Images de page
PDF
ePub

bare. H poussera encore plus loin ses conquêtes; il abattra aux pieds du Sauveur la majesté des faisceaux romains en la personne d'un proconsul, et il fera trembler dans leurs tribunaux les juges devant lesquels on le cite. Rome même entendra sa voix; et, un jour, cette ville maîtresse se tiendra bien plus honorée d'une lettre du style de Paul, adressée à ses citoyens, que de tant de fameuses harangues qu'elle a entendues de son Cicéron. Et d'où vient cela, chrétiens! C'est que Paul a des moyens pour persuader que la Grèce n'enseigne pas et que Rome n'a pas appris. Une puissance surnaturelle, qui se plait à relever ce que les superbes méprisent, s'est répandue et mêlée dans l'auguste simplicité de ses paroles. De là vient que nous admirons, dans ses admirables Épîtres, une certaine vertu plus qu'humaine, qui persuade contre les règles, ou plutôt qui ne persuade pas tant qu'elle captive les entendements; qui ne flatte pas les oreilles, mais qui porte ses coups droit au cœur. De même qu'on voit un grand fleuve, qui retient encore, coulant dans la plaine, cette force violente et impétueuse qu'il avait acquise aux montagnes d'où il tire son origine, ainsi cette vertu céleste, qui est contenue dans les écrits de saint Paul, même dans cette simplicité de style, conserve la vigueur qu'elle apporte du ciel, d'où elle descend. »

Heureuse, heureuse mille fois l'assemblée chrétienne, lettrée, pieuse, charitable, qui put ouïr de tels accents! Heureux le siècle qui portait de tels hommes, où naissaient de telles pensées, où se disaient de telles choses! Ce siècle, à quel point il fut grand, si, comme l'a dit le saint évêque Pierre Chrysologue, « Dieu inspire et favorise le prédicateur selon les mérites de ceux qui l'écoutent '! »

« Hoc accipit doctor quod meretur auditor. » Sancti Petri Chryso

Jogi serm. LXXXVI.

Non, non,« on n'imagine rien, il n'y a rien au delà d'une pareille éloquence . » Et si, maintenant dans l'église de l'hôpital général, inaugurée depuis peu, on se représente, sous le charme de telles paroles, les Lamoignon, les Séguier, les Barillon Morangis, les Vincent de Paul, en proie tous au saisissement, à la profonde émotion qu'un tel discours, si nouveau, si inattendu, si différent de ce qu'on avait entendu jusqu'à ce jour, a fait naître en leur âme, ce qu'il nous reste à dire encore aux lecteurs des prospérités de cet établissement dans les premiers temps, pourra-t-il beaucoup les surprendre? Cette journée elle seule, ces paroles que nous venons de reproduire, quels secours elles durent valoir à l'œuvre; et avec quelle profusion, dès cette heure, les trésors du riche se vidèrent dans les mains de tous ces pauvres! Louis XIV, dans un édit, rendu à cinq années de là, mentionnant avec honneur « les aumônes considérables de plusieurs, émus de charité; » et reconnaissant que l'hôpital général de Paris a eu l'effet qu'il s'en était promis, >> montre «< la capitale soulagée de l'importunité des mendiants: les enfants des pauvres nourris à la piété chrétienne, instruits aux métiers et ouvrages, en attendant que dans l'hôpital il y ait des lieux et des ouvroirs pour de plus grandes manufactures 2. » Le parlement, en janvier 1663, déclare que, depuis mai 1657, « plus de soixante mille pauvres ont trouvé, dans l'hôpital général, de la nourriture, des vêtements, des médicaments; que de plus à tous les ménages nécessiteux des portions

[ocr errors]

· Le cardinal Maury, Discours sur les sermons de Bossuet, note, dans son Essai sur l'éloquence de la chaire, édition de 1810, in-8o, t. II, 502.

2

Édit de juin 1662, enregistré au parlement de Paris le 21 août suivant. Recueil d'Isambert, XVIII, 18.

ont été distribuées, en attendant que la maison leur puisse être ouverte '. »

21

de saint Victor, prononcé à

Paris dans dédiée à ce¦ juil. 137.

l'abbaye

saint.

Mais l'admiration de tous pour Bossuet, ce prédicateur ignoré presque encore peu de mois auparavant, et si illustre, si grand désormais, qui la pourrait exprimer? Dans Paris, maintenant, les églises des paroisses, les communautés, les séminaires, les établissements de charité voudraient à l'envi que cette voix nouvelle, cette voix aimée, cette voix si puissante vint animer leurs solennités. Bossuet, quelquefois, dut céder à tant Panégyrique d'instances; et longtemps on parla de son Panégyrique de saint Victor, prononcé à Paris le 21 juillet 1657, jour de la fête du saint, dans l'abbaye qui lui était déliée, en présence des chanoines réguliers de cette illustre maison, désireux tous de l'entendre. Qui ne sait à quel point, depuis plusieurs siècles, cette antique collégiale était en renom au loin? Sans parler de tant de Victorins qui l'honorèrent par leur science, par leurs talents, par la sainteté de leur vie, vivaient près d'eux dans cette maison, si éloignée du fracas de Paris, d'anciens magistrats, des personnages éminents par le savoir, par la vertu, par l'éclat avec lequel, naguère, ils avaient figuré dans le siècle, aux premiers rangs, mais qui, leur devoir rempli avec le monde et désireux d'être, désormais, oubliés de lui, étaient venus là s'oublier euxmêmes, et ne songer plus qu'à Dieu 2. La joie des cha

