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Bossuet élevé dans cette maison,

sa onzième année.

avaient combattu près d'eux au champ d'honneur leur apprenaient aujourd'hui à connaître mieux encore, à aimer, s'il se peut, davantage, le digne souverain, l'aimable et grand roi pour qui, ensemble, ils avaient à l'envi tant fait autrefois.

Le jeune Jacques-Bénigne, attentif, ému, charmé, jusqu'à prêtait l'oreille; et lorsque dans la suite son tour vint de parler de Henri IV, aurait-il pu ne se souvenir pas de ces causeries de famille au milieu desquelles à Dijon s'étaient passées ses premières années; et se faudra-t-il étonner si toujours la mémoire du Béarnais lui demeura chère, non moins qu'à ses grands parents, qu'à leurs vieux et dignes amis, que si fréquemment il avait ouïs s'en entretenir avec eux au coin du foyer de son aïeul? Le témoignage que, bien longtemps après, il voudra rendre à ce monarque, à ses qualités insignes, à son règne paternel, à la sincérité de son retour à l'Église mérite de n'être oublié jamais. « On sait (devaitil dire alors), on sait ce qui se passa lors de la conversion de Henri IV. Quand il pressoit ses théologiens, ils lui avouoient de bonne foi, pour la plupart, qu'avec eux l'État étoit plus parfait, mais qu'avec nous il suffisoit

1 L'un d'eux, surtout, le conseiller Philippe Baillet de Vaugrenant, qui togam mutans in loricam, ducis egregii titulo, bellorum civilium ingruentem impetum sustinuit et libertatem publicam armis oppressam asseruit. » (Épitaphe rapportée par P. Palliot, Parlement de Bourgongne, 1649, in-fol., p. 247.) Il renouça à la robe après les troubles, le roi lui ayant donné l'ordre de Saint-Michel et une compagnie de cinquante hommes d'armes. (Palliot, ibid.) Avec lui, et sous lui, servirent et se signalèrent d'autres conseillers: François Fyot, qui, « virtute pollens, patriæ non defuit, sagoque juvit et toga, contra potentis unionis impetus professus arma regia. » (Palliot, ibid., p. 254.) Le conseiller Vincent Robelin se distingua sous le commandement de Philippe Baillet de l ́augrenant, en plusieurs rencontres, notamment au siége de Paris. (Le Parlement de Bourgongne, par Palliot, p. 89. )

pour le salut. Ce prince ne trouva jamais aucun catholique qui lui en dit autant de la prétendue réforme où il étoit. De là donc il concluoit qu'il faudroit être insensé pour ne pas aller au plus sûr; et Dieu se servit de l'aveu de ses ministres pour faire entrer ses lumières dans le cœur de ce grand prince. La chose étoit publique dans la cour; les vieux seigneurs, qui le savoient de leurs pères, nous l'ont raconté souvent 1. »

Rappelant un autre jour le bonheur, le bonheur effectif, senti, avoué, dont avait joui la France sous ce règne si paternel, mais, hélas! de si peu de durée, l'hommage qu'il rend, cette fois encore, à une vie si glorieuse, mais trop courte et trop tôt précipitée 2, n'en ditil pas lui seul plus que toutes les histoires? A Louis XIV, qui, rempli pour l'évêque de Condom d'estime, d'attachement, de confiance, a imploré de lui, dans le secret, avec d'austères avis pour sa conscience, de sincères instructions sur ses devoirs de roi, ce prêtre, vrai non moins qu'affectionné, voudra persuader de se faire aimer plutôt que craindre. Au jeune souverain, superbe, absolu, en qui, dès le premier âge, se montra vif, exalté à l'excès le sentiment de sa puissance, il n'hésitera point à proposer le souvenir, l'exemple d'un aïeul si affable, si effectivement bon, si constamment préoccupé du bonheur de ses sujets, et en retour si aimé d'eux pendant sa vie, si regretté, si pleuré après sa mort. « On a souvent dit aux rois (écrira-t-il à Louis XIV) que les peuples sont plaintifs naturellement, et qu'il n'est pas

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Bossuet, troisième avertissement aux protestants, § XVI, t. XXI, p. 190. — D'Aubigné, t. III, liv. III, chap. 24.

› Bossuet, conclusion (prononcée le 2 février 1666) de son 2o sermon pour le jour de la Purification, onze jours après la mort de la reine Anne d'Autriche. (OEuvres de Bossuet, édit. de Versailles, t. XV, 386.)

Sentiments de piété

possible de les contenter, quoi qu'on fasse. Mais, sire, sans remonter bien loin dans l'histoire des siècles passés, le nôtre a vu Henri IV, votre aïeul, qui, par sa bonté ingénieuse et persévérante à chercher les remèdes des maux de l'État, avoit trouvé le moyen de rendre les peuples heureux et de leur faire sentir et avouer leur bonheur. Aussi en étoit-il aimé jusqu'à la passion; et dans le temps de sa mort on vit, par tout le royaume et dans toutes les familles, je ne dis pas l'étonnement, l'horreur et l'indignation que devoit inspirer un coup si soudain et si exécrable, mais une désolation pareille à celle que cause la perte d'un bon père à ses enfants. I N'Y A PERSONNE DE NOUS qui ne se souvienne d'avoir ouï souvent raconter ce gémissement universel à SON PÈRE OU A SON GRAND-PÈRE, et qui n'ait encore le cœur attendri de ce QU'IL A OUÏ RÉCITER DES BONTÉS DE CE GRAND ROI ENVERS SON PEUPLE, et de l'amour extrême de son peuple envers lui. C'EST AINSI QU'IL AVOIT GAGNÉ LES COEURS '. »

