Auteurs. Je fçai que vous aimez à raisonner ; je vais tâcher de vous fervir à votre goût.

L'amour propre eft à peu près à l'efprit, ce qu'eft la forme à la matiere. L'un fuppofe l'autre. Tout efprit, a donc de l'amour propre,comme toute portion de matiere a fa forme de même auffi que toute portion de matiere eft pliable à une forme plus ou moins fine & variée fuivant qu'elle eft plus ou moins fi ne & délicate elle-même; de même encore, notre amour propre eft-il plus ou moins fubtil, fuivant que notre efprit a lui-même plus ou moins de fineffe.

Ces principes établis, concluons que l'Auteur excellent eft de tous les Auteurs,celui dont l'amour propre eft le plus fubtil.

Tâchons d'en développer le jeu : tout Homme vraiment fuperieur, a fentiment de fa fuperiorité ; il a les yeux bons; il voit inconteftablement ce qu'il eft; or il fe complaît à fe voir, il s'eftime; voilà le début

de fon amour propre ; il veut des témoins de fes avantages: en voilà le progrès; il veut des témoins fans faveur, naïfs, irreprochables, portant témoignage avec un étonnement qui les décele inferieurs; il veut mettre leur propre orgueil en défaut; il eft bon juge des moindres expreffions de confufion qui échappent à cet orgueil; il apprétie un gefte, le filence même: voilà la fineffe de l'amour propre excellent. Mais obfervez, Madame, que cet amour propre eft à fon dernier periode, quand avecl'art de ces apprétiations dont j'ai parlé, il joint encore l'art de dérober fes inquiétudes fuperbes, & de jouir de fes découvertes, fans paroître y avoir tâché. Infinuer qu'il eft bonnement, innocemment fuperieur, efcamoter à ceux qu'il furpaffe jufqu'à la triste confolation de l'appeller vain ; voilà ce nec plus ultrà de l'orgueil d'Auteur.

Nous pourfuivrons le refte une autrefois, Madame, il vous divertira.

Suite

Suite des Caracteres de M. de M**

Nl'amour propre de l'Auteur

Ous Parlions l'autre jour de

excellent ou fuperieur; & je vous dis là-deffus, Madame, que cet Auteur fçavoit fes avantages: qu'il fe difoit, je connois ma fuperiorité ; cela eft doux; mais il me revient encore un plaifir bien flateur à prendre; c'eft de voir les autres la connoître avec moi.

Ces autres, Madame, ce font des hommes orgueilleux, comme lui, qui compofent ou qui ne compofent pas; mais en un mot qui ont de l'efprit, qui font marqués dans le monde comme gens qui en ont beaucoup, qui s'en croyent encore davantage, parce qu'ils fuppofent que le Monde jaloux, loue modiquement, & que quand il va pour nous jufqu'à l'eftime, c'eft figne qu'il devroit aller plus loin: gens enfin qui font fentinelle, fur tout ce qui paroît de beau, qui vont &

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