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souverain, et sut, dès cette heure, deviner son avenir, la guerre, désormais, ne semblait plus si à craindre; déjà, d'ailleurs, avaient lui des espérances de paix ; et aux peuples, après des souffrances inexprimables, s'offraient et semblèrent sourire de douces perspectives de soulagement et de bien-être. Si nous parlons de ces choses, étrangères, pourrait-on croire, à notre dessein, c'est que les allusions qu'y va faire Bossuet, du haut de la chaire, dans son allocution à la reine-mère, seront, par là, plus promptement saisies par le lecteur. A bon droit y allait-il célébrer la piété', l'inépuisable bienfaisance dont cette princesse, depuis son arrivée à Metz, ne cessait de donner, chaque jour, d'éclatants témoignages 2. On l'avait vue, le 22 septembre, jour anniversaire de sa naissance, aller, accompagnée de ses deux fils, au couvent des religieux augustins, honorer saint Maurice, son patron, dont le chef était conservé dans ce monastère3.

a l'histoire des rois de France, recueillies par le marquis d'Aubais ; Paris, 1749, in-4o, t. I. Gazette de France, 29 septembre 1657 et jours suivants.)

Anne d'Autriche, exacte à entendre la messe tous les jours, n'y manqua qu'une seule fois pendant plus de cinquante ans qui s'écoulèrent depuis son arrivée en France jusqu'à sa mort; et encore ce manquement était-il résulté d'une méprise. ( Fromentières, Oraison funèbre d'Anne d'Autriche, prononcée dans l'abbaye de Montmartre, 1666.) Gazette de France, 29 septembre 1657 et jours suivants.

3

a

Le 22 septembre 1657, le roi, la reine et monseigneur le duc d'Anjou nous firent l'honneur de venir ici [en l'église des Augustins] entendre la messe, en particulier, à cause de la fête de saint Maurice (dont le chef est ceans), qui est le jour de la naissance de la reine. » (Registres des religieux augustins de Metz. (Archives de la préfecture de Metz.) Anne d'Espagne avait reçu, au baptême, avec ce premier nom, celui de Maurice; et dans de certains actes elle est appelée Mauricette. La prétention des augustins de Metz quant au chef de saint Maurice paraîtra peu fondée à qui aura lu, dans les l ́ies des Saints, par Adrien Baillet, la 1 ie de saint Maurice, 22 septembre, § 2, no IV.

Bossuet

prononce le

Mais allait venir le 15 octobre, consacré par l'Église

Panegyri à sainte Thérèse, dont naguère Anne-Mauricette avait,

que de sainte

Thérèse, en Espagne, avec toute sa nation, célébré la fête, l'une

en présence

d'Autriche et de Monsieur.

Anne des plus solennelles de ce royaume; et y voulant, cette année, assister dans la cathédrale de Metz, elle témoigna 45 oct. 1657. désirer que Bossuet y prêchât, en sa présence, le Pané

gyrique de la sainte'. Combien pour Bossuet il fut doux d'avoir, alors, à traiter un tel sujet, son discours, venu jusqu'à nous, le fait assez connaître; et pourrait-on, en le lisant, ne ressentir pas l'admiration dont l'avaient pénétré les pieuses extases de cette àme privilégiée, les sublimes aspirations de cet ange égaré sur la terre? Pour les nombreux écrits que la sainte a laissés, Bossuet toujours professa une estime profonde, dont il devait, dans la suite, donner d'éclatants témoignages2. Dans la cathédrale de Metz, au jour dit, Anne d'Autriche, le duc d'Anjou, son second fils, la pieuse Anne Martinozzi, princesse de Conti, allaient connaître enfin ce prédicateur si vanté. Louis XIV, parti le 9 octobre pour visiter les places de Sierck, de Nancy et toute la Lorraine', devait, à cinq années de là seulement (1662), entendre, pour la première fois, le grand orateur. Pour le cardinal

Bossuet, docteur signalé,

Prêcha (me dit-on ) l'autre jour
Devant notre reine et sa cour,

Ayant pris pour matière et tèze [sic]

Les vertus de sainte Térèze,

« Cette reine (dit-on aussi)

L'ordonnant et voulant ainsi. »

(Jean Loret, Muze historique, lettre du 29 octobre 1657.)

2 Bossuet, Lettre à Mme Guyon, février 1694, t. XL, 68.

3 La princesse de Conti arriva à Paris à la fin d'octobre 1657, venant de Metz, Jean Loret, Muze historique, lettre du 3 novembre 1657. 4 Pièces fugitives, recueillies par le marquis d'Aubais; Paris 1749. in-4, t. I. -Gazette de France, 20 octobre 1657.

Mazarin, sans parler de tant d'affaires auxquelles à peine il pouvait suffire, il avait été retenu à l'évêché par un de ces violents et douloureux accès de goutte dont si fréquemment il eut à souffrir'.

