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meure, la prière encore; et avec elle, chaque jour, chaque nuit, le recueillement, la méditation et l'étude; une vie grave, solitaire, appliquée sans relâche, et aussi sans fatigue, c'est, en somme, l'emploi de tant d'années qu'il passa à Metz. Chaque nuit, avons-nous dit ; car de cette époque de sa vie data, selon toute apparence, une habitude, que toujours il devait conserver dans la suite, d'interrompre son sommeil, comme à volonté, toutes les nuits, pour quelques heures d'un travail que rien ne pourrait troubler; après quoi, et comme à volonté encore, il reposait jusqu'au matin '.

Cette profondeur de rêverie, empreinte si fortement dans ses écrits, et dont tous, en les lisant, seront frappés, avait saisi, entre les autres, Chateaubriand, qui s'en montre étonné; et « chez un pontife, ayant (pensait l'illustre écrivain) vécu toujours au milieu des pompes, du bruit du Louvre, de Versailles, de Saint-Germain, » il ne se la put expliquer 2. Il ignorait cette longue et studieuse retraite à Metz. Tant d'années, mieux connues désormais, d'une vie laborieuse, méditative et cachée nous en ont enfin révélé le secret. Oui; si Bossuet, fidèlement, sut raconter la sainte vie de Marie-Thérèse; si, l'entendant en parler, du haut de la chaire de Saint-Denis, ses auditeurs, sous le charme de sa parole, croyaient voir encore la pieuse reine « tantôt courir aux autels, pour y goûter, avec David, un humble repos; tantôt s'enfoncer dans son oratoire, où, malgré le tumulte de la cour, elle trouvoit et le Carmel d'Élie, et le désert de saint

du conseil d'État, direction et finances; ce dernier étant mort le 6 juillet 1691, Madeleine Bossuet demeura avec son frère, l'évêque de Meaux ; ou, du moins, était très-souvent chez lui, à Meaux, à Germigny, à Paris. (Mss. Bibliothèque impériale, cabinet des Titres. )

Mémoires mss. de Le Dieu.

› Génie du Christian. par Chateaubriand, 3o partie, liv. IV, chap. 4.

Études de
Bossuet à

Metz.

Jean, et la montagne si souvent témoin des gémissements de Jésus '; » si le précurseur au désert; saint Bernard dans son vallon et au fond de ses bois de Clairvaux; les pieuses recluses de l'inaccessible solitude de SainteFare, lorsque Bossuet nous les peint, apparaissant, ce semble, à nos regards (tant il a su nous les rendre présents), saisissent nos cœurs d'un involontaire et saint respect, c'est que naguère, ayant bien connu, ayant goûté ces états, avant les grands emplois qui l'en devaient éloigner dans la suite, Bossuet jamais n'avait cessé de les aimer; que lui-même, solitaire longtemps, et heureux de l'être, il savoura les ineffables douceurs pour lesquelles on se sent un irrésistible attrait en écoutant sa parole, en lisant ses écrits; tant son cœur en sait parler avec un goût vif toujours et un manifeste régret!

Une chose encore étonna ses contemporains, bien mal informés eux-mêmes sur ces années de sa vie. A Meaux, à la cour, voyant le prélat, en action sans cesse, accessible, chaque jour, pour tous, et avec si peu de temps, ce semble, pour l'étude, publier néanmoins, à de si courts intervalles, tant d'ouvrages, où, sans parler du génie, de l'éloquence, de la dialectique, brille toujours un savoir si profond; où sont tantôt appelés en témoignage, tantôt invinciblement réfutés tant d'auteurs inconnus à la plupart, les érudits eux-mêmes ne se le purent expliquer; et longtemps encore après lui on les voit qui s'en étonnent 2. Mais et ce qu'on a vu déjà, et ce qu'il nous

*Bossuet, Oraison funèbre de Marie-Thérèse d'Autriche, 1er septembre 1683.

2 Lettre du P. Campioni à Bossuet, Rome, septembre 1698. OEuvres de Bossuet, t. XLI, 444. Le Roi, préface latine, en tête de l'édition

Application de Bossuet à

faudra dire encore du long séjour de Bossuet à Metz; de cette vie toute d'étude, de contention, d'incessant labeur, ne suffit-il pas pour expliquer ce mystère? « Le ministère sacerdotal (Bossuet l'a dit lui-même) étant établi pour être la lumière de l'Église, comme les yeux sont les flambeaux du corps ',» toujours l'étude, dans sa pensée, sera, après la prière, le premier devoir du se pénétrer ministre des autels. Savoir Dieu, avant tout, savoir Dieu, autant qu'il peut être donné à un mortel, c'est à quoi le prêtre devra s'appliquer d'abord; « car, dit Bossuet, jusqu'à ce qu'on ait remonté à cette source, on ne voit rien dans les choses humaines. »

