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pénétrer d'une ineffable douceur le cœur du héros chrétien gisant sur son lit de douleur. La présence de l'archidiacre de Sarrebourg à Paris, dans cet instant précisément, est un fait qu'établissent de sûrs mémoires '; et, outre que l'étroite liaison du pieux guerrier et du saint prêtre ne saurait permettre aucun doute sur l'empressement de celui-ci à venir en aide à son ami en une extrémité si pressante, n'avons-nous pas, outre cela, de la main de Bossuet lui-même, le récit des derniers instants de la vie du maréchal, et comme une relation de sa mort, conçue en de tels termes que, manifestement, un témoin oculaire a pu seul, en parler de cette sorte ; l'admiration, ici, le disputant à la douleur? « Pourrionsnous ( écrivait-il) oublier jamais la manière dont Dieu l'a ôté de ce monde, et ce jagement si net, si tranquille qu'il lui a laissé jusqu'à la mort, afin qu'il n'y eût pas un moment qu'il ne pût faire profiter pour l'éternité! Il a crié à Dieu dans l'affliction et dans la douleur; lorsque sa main s'est appesantie sur lui; il lui a fait le sacrifice des douleurs qu'il lui envoyait 2. » Schonberg, du reste (et Bossuet, on le sent, est heureux de le dire), « s'était préparé à la mort avant le commencement de la maladie; bien loin d'attendre la condamnation, il a prévenu la menace; et sa confession générale a été non

1 Bossuet partit de Metz au milieu d'avril 1656. Registres des Trois Ordres. Lettre du maître échevin de Metz, au maréchal de Schonberg; Metz, 13 mai 1656. Bibliothèque de Metz, Carton 36o. A partir du 14 avril 1656, ne figure plus, cette année, dans l'assemblée des Trois Ordres, Bossuet, qui y avait siégé depuis janvier exactement. (Registres des Trois Ordres, 1656.) Plusieurs fois, en 1656, il siégea en Sorbonne, le 1er septembre notamment. Le dimanche 7 mai 1656, Bos

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suet prêcha à Dijon, dans la sainte chapelle; nous l'établirons bientôt, 2 Bossuet, Lettre à unc dame de considération (déjà citée), t. XXXVIL, 23 et suiv,

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seulement devant le danger, mais encore devant le mal 2.

Mort de Schonberg,

juin 1656.

Le 6 juin 1656 devait être le dernier jour d'une vie si glorieuse et si belle 3. A Nanteuil-le-Haudouin, dans à Paris le 6 les caveaux du prieuré, auprès des maréchaux Gaspard et Henri de Schonberg, vint reposer, à son tour, Charles de Schonberg, fils, petit-fils de ces deux grands capitaines, dernier et bien digne rejeton d'un si illustre lignage ; aucun enfant n'étant né de sa première femme, Anne d'Hallwin, morte en novembre 1641, non plus que de Marie de Hautefort, la seconde ", qui longtemps devait survivre. Parents, amis, serviteurs, compagnons d'armes étant tous là en proie à une profonde douleur, Bossuet, sans nul doute, s'y était rendu des premiers, lui plus affectionné au défunt que nul autre. La consternation, à Metz, fut grande, lorsqu'y eut été portée la triste nouvelle. De tous les cœurs, alors, étaient sortis des cris de détresse, des lamentations, de la mort d'un si grand homme; et le nom de père lui fut décerné tout d'une voix. Le roi, en

Devant, pour avant; locution très-usitée alors.

2 Bossuet, Lettre à une dame de considération.

3 Gazette de France, 10 juin 1656. Loret, Muze historique, lettre du 10 juin 1656.

4 Histoire de l'église de Meaux, par Dom Toussaints du Plessis, in-4o,

t. I, 718. — Loret, Muze historique, lettre du 24 juin 1656.

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5 Le 20 juin 1656. ( Loret, Muze historique, lettre du 24 juin 1656.)

La fin de ce fameux lignage

Est un très-important dommage.

(Loret, Muze historique, lettre du 24 juin 1656.)

? Gazette de France, 10 juin 1656. Loret, Muze historique, lettre du 10 juin 1656. '

* Registres des Trois Ordres de Metz, 8, 12 juin 1656. Loret, lettre du 17 juin 1656.

Lettre de Bossuet à une dame de

adressée ?

peine de l'émotion de la cité, y avait voulu compatir; et, dans une lettre empressée, promettait aux habitants « un gouverneur qui essuyerait les larmes qu'ils donnaient à celui qu'ils venaient de perdre; >> et dont il témoignait que la mort l'avait vivement affligé luimême '.

