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générosité d'âme, de ce sens sûr, inexorable, qui ne sauraient permettre de se méprendre sur soi-même et sur un concurrent hors de pair comme celui à qui il se voyait préférer aujourd'hui. Rancé, du reste, inférieur à Bossuet (car Bossuet pouvait-il avoir un égal?), fut néanmoins un sujet d'élite, il est juste de le dire. Sa rare capacité dès l'enfance s'était fait connaître; de bonne heure il en donna de publics et signalés témoignages dont nous n'avons point à nous préoccuper dans cette histoire'. Sa modestie, outre cela, son humilité vraie, sa noble et candide défiance de lui-même se font bien connaître par des lettres, de ce temps-là précisé ment, où il instruisait un ami, son ancien maître, du progrès de ses études, pour cette licence même dont on lui donna le premier lieu sans qu'il eût apparemment songé à y prétendre. « Je fus (écrivait-il), je fus examiné avant-hier par quatre docteurs; je m'en tirai à mon ordinaire, c'est-à-dire fort communément 2. » Ni Rancé, encore une fois, ne s'était mépris; ni Bossuet, qui se le vit injustement préférer, n'en avait conçu de chagrin; et entre eux demeura inaltérable l'amitié que s'étaient vouée ces deux intelligences éminentes, ces deux nobles cours; sentiment vif en eux de plus en plus, et qui, croissant d'année en année, les devait unir étroitement jusqu'à la tombe3.

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Vies de Rancé, par l'abbé de Marsollier, in-4°; 1703, chap. 2, p. et suiv. Par M. de Maupeou, curé de Nonancourt; 1702, in-12, t. l. p. 25 et suiv. - Par dom Pierre Le Nain, liv. Ier, chap. 1er et 2o. — Mais surtout l'ouvrage d'Adrien Baillet: Les enfants devenus célèbres par les études; 1688, in-12, p. 359. Remarques critiques sur le Dict de Bayle [par l'abbé Joly]; 1752, in-fol., p. 1124, article: Anacréon . 2 Lettres de M. de Rancé, abbé de la Trappe, publiées par Gonod; 1846, in-8, p. 23.

3 Mémoires mss. de l'abbé Le Dieu.

le

sentiments

se prépara à

la

revise et

prêtrise

bonnet de

docteur.

Cette distribution des lieux entre les licenciés avait Dans quels indiqué en quel ordre bientôt serait donné à chacun Bossuet d'eux le bonnet de docteur. Ce devait être là encore, dans la vie de Bossuet, une journée mémorable, mais que précéda son admission à la prêtrise. Quelle, dès longtemps, avait pu être sa préparation au sacerdoce'; lui-même, dans la suite, le fera connaître, lorsque, se demandant quels caractères une telle préparation doit offrir, « que ce soit (dira-t-il) non pas une application de quelques jours, mais une étude de toute la vie; non un soudain effort de l'esprit pour se retirer du vice, mais une longue habitude de s'en abstenir; non une dévotion nouvelle, et fervente à cause de cette nouveauté même, mais affermic, enracinée par un grand usage 2. » Prêtre, pour tout dire, avant même que d'être prêtre, prêtre par son zèle, par la gravité de ses mœurs, par l'innocence de sa vie, Bossuet « en eut les vertus avant que d'en avoir le degré3. » Donnée autrefois à saint Basile le Grand par saint Grégoire de Nazianze, patriarche de Constantinople; appliquée par Bossuet au saint supérieur général de l'Oratoire, François Bourgoing, qu'à Bossuet lui-même soit aujourd'hui décernée cette louange, à laquelle il a, lui aussi, tant de droits!

C'est ce que tous à Saint-Lazare se disaient en leur Bossuet va corur, lorsque Bossuet au commencement de mars 1652, s'y vint jeter aux pieds du vénérable Vincent de Paul,

faire une retraite à "Saint-Lazare sous les auspices de Vincent de Paul.

Sur la fable du mariage, ou traité de mariage de Bossuet, voir à la fin

de ce 1er tome, l'Appendice du livre II.

› Bossuet, Oraison funèbre du P. Bourgoing, 4 décembre 1662, t. XVII,

570.

3 "

Sacerdos christianus, etiam ante initum sacerdotium. » Sancti Gre gorii Nazian. Oratio funebris in laudem Basilii magni, Cæsareæ in Cappadocia Episcopi, no XIII. — C'est le 43o de ses discours dans l'édition de M. Caillan; Paris, 1842, in-8o, t. II.

demandant à cet homme si saint qu'il lui fût permis de s'éclairer, de se sanctifier sous ses yeux et d'être admis au sacerdoce sous ses auspices'. Car le séminaire de Saint-Sulpice étant alors établi à peine 2, les ordinands toujours venaient en foule à Saint-Lazare, où, plusieurs années auparavant, avaient été établies de pieuses retraites pour les disposer à recevoir les saints ordres 3. Armand-Jean de Rancé, en décembre 1648, s'y était venu préparer aux quatre ordres mineurs, et tout ensemble au sous-diaconat, au diaconat, qu'il reçut alors en trois jours*. Bossuet, diacre depuis la fin de septembre 1649, y venant aujourd'hui à son tour demander la prêtrise, voyez le bon et pénétrant Vincent ouvrir les bras à ce sujet brillant, dont il n'a cessé, depuis dix années, de suivre avec un intérêt inexprimable les progrès en vertu, en piété, en savoir; dont sa sagacité infaillible a prévu, dont sa bouche a annoncé les hautes

I

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« Ille (Vincentius à Paulo) nos ad sacerdotium promovendos suả suorumque operâ juvit. » Lettre de Bossuet à Clément XI, 2 août 1702, t. XXXVI, 336.