La Bible, la Bible, ce livre divin, qui naguère illuminant son adolescence, lui vint révéler un monde nouveau, et, d'année en année, lui est devenu cher de plus en plus; la Bible, lue, relue chaque jour, scrutée, pénétrée, est pour l'ardent docteur une merveilleuse et inépuisable source d'instruction, de bonheur. A cette brûlante soif de connaître, à cet insatiable amour du vrai qui, tant qu'il aura vie, ne lui laissera de repos ni la nuit, ni le jour, il ne fallait pas moins que « cet océan immense, où se trouve la plénitude de la vérité3 ». L'entraînement pour ces livres sacrés devait, en lui, être tel, jusqu'à sa dernière heure, qu'on ne s'en saurait faire une exacte idée, si lui-même, un jour, se complaisant à peindre l'incroyable affection de David pour la loi de Dieu, les indicibles empressements du qu'il a donnée de l'ouvrage: Defensio declarationis cleri Gallicani; in-4o, 1745, deux tomes, t. I, p. 16.

1 Bossuet, Réflexions sur un écrit de M. Claude, t. XXIII, p. 413. 2 Bossuet, Défense de la tradition et des saints Pères, liv. IX, chap. 22, t. V.

3 Bossuet, Défense de la tradition et des saints Pères, liv. IV, chap. 16, t. V, 240.

des Livres

Saints.

saint roi pour elle, son application passionnée à s'en imprégner sans cesse, à en faire comme sa propre substance, à y chercher, à y trouver toujours ses lumières, sa force, ses trésors, sa vie, toutes choses enfin, Bossuet, à son insu, n'avait ainsi révélé le secret de son cœur pour ce livre, ouvrage de Dieu lui-même '. Mais, avec la loi ancienne, s'offrait aux yeux de Bossuet la loi nouvelle; et là, sans les ombres de ces premiers âges, voyant resplendir la lumière, sa joie plus parfaite, ses transports plus vifs, plus véhéments', auraient-ils pu ne lui inspirer pas un langage digne d'un si grand objet? L'ancienne loi annonçant la nouvelle; l'ancienne, la nouvelle, se rencontrant au temps, au point marqués, un tel spectacle le ravissait; et qui, mieux que lui, parla jamais de ce merveilleux accord? « Ah! si nous avions les yeux bien ouverts (s'écriait-il), il n'y a page, il n'y a parole, il n'y a, pour ainsi dire, ni trait, ni virgule de la loi ancienne, qui ne parle du sauveur lésus. La Loi est un Évangile caché, l'Évangile est la Loi expliquée 2. » A son âme pénétrée ces vérités sans cesse étant présentes, il en donnera au monde, un jour, dans le Discours sur l'histoire universelle, une démonstration irréfragable, un sublime et merveilleux commen taire.

Imbu ainsi des saintes Écritures, et tous les textes sacrés lui étant familiers, quelle grandeur devait emprunter d'eux son génie ! Quelle source féconde pour lui de beautés offertes par le texte lui-même; de beautés trouvées quelquefois par son âme enflammée; beautés

› Bossuet, Dissertatio de Psalmis, § XI, t. I, p. 21, 22 (edit. de Versailles ).

2 Bossuet, Sermon pour le 2o dimanche après l'Épiphanie, sur les Caractères des deux alliances, édition de Versailles, XI, 587.

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dignes, véritablement, du livre divin qui les inspire! Texte, commentaire, l'admiration du lecteur les unit, les confond, sans, ce semble, les pouvoir désormais distinguer et reconnaître. « Le fond de Bossuet, (car ce que ce grand homme, parlant de saint Augustin, sut si bien dire, pourrions-nous hésiter à le dire ici de lui-même), son fond, c'est d'être nourri de l'Écriture, d'en tirer l'esprit, d'en prendre les plus hauts principes, de les manier en maître, et avec la diversité qu'exigent les sujets qu'il a entrepris de traiter'. » A quel haut degré d'intelligence de ces textes sacrés il avait su s'élever, par l'amour, plus encore que par l'étude, ses Commentaires sur plusieurs livres de l'Écriture le feront à jamais connaître; mais aussi ces inappréciables dissertations où, avec la critique, avec l'érudition que promettait l'humble titre tracé par sa main en tête de ces écrits, resplendit une sublime éloquence, et surabonde une onction qui pénètre le cœur et l'inonde.

Dans ces études de l'Écriture, tous les saints Pères, tant les anciens que les nouveaux, lui venant en aide; enfermé avec eux, sans cesse, le jour, la nuit, durant ce long séjour à Metz; les interrogeant, les écoutant tour à tour; avec leur secours, interprétant les saints livres, quels devaient être les fruits de ce commerce si intime, de cette familiarité si étroite et si douce; et combien, à cette école, un tel disciple put profiter! A cette solide théologie, dont-il s'était imbu dans l'insigne Faculté de Paris, s'étant venues joindre les lumières empruntées aux docteurs et aux saints Pères; pour lui, alors, dans l'enseignement universel de l'Église, n'y ayant plus de se

Bossuet, Défense de la tradition et des saints Pères, liv. IV, chap. 18, Versailles, t. V, 245.

Affection

tres-vive de les Pères de

Bossuet pour

l'Église; son

zele ardent

pour leur gloire.

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