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à son tour, pour le messie, discourant, dogmatisant, osant feindre des miracles, il se pût, en tous lieux, trouver encore des hommes assez insensés pour le suivre, l'aurait-on pu penser; et qui, aujourd'hui, le voudrait croire, si tous les écrivains du temps, dont plusieurs virent ce fourbe insigne et s'étaient entretenus avec lui, n'en parlaient uniformément ', quant au fond, et même avec beaucoup de détail? A Sabbathi Tzebhi, fils d'un marchand d'oeufs et de volailles 2, il était réservé de faire, à son tour, tout ce bruit dans le monde. Sa capacité, son savoir, la vivacité de son esprit, sa hardiesse inimaginable, l'irrésistible séduction de ses manières l'avaient rendu propre à ce rôle si hasardeux; et un très-riche marchand juif, nommé Nathan, nouvel Akiba de cet autre Barcochébas, n'épargnant rien pour accréditer un si impudent mensonge, le nouveau faux messie devait, comme l'ancien, se faire croire, que

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Raphael Lévy, entre autres, juif alors, chrétien dans la suite, et qui, devenu prêtre de l'Oratoire, à Paris, fut si connu sous le nom de Louis de Byzance. Né à Constantinople, où il avait vu de près Sabbathi Tzebhi et bien observé toutes ses manœuvres, il était curieux à entendre sur ce chapitre. Son père, orfèvre à Constantinople, malgré tout ce que lui put dire ce fils, très-sensé et très-docte, s'était signalé parmi les plus ardents zelateurs du fourbe, Raphaël étant venu à Paris pour y abjurer le judaïsme, et ayant été reçu, pour cela, à l'Oratoire, le célèbre oratorien Richard Simon, chargé de l'instruire et de le préparer au baptême, sut de lui toutes choses, en ce qui regardait ce messie, et devait même avoir tout loisir de s'en entretenir avec ce néophyte, qui bientôt devint oratorien lui-même. (Bibliothèque des écrivains de l'Oratoire, ouvrage ms. par le P. Adry, oratorien, article: Byzance (Louis de), Archives de l'Empire. } Histoire de Raphaël Lévy, juif, et aujourd'hui chrétien, sous le nom de Louis de Byzance ( dans les mémoires du chevalier d'Arvieux; Paris, 1735, in-12, t. V, p. 41.) Robinet, Lettres en vers, à Madame,

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Lettres des 15 août, 28 novembre 1666; 20 mars 1667. 'Sabbathi Tzebly, ainsi l'a écrit Bayle, Dictionnaire critique, article :

W zile ( Frideric Ragstat de ).

dis-je, adorer, à Smyrne, à Constantinople, à Gaza, à Jérusalem, à Andrinople, sans parler de bien d'autres villes encore. A ce nom, qui retentit, en un instant, d'une extrémité du monde à l'autre, les juifs, en tous lieux, s'étant émus, on les avait vus accueillir avec enthousiasme ces impostures, et croire aveuglément de merveilleuses promesses, bien propres sans doute à éblouir de si faibles esprits. A Jérusalem, sortant glorieusement de ses ruines; dans son temple, reconstruit déjà dans le ciel, et prêt à en descendre resplendissant d'or et de lumière, le vrai culte de Dieu allait être rétabli tout à l'heure dans la pureté des premiers jours.

Les juifs, cependant, les incorrigibles juifs, prompts à accueillir avidement de telles fables, à venir en aide à ce fourbe éhonté, se hâtant, la plupart, de tout vendre pour l'aller joindre; l'argent, l'or, les pierreries, rien, pour cela, ne leur coûtant, à eux, si avares, un si étrange spectacle fut alors donné au monde; et, chose surprenante, dans l'Allemagne, en Italie, dans la Hollande, en France aussi, avaient paru une crédulité non moins empressée, une confiance non moins abandonnée, un non moindre enthousiasme; et cette comédie devait même durer quelque temps, favorisée, au commencement, par l'empereur Mahomet IV, à qui revenait une bonne part de cet or affluant ainsi de tous les points du monde. Mais il dut bientôt y mettre un terme; ces stupides et fanatiques adeptes, dont le nombre allait croissant toujours, ayant formé dans l'empire ottoman une secte qui, avec le temps, si l'on n'y eût apporté ordre, se serait fait craindre. Ce messie, quoi qu'il en soit, menacé du cordeau, et dans les transes où l'on peut imaginer que le mit la perspective de cette apothéose, un turban, par grâce, lui étant

présenté, ne fit nulle difficulté d'en ceindre sa tête, qu'il devait sauver à ce moyen. Mais qu'est-ce encore; s'éprenant d'un subit enthousiasme pour l'alcoran, il s'était mis à prêcher le mahométisme; devint (sous le nom de Méhémet Effendi) capitaine bachi, avec de gros gages; et tout alla, en un mot, au gré de ses souhaits, jusqu'à ce que le Grand Seigneur, averti qu'en secret et devant de fervents disciples, fous incurables, l'incorrigible imposteur jouait toujours son rôle de messie, productif encore pour lui, comme il semble, il fallut, pour en finir, le confiner dans une prison, où, peu d'années après, il devait mourir'.

Il s'était rencontré, jusque dans Paris, chose admirable, des croyants zélés à l'excès pour Sabbathi Tzebhi; le riche juif Jona Salvador, entre les autres, très-connu du docte oratorien Richard Simon, qu'il amusait, plus qu'on ne le saurait dire, par son incurable crédulité sur ce point, par sa candeur, par ses récits enthousiastes, par ses espérances insensées. Des Juifs convertis s'étant laissé entêter, eux aussi, de ce nouveau messie, triomphèrent de ses miracles, ne pouvant tarir sur ce divin.

