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saisissante, irrésistible éloquence, le cœur toujours parlant au cœur, la conscience à la conscience; Dieu luimême, Dieu daignant, par une bouche si pure, converser avec les hommes, les toucher, les instruire; c'est ce qu'avait ressenti Bossuet écoutant avidement Vincent; et tous à Saint-Lazare l'expérimentaient avec lui. La prédication évangélique leur apparaissant ici telle que la voulut le prince des Apôtres, tous en écoutant l'homme de Dieu croyaient entendre la voix de Dieu lui-même. Au cœur de Bossuet devaient demeurer présents toujours le souvenir de Saint-Lazare; « l'exemple de tant de saints ecclésiastiques qu'il y avait trouvés; les leçons que, disait-il, il avait apprises en cette compapagnie 2.2

Mais combien surtout Vincent de Paul lui était de-venu cher ! Son admiration, son tendre et religieux respect pour l'immortel supérieur de la sainte maison se devaient longtemps après manifester avec éclat dans une lettre mémorable, où, au bord de sa tombe, il rend témoignage aux vertus surhumaines du bon prêtre, et dit, en termes si touchants, au pape Clément XI, tout ce que près de cet homme révéré il lui fut donné de voir, d'entendre, de sentir autrefois. Surtout la simplicité sublime de Vincent avait profondément touché Bossuet, si simple lui-même; et jusqu'à la fin de sa vie parlant de lui chaque jour, des prodiges de sa charité, de tant de qualités exquises qu'il fut heureux de contempler en lui de si près, toujours il en revenait à célébrer avec amour celle de toutes qui l'avait touché le plus : sa simplicité, sa simplicité admirable, disait-il avec une

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cap. 4.

Si quis loquitur, sicut sermones Dei. » Epist. B. Petri, Apost., I,

› Bossuet, Lettre à Vincent de Paul, Metz, £2 janvier 1658,

Paroles d'Antoine

émotion manifeste; et on a su de ceux qui vivaient avec lui que sur cette insigne vertu du saint prêtre le grand évêque ne tarissait pas'. Vincent aurait-il pu de son côté, n'apercevoir pas tout ce que valait ce jeune lévite, dont le grand maître de Navarre lui avait parlé d'ailleurs en mille rencontres avec admiration et tendresse? Aux évêques, à la cour, à la régente tous deux dès lors le signalèrent comme une lumière naissante, qui un jour resplendirait dans l'Église. Ainsi en avait jugé naguère le docte et éloquent Cospéan, qui, ravi trop tôt à l'épiscopat, dont il était l'une des gloires, ne put voir sa prédiction s'accomplir 2.

Mais en pourrions-nous ici oublier une autre, si frapLequieu à pante elle aussi, que fit alors un grand et célèbre relijeune encore. gieux dominicain, habile et zélé réformateur de son or

dre, grand prédicateur, grand saint, tous ses contemporains s'accordent à le reconnaître, et dans des livres sans nombre et du haut de chaire? C'est le P. Antoine Le Quieu, si illustre dans les fastes de l'ordre de Saint-Dominique, homme sagace non moins qu'éloquent et saint, en qui la pénétration dans l'art de juger les hommes ne fut jamais trouvée en défaut, voyant s'unir en Bossuet à un si lumineux génie et à tant de sagesse le zèle le plus ardent, le dévouement le plus infatigable, tant d'oubli, mais qu'ai-je dit, tant d'ignorance de lui-même, ce très-clairvoyant religieux avait su pressentir l'avenir de l'étu diant de Navarre, et le prédire avec une assurance dont on fut frappé. Car, prenant un jour dans ses mains les

'La Vie de saint Vincent de Paul, par Collet, liv. VII.

2

abs.

Philippe Cospean mourut, le 8 mai 1646, âgé de soixante-dix-huit

3 Antoine Le Quieu, né le 23 février 1601, mort le 7 octobre 1676. Vita Venerabilis Patris Antonii [Le Quieu] à sanctissimo sacra

mains de l'éminent et humble lévite, et le regardant avec attendrissement et respect : « Vous êtes, monsieur, je le prévois, lui avait-il dit, vous êtes appelé à faire beaucoup de bien, et à le faire sans le savoir'. » Au bon religieux devait être donnée la joie de voir arriver de son temps ce qu'il avait si bien su prévoir et annoncer par avance; sa vie s'étant prolongée jusqu'à la fin de 1676, époque où la gloire de Bossuet brillait déjà d'un

si vif éclat.

Bossuet

ordonné

prêtre.

Bossuet, ordonné prêtre le samedi de la semaine de la Passion (16 mars 16522), allait, le 9 avril suivant, (16 m. 1652.) recevoir le bonnet de docteur. C'est ici une action mémorable, et qui dans cette glorieuse vie, où se pressent en foule tant de belles journées, devra, entre toutes les autres, arrêter nos regards. Quelle haute et juste idée Bossuet avait conçue d'un engagement si redoutable; ce qu'était le combien il en avait su mesurer toute la portée; dans aux yeux de quelles dispositions mûrement réfléchies, avec quel entier abandon de lui-même il s'y était préparé, ce que sur cela il lui arriva de dire plus d'une fois dans la suite le fait non moins manifestement connaître que le discours si notable qu'il prononcera en recevant le bonnet. C'est là pour lui, non point seulement une so

mento, Ordinis Prædicatorum, auctore R. P. Faraudy; Avenione, 1756,
in-4o, chap. IX, p. 97. Histoire des hommes illustres de l'ordre de
Saint-Dominique,
, par le P. Touron, tome IV, 513, 537. Nouveaux
Panegyriques des Saints, prêchés par le P. Claude Lion, Oratorien; Lyon,
1704, in-8o, p. 406, 431. Vie d'Antoine du Saint-Sacrement, par
Archange Gabriel de l'Annonciation; Avignon, 1682, in-8°, deux vo-
lumes.

