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de rigueur, de vengeance, c'est le dessein que s'est proposé l'orateur dans ce discours'. « Et de ces vérités ( s'écrie-t-il) quel manifeste exemple nous en avons dans le peuple juif!» Son Christ, qui, venu à eux, plein de douceur, passait, faisant du bien toujours, après qu'ils l'ont méconnu, rebuté, outragé, mis à mort, Dieu, bientôt, va, dans sa colère, faire pleuvoir sur eux des calamités sans exemple dans les siècles passés. Il veut que sa vengeance éclate par tout l'univers, pour servir à tous les peuples, à tous les âges, d'un mémorial éternel. Et voici, en vue de Jérusalem, les aigles romaines, les formidables armées de l'empire, commandées par Titus, venu là pour réduire ce peuple, pour le réduire, non pour l'anéantir, non plus que la ville sainte, dont l'antiquité, les annales merveilleuses, les mystérieux souvenirs, l'aspect même lui imposent; et voyez-le attentif en effet, appliqué, chaque jour, à contenir ses légions, à protéger contre leur fureur cette grande cité, qu'il s'est promis de conserver au monde. Mais Jérusalem doit périr. Dieu donc, Dieu lui-même, du plus haut des cieux, intime des ordres qui sur l'heure sont exécutés. Jérusalem embrasée en un instant; le temple, en cendres, s'écroulant avec fracas; onze cent mille habitants ensevelis sous les décombres fumants de leurs habitations renversées; Titus, témoin désespéré de ces désastres, qu'il s'était flatté de prévenir, et que son incessante vigilance n'a pu conjurer; stupéfait en présence de cette lamentable catastrophe, ouvrage (il l'a su comprendre ) d'un pouvoir supérieur, qu'il semble chercher au ciel, qu'on le voit appliqué à interroger de ses regards. Ja

Bossuet, Sermon pour le IX dimanche après la Pentecôte, XIV, 286, 325.

mais spectacle si terrible n'avait été donné au monde; et ces scènes, Bossuet ne les raconte pas; il y assiste, témoin ému ; il les voit, il les montre, il considère; on contemple avec lui, « les ruines de Jérusalem, toutes fumantes encore du feu de la colère divine; » les restes d'Israël dispersés par toute la terre, errant çà et là dans le monde, « peuple monstrueux, qui n'a ni feu ni lieu; sans pays, et de tout pays; le plus heureux de l'univers autrefois, la fable aujourd'hui et la haine du monde; misérable à l'excès, sans que nul lui daigne compatir dans sa misère; devenu, par une certaine malédiction, la risée des plus modérés '. »

Mais ces hommes déchus, ces proscrits, Bossuet, en

Bossuet étudia avec application les prophé ties qui se

aux juifs.

son cœur, se sentant pressé de les instruire, nul jamais, rapportent avant lui, ne s'était tant appliqué à étudier à fond toutes les prophéties qui les regardent; à les éclaircir les unes par les autres; à les interpréter, à les expliquer par le rapprochement admirable qu'il en sait faire. Sur ces mystères du Messie promis, du Messie venu au temps marqué, du Messie marchant la terre, enseignant, prodiguant les vérités, les bienfaits, les miracles, parmi ce peuple qui, si bien averti, ne sut point, néanmoins, le connaître, la foi de Bossuet, son génie, son cœur, sa science devaient un jour, dans le Discours sur l'histoire universelle, répandre la lumière par torrents 2.

A Metz, préludant déjà à ces merveilleuses expli- sermon pro

Bossuet, Sermon pour le IXe dimanche de la Pentecôte, déjà cité. 2 Jean de Neercassel, évêque de Castorie, lui écrivait : « Prophetiis lucem intulisti gratissimam; et quidquid ex Daniele pro religione nostrà confici potest tantâ rationis evidentiâ confecisti, Antistes eruditissime, ut vix judaïca perfidia ei possit resistere, » Lettre du 21 août 1681, 1. XXXVIII, 227.

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Deux juifs de Metz (les frères de

cations des prophéties, l'éloquent archidiacre en avait fait le sujet d'un sermon sur Jésus-Christ, comme objet de scandale, sermon prononcé devant un auditoire où il semble que ses yeux ont aperçu des juifs mêlés dans la foule, et qu'il se sent pressé d'interpeller et de semondre. « Viens (s'écrie-t-il ), viens, ô juif incrédule, viens, considérer le Messie; viens le reconnaître, par les vraies marques que t'ont données tes propres prophètes '. » Toutes leurs prophéties, accablantes pour l'opiniâtreté judaïque, Bossuet, dans Metz, du haut de la chaire, la Bible à la main, les montrant aux juifs étonnés, les adjurait de les lire avec lui, dans ce livre qu'eux-mêmes ont conservé au monde; et, dans ce consentement de l'univers à interpréter uniformément les saintes Écritures, il leur faisait honte de s'obstiner ainsi à vouloir, eux seuls, ne les entendre pas!

Ces juifs, que Bossuet, du haut de la chaire, savait Veil) sont presser avec tant de force, souvent, dans Metz, il les éclairés par avait vus de près; et pourrions-nous oublier, ici, les

Bossuet.

deux frères de Veil, insignes et brillants néophytes, dont la conversion, due à ses soins, mais, hélas! trop peu durable, fit alors en tous lieux tant de bruit 2? Fils du savant juif Rabi David Veil, d'une famille en réputation de science, dont ont parlé Bartollocci, Wolff, Bux

Bossuet, 1er sermon pour le IIe dimanche de l'avent, prêché à Metz, sur Jésus-Christ comme objet de scandale, t. XI, 228.