» La chapelle du séminaire de Saint-Sulpice avait été inaugurée le 21 novembre 1650, jour de la Présentation. Mais la bénédiction des bátiments du séminaire n'ayant eu lieu que le 15 août 1651, les étudiants ne purent y être reçus, du moins en nombre, que postérieurement à cette cérémonie. (Vie de M. Olier, par M. l'abbé Faillon, seconde édition, 1853, t. II, 242 et suiv. )

3 ((

Testamur Vincentium à Paulo, ab ipsâ adolescentiâ [ nostrâ ], nobis fuisse notum, ejusque piis sermonibus atque consiliis veros et ingenuos christianæ pietatis et ecclesiasticæ disciplinæ sensus nobis esse instillatos; quorum recordatione, in hâc quoque ætate, mirificè delectamur. » { Lettre de Bossuet à Clément XI, 2 août 1702, t. XXXVIII, 335.) — La Vie de Saint-Vincent de Paul, par Collet, 1818, in-8°, t. I, 188 et suiv. — La Vie du même, par Abelly, liv. Ier, chap, XXV.

4 Lettres d'Armand-Jean Le Bouthillier de Rancé, publ. par Gonod; Paris, 1846, in-8o, p. 21.

5 La vie de saint Vincent de Paul, par Collet; 1818, in-8°, t. I, 202

destinées; en qui enfin il a su, ainsi que Cospéan, deviner l'une des plus grandes lumières de l'Église! Chacun des sujets de l'ordination devant être confié à la direction spéciale de l'un des prêtres de la maison, Vincent (chose digne de remarque) donnera en garde Bossuet, un sujet si insigne, au plus simple, au plus humble, au plus intérieur des ecclésiastiques de la Congrégation de Saint-Lazare; à l'abbé Le Prêtre, l'un des anciens de la communauté, dévoué tendrement au vénérable supérieur, et qui, un jour, lui fermera les yeux. A cet homme calme, silencieux et doux, appartiendra l'honneur d'initier au saint ministère le plus vif, le plus brillant, le plus éloquent ordinand que jamais on ait vu à Saint-Lazare. Prompt à apprécier ce guide, éclairé non moins que judicieux et sage, Bossuet, dès la première rencontre, a voué à l'humble lazariste une vénération dont souvent dans la suite il lui prodiguera les plus touchants témoignages. Vincent de Paul a, en un mot, deviné juste cette fois, comme toujours '.

Dire à quel degré, en cette maison de Saint-Lazare, brillaient la bonté, l'abnégation, le dévouement, l'empressement à accueillir, à servir les ordinands, à leur subvenir en toutes manières, il ne le faut point entreprendre; pour peindre des vertus si véritablement divines, la parole de l'homme ne saurait suffire. L'hu

Mémoires mss. de Le Dieu. La Vie de saint Vincent de Paul, Collet; 1818, in-8o, t. II, 656.

par

? La Vie de saint Vincent de Paul, par Collet; 1818, in-8°, t. I, p. 254, liv. II. — Rancé, après une retraite de douze jours, à Saint-Lazare, écrivait, le 22 décembre 1648: « J'ai eu grande satisfaction de ces bonnes gens, qui ont bien de la piété. C'est une véritable maison de Dieu; il ne se trouve point ailleurs un pareil exemple, » (Lettres de Armand-Jean Le Bouthillier de Rancé, publiées par B. Gonod; Paris, 1846, in-8°,

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milité du saint directeur, celle de tous ses dignes coopérateurs, au milieu de tant de bienfaits dus à leur féconde et inépuisable charité, touchait et attendrissait tout d'abord, au point que cette préparation au sacerdoce eût elle seule suffi déjà. « A tant de savants bacheliers qui nous viennent, ou de Sorbonne ou de Navarre, nous ne saurions rien apprendre, » disait Vincent; « ne pouvant donc rencontrer ici la science, qu'ils y trouvent du moins la vertu . » Ils l'y trouvaient en effet, et à un degré où à peine est-il croyable qu'en des hommes elle se puisse rencontrer jamais; mais avec elle toujours aussi ils avaient trouvé les lumières à profusion, quoi que Vincent eût pu dire. Aux approches des ordinations, toujours depuis vingt ans, de pieux, de doctes prêtres, accourus là à la voix du saint supérieur de la mission, étaient venus prodiguer aux ordinands les inépuisables trésors de leur foi, de leur charité, de leur savoir, d'une expérience conquise au prix d'études inces santes et d'incroyables efforts. Vie, discours, tout à l'envi prêchait en eux. Et qu'est-ce encore au prix des instructions que ces ordinands recevaient chaque jour de la bouche de Vincent lui-même; et l'effet de ces entretiens solides, affectueux, sublimes, qui le pourra dire? De précieux fragments des pathétiques allocutions du vénérable supérieur de Saint-Lazare, avidement recueillis à son insu par des disciples fidèles, émeuvent aujourd'hui encore et attendrissent le lecteur, sans qu'il se puisse en défendre 2. Sur les contemporains donc, sur les heureux auditeurs du saint prêtre, quels purent être les effets de sa parole si simple et si vraie, de cette naïve,

Vie de saint Vincent de Paul, par Collet, liv. VII, édition de 1818, in-8°, t. III, 331.

Vie de Vincent de Paul, par Collet; 1818, in-8°, t. I, 237 et saiv.

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