Mais que dire du désespoir de la maréchale, veuve considera- vraiment veuve 2, dont la douleur, dont les regrets ne t-elle devaient cesser qu'avec sa vie? Prompte, après la mort de Schonberg, à se demettre d'une charge de dame d'atours, qui l'eût enchaînée à la cour et au monde 3, cette irréparable perte était présente, chaque jour, à son esprit, à son cœur; et, le voudra-t-on croire, tout ce qu'elle avait admiré de vertus, de foi, de piété dans le maréchal, pendant une union de dix années, ne la pouvant empêcher d'être en crainte des jugements de Dieu sur un époux si cher, longtemps encore après qu'elle lui eut fermé les yeux, elle devait, sur cela, écrire à Bossuet, confident de ses pieuses inquiétudes; et il fallait que son cœur, sur ce point, se fût montré en proie à des perplexités bien pénibles, si l'on en juge par la réponse admirable du pieux archidiacre; réponse qui, en la consolant sensiblement, dut aussi rassurer beaucoup sa foi, sa tendresse, sa sollicitude. C'est cette lettre, écrite par Bossuet à une dame de considération, dont le nom jamais ne fut indiqué, et que rien ne désigne, ont dit tous les éditeurs jusqu'à

Lettre de Louis XIV aux échevins de Metz, 17 juin 1656. (Recueil de la Bibliothèque de Metz.)

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Loret, lettre du même

3 Elle la résigna à madame de Noailles, qui, le 30 avril 1657, prèta seriment. Gazette de France, 5 mai 1657. jour.

ce jour. Mais qu'elle fût pour la maréchale de Schonberg, tous, avec nous, le vont reconnaître. Adressée à une femme du premier rang, veuve depuis quelque temps; à une dame de la cour, sûre toujours de trouver, auprès d'Anne d'Autriche un facile accès et une favorable audience; à une chrétienne, éclairée, non moins que pieuse; c'en serait assez déjà pour qu'on pût songer à Marie de Hautefort, rentrée en grâce auprès d'Anne d'Autriche, en mai 1656, et qui n'a pu voir cette reine sans lui dire tout ce que vaut l'archidiacre de Metz. Bossuet, son cœur le pressant de tranquilliser l'illustre veuve sur le salut d'un époux qu'elle pleure, s'était vu, par cette raison, entraîné à lui parler du défunt, en des termes et avec des détails tels qu'aucun doute ne saurait plus, sur cela, nous être permis; à caractériser enfin cet époux si regretté, et à le faire de telle sorte, qu'à moins de fermer les yeux force sera de reconnaître Schonberg dans cet illustre défunt, dont, avec elle, Bossuet déplore la mort, en même temps qu'il l'admire.

Et après tout ce que déjà l'on a vu de ce grand homme, à quel autre que lui pourraient convenir, en effet, les particularités qu'il nous reste à signaler encore? Parler de tant de victoires qu'a remportées l'illustre mort, cette louange lui pourrait, si l'on veut, être commune avec quelques autres insignes guerriers, d'une époque féconde en héros. Mais Schonberg, ayant, de plus, été gouverneur de provinces, sera désigné plus manifestement par ce qui va suivre « Trouvez bon (dit-on dans la lettre), trouvez bon, Madame, que

Note de Dom Déforis sur cette lettre, dans son édition des OEuvres de Bossuet; 1778, in-4o, t. IX, Les éditeurs de Versailles, 1818, in-8°, t. XXXVIII, 23, en ont parlé dans le même sens.

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je vous fasse ressouvenir de sa bonté paternelle pour les peuples. C'est le plus bel endroit de sa vie et que les vrais chrétiens estimeront plus que la gloire de tant de victoires qu'il a remportées. » A son esprit, sur cela, s'est offert Néhémias, ce gouverneur si doux, si désintéressé, si généreux, si appliqué « à faire vivre le peuple en repos, à faire fleurir la religion, à faire régner la justice'. Et (continue-t-il) « puisque monsieur le M.... a gouverné les peuples dans le sentiment et dans l'esprit de Néhémias, nous avons un juste sujet de croire qu'il aura eu part à sa récompense; et que Dieu, se souvenant de lui en bien, aura oublié ses péchés. M. le M.... a été bienfaisant dans cette pensée (de racheter ses péchés par la charité); et, quoique sa générosité naturelle, dont le fonds était inépuisable, le portât assez à faire du bien, il ne l'en a pas crue toute seule; il a voulu la relever par des sentiments chrétiens; il a pensé à se faire des amis qui le pussent recevoir, un jour, dans les tabernacles éternels; et je ne puis me ressouvenir des belles choses qu'il m'a dites, sur ce sujet-là, sans en avoir le cœur attendri. »

Après quoi, ne pouvant, ici, mettre en oubli ni les peines d'esprit et de corps qui assaillirent le défunt jusqu'à la tombe, sans presque lui laisser de relâche; ni les âpres douleurs qu'il avait eu à supporter si longtemps, << Dieu (continue Bossuet), Dieu ne l'a point épargné en cette vie. Souvent, depuis nombre d'années, il l'avertissait par les maladies dont il le frappait, et non-seulement il le frappait, mais il lui faisait sentir dans le cœur ces salutaires avertissements. Monsieur le M.... n'était pas du nombre de ceux qui ont reçu leur récom

› Esdras, II, V, 15, 19.

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