Histoire générale de Metz, par des religieux bénédictins, in-4o, 1775, 87; t. III, 271. Bibliothèque lorraine, par Dom Calmet, in-fol.

p. 1000.

3 Son frère puiné, Louis, dit de Compiègne, dans un placet au chancelier Séguier, se dit « natif de Metz, hébreu de nation, fils de David ↓ ail, et chrétien par la grâce de Dieu. » (Placet autographe, Bibliothèque impériale.) Mss, de Saint-Germain, no 648.

Bibliotheca magna Rabbinica, auctore D. Julio Bartolloccio de Celleno; Romæ, 1683, in-fol, t. III, fol. 842, 843.

torf, le docte Daniel Huet, évêque d'Avranches'; s'étant, dès le jeune âge, signalés tous deux, par la vivacité de leur esprit, par leur aptitude à apprendre les langues anciennes, le bruit qui, tout à coup, se répandit dans Metz de la prochaine abjuration de l'aîné, avait inspiré au clergé, aux catholiques une grande joie; et la ville tout entière devait assister à cette notable cérémonie, qui, fixée au mardi 8 septembre 1654, jour de la Nativité de la sainte Vierge, se fit dans la cathédrale, encore que de Veil appartînt à la paroisse de Saint-Victor. L'évêque d'Auguste, Pierre Bédacier, donna le baptême au néophyte; le maréchal de Schonberg et la duchesse l'avaient voulu tenir sur les fonts; d'où vinrent au nouveau chrétien ces deux prénoms : Charles-Marie, qu'il devait porter toujours 2.

Comme il avait déclaré sa résolution de se vouer à l'Église, Bossuet, par qui il était chrétien, non-seulement voulut protéger et diriger les études que, dans cette vue, le néophyte alla commencer, sur l'heure, dans l'u

L'un d'eux

est baptisé à

Metz (8 sep

temb. 1654).

Lettres choisies de M. Richard Simon (Lettre à Justel, 20 mars 1682), édition d'Amsterdam, 1702, t. I, p. 78. Lettre de Daniel Huet à Jean Braun, à Groningue; Aunai, 14 des calendes d'octobre 1680. (Dissertations recueillies par M. l'abbé de La Marque Tilladet ; Paris, 1712, t. II, 306. Acta Eruditorum; Lipsiæ, 1690, pag. 587.)

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«

Paroisse de Saint

2 Voici l'acte du baptême de de Veil ainé : Victor, à Metz. Le 8 septembre 1654, Charles, fils de de Veil, juif de profession, a esté baptisé dans l'église cathédrale de Metz, par monseigneur le révérendissime évêque d'Auguste, suffragant de Metz. Présenté sur les saints fonts de baptême par monseigneur le mareschal de Schonberg, gouverneur des villes, citadelle, et pays Messin, et madame son épouse, » La cérémonie eut lieu, on le voit, à la cathédrale, encore que le néophyte demeurât sur la paroisse de Saint-Victor. Seulement, le curé de Saint-Victor en fit, sur les registres de son église, la mention ci-dessus. Jean Loret, dans la Muze historique, livre V, lettre 38, 19 septembre 1654, parle de cette cérémonie.

niversité d'Angers; mais il devait, de plus, charitable et généreux, en toutes rencontres, pourvoir libéralement aux frais de sa Licence, de son admission au doctorat'; bontés justifiées (il est équitable de le dire) par les signalés succès de Charles-Marie de Veil dans tous ses Ce que fait actes publics, qu'il soutint, à Angers, avec éclat; par ce juif con- sa thèse surtout, dédiée à Antoine Arnauld, et dont le les-Marie de souvenir est resté 2. De la congrégation de Saint-Augus

Bossuet pour

verti Char

Veil.)

tin, où il était entré d'abord, Charles-Marie de Veil, quelque temps après, ayant désiré passer dans celle de Sainte-Geneviève, Bossuet, par son crédit, l'y fit recevoir, malgré les règlements, qui y auraient résisté; et infatigable dans son bon vouloir, lui obtint, plus tard, le prieuré-cure de Saint-Ambroise de Melun 3. A tant de témoignages d'intérêt, Charles-Marie de Veil, longtemps, devait répondre par l'affectueuse gratitude due à un si zélé bienfaiteur. Pourvu d'une chaire de théologie, il se signala par la distinction avec laquelle il enseignait cette science; plus encore par de curieux commentaires sur divers livres de la sainte Écriture; et sa

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Bayle, Nouvelles de la république des lettres, décembre 1684,

art. XI.

2

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Biographie universelle, article: Viel, ou Feil (de). Les termes de cette Dédicace y sont rapportés.

3 Nouvelles de la république des lettres, par Bayle, décembre 1684, article XI; et septembre 1685, article X. Histoire générale de Metz, par des religieux bénédictins; 1775, in-4o, t. III, 271. — Biographie universelle, article: Viel, ou Veil (de).

4 Longueruana; 1754, t. I, 69.

5 Il publia, avant son apostasie: Commentarius in Canticum Canticorum..... operâ ac studio fratris Caroli Mariæ de Veil, doctoris theolog. canonici regularis congregationis Gallicanæ, in-12; Parisiis, Pralard, 1676. - Commentarius in sacrum J.-C. Evangelium, secundùm Matthæum et Marcum, auctore Carolo Mariâ de Teil; Andegavi, 1675, in-4°. Commentarius in Joël, prophetam, opera ac studio Caroli Mariæ de Veil,

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