Aux innombrables auditeurs, accourus pour assister à une prédication si solennelle, ces paroles du texte : «Nostra autem conversatio in cælis est2, » écrites tout exprès, on le pourrait croire, pour préluder à un éloge de sainte Thérèse, avaient fait pressentir déjà le dessein de l'orateur Thérèse, dans son amour pour Dieu, le cherchant par l'espérance; s'élançant vers lui par d'ardents et impétueux désirs; dans son impatience de le posséder, exténuant par les souffrances son corps, qui la retient, pour que l'âme, dégagée de toutes entraves, puisse, libre bientôt, joindre celui vers qui elle aspire; telle Thérèse, naguère, étant apparue au monde, telle aussi l'allait-on voir dans ce discours ayant, dès cette vie, sa demeure au ciel, et en société déjà avec les anges. Instruire, enseigner, ce premier devoir du prédicateur, l'unique but que se doivent proposer ses efforts, c'est à quoi Bossuet, dans la chaire évangélique, se devait appliquer toujours; et de tant de discours que nous avons de lui, on n'en pourrait indiquer aucun où, des entrailles mêmes du sujet qu'il traite, il n'ait su tirer une moralité opportune autant que touchante, proposée d'ailleurs en des termes qui la font agréer tout d'abord. Des souffrances inouies de Thérèse, souffrances désirées par la sainte, qui les avait subies avec tant de joie, devait naître, comme d'elle-même, pour la multitude venue là entendre l'archidiacre de Metz, une exhortation à « endurer patiem

2

Jean Loret, Muze historique, lettres des 20 et 27 octobre 1657.

Epistola B. Pault apostoli ad Philippenses, III, 20.

ment les afflictions, les maladies, la misère, la pauvreté; à porter, d'un courage ferme, telle partie de la croix de Jésus-Christ dont il les aurait chargés. » Mais s'adressant bientôt à ces princes, à ces grands, à ces seigneurs qui, avec tant d'éclat, resplendissent au milieu d'un auditoire où ses yeux ont su apercevoir aussi nombre de personnes obscures et de gens dont le dénûment est extrême, « pour vous, fortunés du siècle (dit-il aux premiers), vous à qui la faveur, les richesses, le crédit et l'autorité font trouver la vie si commode, et qui, dans cet état paisible, semblez être exempts des misères qui affligent les autres hommes, que vous dirai-je aujourd'hui? Jetez, jetez les yeux sur les pauvres membres de Jésus-Christ, qui, étant accablés de maux, ne trouvent point de consolation. Souffrez en eux, souffrez avec eux, descendez à leur misère par la compassion; chargez-vous volontairement d'une partie des maux qu'ils endurent; et, leur prêtant vos mains charitables, aidez-leur à porter la croix sous la pesanteur de laquelle vous les voyez suer et gémir.

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Le moment étant venu de parler à la reine-mère, Madame, permettez-moi de vous dire, avec le respect d'un sujet et la liberté d'un prédicateur, que cette instruction salutaire regarde principalement Votre Majesté. Nous répandons tous les jours des vœux pour sa gloire et pour sa grandeur : nous prions Dieu, avec tout le zèle que notre devoir nous peut inspirer, que sa main ne se lasse pas de verser ses bienfaits sur elle; et, afin que votre joie soit pleine et entière, qu'il fasse que ce grand roi, votre fils, à mesure qu'il s'avance en àge, devienne, tous les jours, plus cher à ses peuples et plus redoutable à ses ennemis. Mais, parmi tant de prospérités, nous ne croyons pas être criminels si nous lui souhaitons aussi

des douleurs; j'entends, Madame, ces douleurs si saintes, qui saisissent les cours chrétiens à la vue des afflictions, et leur font sentir les misères des pauvres membres du Fils de Dieu. Votre Majesté les ressent, Madame; toute la France a vu des marques de cette bonté qui lui est si naturelle. Mais, Madame, ce n'est pas assez; tâchez d'augmenter, tous les jours, ces pieuses inquiétudes qui travaillent Votre Majesté en faveur des misérables. Dans ce secret, dans cette retraite, où les heures vous semblent si douces, parce que vous les passez avec Dieu, affligezvous avec lui des longues souffrances de la chrétienté désolée, et surtout des peuples qui vous sont soumis; et pendant que vous formez de saintes résolutions d'y apporter le soulagement que les affaires pourront permettre; pendant que notre victorieux monarque avance, tous les jours, l'ouvrage de la paix par ses victoires et par cette rie agissante à laquelle il s'accoutume, dès sa jeunesse, attirez-la du ciel par vos vœux; et, pour récompense de ces douleurs que la charité vous inspirera, puissiezvous jamais n'en ressentir d'autres; et, après une longue vie, recevoir enfin, de la main de Dieu, une couronne plus glorieuse que celle qui environne votre front auguste'.

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Quel, en cette rencontre, avait été le succès de Bos

Bossuet, tom. XVI, 490. Louis XIV, ayant compté apparemment être à Metz le 15 octobre, et entendre ce Panégyrique, Bossuet avait préparé pour lui une allocution, où il loue la vie agissante à laquelle ce monarque s'accoutume dès sa jeunesse pour assurer la tranquillité publique, et le félicite d'étendre bien loin ses conquêtes. Il demande que Dieu, multipliant ses victoires, égale sa renommée à celle des plus fameux conquérants. Les deux allocutions, du reste, sont presque identiques, au point que, si Louis XIV cùt été présent, Bossuet se serait vu dans la nécessité d'improviser, pour la reine-mère, un autre compliment que celui qui nous a été conservé.

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