Épanchant ainsi son âme pénétrée, Bossuet vient de divulguer, sans y prendre garde, les entretiens du foyer paternel, les souvenirs, les regrets, les intimes affections de tous les siens, l'amour de ces dignes Français pour leur pays, pour leur roi; l'horreur dont il les vit remplis toujours pour la rébellion, pour l'anarchie, pour le désordre. Témoins, victimes si longtemps de toutes les calamités qu'entraînent à leur suite l'insubordination et la révolte, combien de tels hommes méritaient qu'on les en voulût croire!

Ainsi croissait Jacques-Bénigne, au milieu des dignes qu'inspira à parents de qui il reçut de si inestimables enseignements. l'exemple de Craindre Dieu, l'aimer plus encore, c'est avant tout ce

Bossuet

tous ses

proches.

› Bossuet, Lettre à Louis XIV, 10 juillet 1675, T. XXXVII, 89.

qu'il apprit d'eux, prompt merveilleusement à goûter ces sentiments, qui en son âme devaient avec l'âge se fortifier toujours. Lorsque plus tard, dans son Panégyrique de saint Bernard, parlant des premières années d'un si grand homme, il dira quels saints exemples environnèrent son berceau, se souvenant involontairement de lui-même, de ces douces années de son enfance passées au milieu de tant d'hommes d'élite, de proches, d'amis si dignes d'eux « O parents (s'écriera-t-il ), n'épargnez pas vos soins à élever en la crainte de Dieu les enfants que Dieu vous a confiés ! Vous ne savez pas quelle récompense sa bonté infinie vous réserve '. » Bernard! la première gloire de Dijon! Il avait été, lui aussi, dès le berceau, donné à Dieu par son père, Tesselin le Roux, par sa mère, Alèthe de Montbard. Il était, lui aussi, l'enfant des saints! A Fontaines, non loin de cette ville, sur le sommet de la colline, combien de fois Bossuet, dans son enfance, contempla les ruines gisantes de l'antique et noble demeure où ce grand homme, cinq cents ans auparavant, était venu à la lumière ! En ces lieux consacrés par de si augustes, de si touchants souvenirs, le voyez-vous pensif, ému, qui se souvient, qui rêve, admire et prie? Laissez-le croître; lui-même, dans peu d'années, il éclairera à son tour le monde étonné; et saint Bernard, désormais, n'est plus le dernier Père de l'Église.

nigne

dans ses premières

Combien l'intelligence de Bossuet, combien son cœur Jacques-Béétaient attentifs dès ce bas âge! A quel degré avaient été Bossuet, profondes en lui ces premières impressions de son âme! Les paroles que nous avons rapportées ne le feraient-elles

1 Bossuet, Panégyrique de saint Bernard, t. XVI, 347.

2

› Description historique et topographique du duché de Bourgogne, par Courtépée et Béguillet; Dijon, 1777, t. II, 388 et suiv.

années.

pas elles seules déjà bien connaître ? Plus tard, lorsque, gémissant sur la misère de l'homme, nous l'entendrons dire que « dans l'enfance on n'est, pour ainsi parler, que corps et chair '; » que, « de la vie, il faut retrancher cet âge où l'homme ne se connoît pas2, préoccupé uniquement en ces instants de ce qu'est, hélas! l'enfance de la plupart, n'oublie-t-il pas un peu trop ce que fut la sienne? Chez Jacques-Bénigne, en pourrait-on douter, le cœur, l'esprit, dès les premiers temps, s'étaient fait connaître. Quintilien, un fils venant, à l'àge de six ans à peine, d'être ravi à son amour, le désolé père se plaît, pour tromper sa douleur, à représenter un enfant si aimable, ses grâces, sa beauté, la gentillesse de ses manières, sa vive et précoce intelligence, les marques données par lui de si bonne heure d'un es prit maître déjà de lui-même, d'une âme en qui les sentiments les plus élevés s'étaient révélés à ses pénétrants regards3. Du jeune Jacques-Bénigne l'illustre rhéteur ne semble-t-il pas nous avoir ici retracé l'image?

Le nom de Bénigne, cher à la Bourgogne, qui reconnaît le saint martyr pour son apôtre; ce nom reçu par Bossuet au baptême, << on eût dit que toujours il l'avoit devant les yeux pour en remplir la mesure et ne point

1 Bossuet, Traité de la Concupiscence, chap. VII, t. X, p. 362. 2 Bossuet, Oraison funèbre du chancelier Le Tellier, 25 janvier 1686, t. XVII, p. 513.

3 Quintilien, Institut. oratoires, liv. VI, Proemium.

4 Description historique du duché de Bourgogne, par Courtépée, t. 1, 33-34, et t. II, p. 38. Abrégé de la vie de saint Bénigne, dans un Recueil de quelques pièces pour servir à l'Histoire ecclésiastique et sacrée de la ville de Dijon, par P. Palliot, 1649, in-12, p. 41 et suiv. — Adrien Baillet, Vies des Saints, 1er novembre, saint Bénigne, apótre de Bourgogne el martyr.

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