Theatrum lucidum, exhibens verum Messiam D. N. Jesum Christum, ejusque honorem defendens, contra accusationes judæorum seu rabbinorum, etc.; Amstelod. 1671, in-12, 150 p. par Frédéric Ragstat de Weile. ScheL'auteur connut, 1671-72, la femme et le frère de ce faux messie. diasma historico-philologicum, de Judæorum Pseudo-Messiis, per Joannem A Lent, SS. Theologiæ Doctorem ; Herbornæ, 1697, in-4o, 104p., p. 78 et seq.- Mémoires du Chevalier d'Arvieux; Paris, 1735, in-12, t. V, 41. — Le P. Adry, oratorien, Bibliothèque ms. des écrivains de l'Oratoire ; article: Byzance (Louis de) (Archives de l'Empire). - Ricault (Paul), Histoire des Turcs sous les règnes d'Amurath IV, d'Ibrahim et de Mahomet IV. Robinet, Lettres, en vers, à Madame, des 15 août, 28 novembre 1666; 15 mai 1667. — Dans la Bibliothèque biographique de Oetfinger, est indiqué un autre ouvrage, que je n'ai point lu: « Anton, Carl, Kurze Nachrict von den Falschem Messias Sabbatai-Zebbi; Wolfenbutel, 1752, 10-4".

Metz croient

Tzebli.

personnage, et manifestement portaient envie, en leur cœur, à ceux d'entre eux à qui il avait été donné de le voir. A Andrinople, où Sabbathi Tzebhi résida longtemps, Les juifs de affluèrent les pèlerins, venus de Portugal, d'Allemagne, en Sabbathi chargés d'hommages, de vœux et de présents. Pour un voyage si saint avait été composé, par les juifs de la synagogue portugaise, et imprimé, tout exprès à l'usage des pèlerins, un livre de prières, en langue espagnole, dont un exemplaire fut donné au curieux Richard Simon, lié, comme on sait, avec les rabbins, avec les juifs, et qui en connaissait si bien la langue et les mœurs'. De l'Allemagne, de la Bohême, affluaient les croyants, chargés d'offrandes; et la ville de Metz ne voulant point demeurer en reste, des députés de la Synagogue étaient allés à Andrinople mettre aux pieds du messie leurs adorations, et aussi leur or, dont il faisait apparemment plus de cas. Qui ne sait les grandes sommes d'argent que fournirent alors, pour ce dessein, tous les juifs de cette ville; le célèbre Salomon surtout, plus riche lui seul que tous les autres, fort connu de David Ancillon, qui, dans sa vieillesse, en Prusse (où il s'était réfugié après la révocation de l'édit de Nantes), parlant volontiers de cette alerte des juifs, qu'à Metz, autrefois, il avait vue de si près, se souvenait d'avoir bien raillé, sur cela, le crédule israélite, surtout après l'éclatante apostasie de son messie2!

Richard Simon, Lettres choisies, édition de 1730, en 4 vol. in-12, t. II, p. 13 et suiv. Lettre à La Peyrère, 27 mai 1670, t. II, 13; a M. Hardi, conseiller au Châtelet; 1670, t. III, 13. - Mémoires du chevalier d'Arvieux; Paris, 1735, in-12, t. V, 41. Le P. Adry, Oratorien, Bibliothèque des écrivains de l'Oratoire, article: Byzance (Louis de). Manuscrits des Archives de l'empire.

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Melange critique de littérature, recueilli des conversations de feu M. Ancillon, 1698, in-12, t. I, p. 188.

ce faux

Messie et de Bossuet, qui

la crédulité des juifs

alors était à

Metz.

Bossuet, qui, témoin, à Metz, de ces extravagances, en ce que dit de pouvait à peine croire ses regards, s'en expliqua, lui aussi, mais avec gravité, à son ordinaire, et avec une compassion douloureuse, navré qu'il était non moins que surpris d'un aveuglement si prodigieux, et tourmenté d'un indicible besoin de voir ce peuple ouvrir enfin les yeux à la lumière. Après qu'il a, dans son Discours sur l'histoire universelle, raconté la tragique histoire du faux messie Barcochébas, et peint la terreur dont fut suivie la sanglante exécution ordonnée alors par l'empereur Adrien, « l'esprit de séduction (ajoutait-il) règne tellement parmi les juifs, qu'ils sont prêts encore, à chaque moment, à s'y laisser emporter. Il n'y a point d'imposture si grossière qui ne les séduise. De nos jours, un imposteur s'est dit le Christ, en Orient; tous les juifs commençaient à s'attrouper autour de lui. Nous les avons vus, en Italie, en Hollande, en Allemagne et à Metz, se préparer à tout vendre et à tout quitter pour le suivre. Ils s'imaginaient déjà qu'ils allaient devenir les maîtres du monde, quand ils apprirent que leur christ s'était fait Turc et avait abandonné la loi de Moïse'. »

Combien l'avaient dù saisir l'endurcissement de l'incorrigible peuple et cette nouvelle illusion, croyable à peine, dont lui-même il venait d'être témoin, un sermon prêché par lui, à Metz, dans ce temps-là, nous le va faire assez connaître. Montrer que Dieu, toutes les fois qu'il arriva à des nations de repousser ses bienfaits et de méconnaître son autorité, ne manqua jamais de s'en ressentir aussitôt, en exerçant sur elles un règne de justice,

Bossuet, Discours sur l'Hist. univ., 2o partie (suite de la religion ), chap. XXI.

Les juifs depuis la mort de J. C. - Ce qu'en dit Bossuet.

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