1 Bossuet nous révèle lui-même ce fait dans une lettre du 15 janvier 1693, à Mme d'Albert, t. XXXIX, 157.

› Bossuet écrivait, le 4 août 1692, à Mme Cornuau: « Puisque vous voulez le savoir, le jour que j'ai été consacré prêtre est le samedi de la Passion, 1652.

Doctorat

Bossuet.

J. B. Bossuet

reçoit le

docteur.

lennelle cérémonie, mais la consécration de sa personne à l'Église. Fidèle et incorruptible dépositaire de la vérité, voué corps et âme à tout ce qu'elle va être en droit désormais d'attendre de lui, le docteur se devra tenir prêt sans cesse à lui rendre le témoignage qu'il lui promit; à le lui rendre d'abord par sa parole; c'est à savoir par son enseignement, sa mission étant de la faire connaître à tous; par ses œuvres, en la faisant paraître en lui par des effets, par des actions dignes d'elle. Il lui devra enfin le témoignage du sang, le sacrifice de sa vie', s'il devenait nécessaire; car la vérité, qu'est-ce autre chose que Dieu lui-même; et la foi n'est-elle pas un engagement au martyre 2?

Le doctorat s'offrant à Bossuet tel qu'il vient de nous bonnet de le peindre, aisément pourra-t-on imaginer en quel esprit il s'y était préparé; et comme enfin est venu à luire le jour redoutable et désiré où il va en recevoir les attributs, en revêtir les insignes, en contracter les saints engagements, que l'on imagine la profonde émotion de son cœur! Cette solennelle cérémonie devait, commencée en la chapelle des archevêques de Paris, s'achever dans l'église de Notre-Dame 3. Donc, le 9 avril 1652', le matin, au milieu du nombreux cortége des dignitaires, des régents, docteurs et bacheliers de Navarre, tous en grand costume, Jacques-Bénigne Bossuet, licencié encore, mais par avance revêtu de la fourrure des docteurs, s'acheminait pensif, recueilli, vers la métropole, les massiers de l'université ouvrant la marche. A l'arche

1 Bossuet, panégyrique de sainte Catherine, XVI, 515. 2. Debitrix Martyrii fides. Tertullien, Scorpiace, no 8. Tertullianı Opera, édition de Nicolas Rigault; Paris, 1664, in-fol., p. 494. 3 Mercure Galant, septembre 1709, p. 24 et suiv.

4 Nomina et Ordo Magistrorum sacræ Facultatis Theologiæ Parisiensis; apud Ludovicum Josse, 1702, in-4o. Le 9 avril 1652 y est indique

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vêché, où l'on s'était rendu d'abord, devaient au préalable être soutenues, dans la grande salle, des thèses, auxquelles présida le futur docteur, assis entre le chancelier de l'université et le grand maître Nicolas Cornet, partis avec lui du collége de Navarre, et qui le devaient assister dans toute cette action. Après qu'ensuite il eut à genoux prêté un premier serment, écouté avec respect l'allocution du chancelier, qui enfin lui posa le bonnet sur la tête, se relevant aussitôt pour lui répondre, « Allons Monsieur, lui dit le nouveau docteur, me voilà prêt à vous suivre, à vous suivre plein de joie; allons au pied de ces saints autels qui, depuis tant de siècles, ont vu tous les docteurs venir tour à tour faire devant eux profession solennelle de leur foi. Je les veux, ainsi que mes devanciers, prendre à témoins de mes solennels engagements. Là, vouant au glaive, si Dieu le demandait jamais, cette tête que Vous venez de décorer des insignes du doctorat, je vais, par serment, me déclarer prêt à mourir pour JésusChrist, me consacrer à la vérité. O serment redoutable et saint! Paroles non plus seulement de docteur, mais de martyr; ou, pour m'exprimer mieux, langage d'autant plus propre au docteur qu'il appartient davan

Après l'admis

comme le jour où Bossuet prit le bonnet de docteur. sion au doctorat, il fallait, pour être reçu Maître en la Faculté de théologie, avoir préalablement prêté, dans une assemblée générale de la faculté, un second serment; et le nouveau docteur, à genoux, tête nue, prêtait ce serment, la main droite posée sur l'évangile. Histoire du Doctorat, Mercure Galant, 1709, septembre. Le 1er juin 1652, dans l'assemblée générale du prima mensis, Gaston Chamillart, Jacques-Bénigne Bossuet et Nicolas de La Haie, reçus docteurs depuis peu, prètèrent ce nouveau serment, et furent ensuite admis à prendre séance en leur rang parmi les Maitres de la Faculté, « Præstiterunt juramenta qua' a novis doctoribus præstari solent, » (Reg. Facult, Theolog. Paris., 1er juin 1652.)- Rancé, nous l'avons dit, ne se fit recevoir que le 10 février 1654.

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