1 Arrêt du parlement de Paris, 15 janvier 1663. de la ville de Paris, t. V, 192.

[blocks in formation]

2 Un conseiller au parlement de Paris, Henri Du Bouchet de Bournonville, bienfaiteur de l'abbaye de Saint-Victor de Paris, y étant mort en 1654, Santeul le célébra, aussitôt, dans une pièce de vers latins, datée du 10 octobre suivant. (J. B. Santolii, Victorini, opera; 1729, in-12, t. I, 265.)

noines réguliers, celle de ces pieux laïques, à la nouvelle que l'archidiacre de Metz s'allait faire entendre dans l'église abbatiale; leur empressement au pied de la chaire, l'impression profonde que fit sur tous la morale vraiment chrétienne et évangélique qui brille dans le panégyrique de saint Victor, nous nous en pourrons faire quelque idée, ce discours de Bossuet (j'entends l'ébauche) étant venu jusqu'à nous.

Victor, à Marseille, en présence des tyrans, des juges, des pontifes, de la ville tout entière, abattant, du pied, l'idole de Jupiter, qu'on le voulut contraindre d'adorer; désabusant les idolâtres, confirmant les fidèles par son hardi et triomphant langage; victime enfin, et scellant de son sang une foi si généreusement confessée, quel sujet pour le véhément orateur! A ces chrétiens des premiers temps, résolus sans cesse et prêts à tout, comparant leurs descendants dégénérés, quelles fortes paroles son admiration pour les uns, son dédain pour les autres lui inspirent! Cette idolâtrie, anéantie à jamais (avait-on pu croire), la voyant, la montrant, qui toujours règne sur le monde, « non, non (s'écrie-t-il), elle n'est pas renversée. Nous sommes des idolâtres lorsque nous servons à nos convoitises. Coeur humain, regarde où vont tes dé sirs! De quel que côté qu'ils se portent, là est ta divinité. Autant de passions, autant de maîtres, autant de dieur. Que chacun de vous, conclut-il, détruise ici ses idoles; car à quoi nous aurait servi de baiser ce pied vénérable, sacré dépôt de cette maison? O pied de l'illustre Victor! C'est par vos coups puissants que l'idole est tombée par terre. Ce tyran, qui vous a coupé, a cru vous immoler à son Jupiter; mais il vous a consacré à Jésus-Christ'. » Ce

[ocr errors][merged small]

pied, faut-il le dire, était celui-là même qui, à Marseille, avait renversé l'idole offerte aux adorations de Victor. Coupé par les bourreaux, jeté à la mer avec le corps du héros, mais, ainsi que lui, rendu à la terre aussitôt, il avait été, depuis l'année 1632, conservé en grand honneur à Paris, dans l'abbaye dédiée sous le nom du saint'.

Dans l'auditoire d'élite, attentif à la parole de Bossuet et charmé de ce discours, tressaillait, plus heureux que tous les autres, un jeune chanoine régulier, Jean-Baptiste Santeul, admis, depuis quatre années seulement (en 1633), parmi les Victorins, et aujourd'hui âgé de vingt-cinq ans à peine 2; poëte, véritablement poëte; plein de foi (si étrange qu'il ait pu paraître quelquefois dans ses discours et dans ses manières); enthousiaste, ardent à sentir, à aimer passionnément le grand, le beau, le vrai, qui dira à quel point l'avaient ravi de sublimes pensées, un saisissant discours, dont l'ébauche, venue jusqu'à nous, ne saurait donner qu'une bien imparfaite idée! Que dans la chaire de saint Victor eût apparu, ce jour-là, un orateur tel que la France jusqu'ici n'en avait entendu jamais, Santeul, plus prompt que nul autre à savoir le connaître, à le dire à tous, avait voué à Bossuet, dès cette journée, une admiration chaleureuse, que l'on vit en lui croitre toujours. Plus tard, dans ses vers, il devait célébrer, à son tour, saint Victor et ce pied, trésor révéré de l'illustre monastère. Avec trois hymnes, qu'il fit en l'honneur du saint martyr

Vie de saint Victor de Marseille, par Adrien Baillet, parmi les Ties des saints (au 21 juillet). Il parle doctement de cette relique,

2

Jean-Baptiste de Santeul, né en 1632, fit, en 1653, profession a Saint-Victor. (Piganiol de La Force, description historique de la ville

-

de Paris, édition de 1765, t. V, p. 280).

Santen régulie

chanoin

Saint-Vie

assista à

Sermon

« PrécédentContinuer »