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union qu'on disait tout à l'heure avoir été sévère et toujours respectée! Voltaire a dit, il est vrai, qu'il n'y en eut jamais la moindre preuve. Il reproduit, néanmoins, ou plutôt imagine ce faux bruit; et n'aurait-il pas à cœur que quelqu'un le voulût bien croire?

Parlant à Voltaire, dans une lettre intime, de ce SaintHyacinthe, fils (dit-il) ou bâtard de Bossuet, combien d'Alembert, son ami, était sûr de lui plaire 1! Par malheur, Hyacinthe Cordonnier, sieur de Bel-Air (ce sont les vrais noms de ce prétendu bâtard), était né, en 1684, à Orléans, du légitime mariage de gens que l'évêque de Meaux, presque sexagénaire alors, ne vit jamais; personnes honorables (disons-le en passant): le père, attaché anciennement à Gaston, duc d'Orléans; et la mère, Anne Marie Mathé, femme d'une piété éminente, étant en possession dans ce pays de l'estime de tous. Plus tard, à la vérité, cette famille, qui, dans la suite, s'était allée fixer à Troyes, y étant traitée avec bonté par l'évêque de cette ville, neveu et filleul de l'évêque de Meaux, le moyen, après cela, de ne croire pas que Saint-Hyacinthe fût le fils naturel du grand évêque 3!

Sur ce mariage, allégué si souvent; sur les dires de Voltaire, si heureux d'en parler, quoique trop avisé pour

1 D'Alembert, lettre à Voltaire, 18 février 1768. D'Alembert se rétracta plus tard (en 1779) dans son Éloge de Bossuet; il y dit : « Nous ne perdrens point de temps à repousser le mensonge, déjà réfuté plus d'une fois, sur le prétendu mariage d'un prélat si austère dans ses mœurs. Nous n'opposerons à cette calomnie qu'une courte réponse, etc. »

Dans sa XVIIe note sur cet éloge, il dit : « Bossuet ne s'éloignait pas, comme on le voit par une de ses lettres, d'engager le pape à accorder aux réformés la communion sous les deux espèces; mais son austérité épiscopale tint ferme sur l'article du célibat : ce qui suffirait pour réfuter la fable de son mariage, si elle avait besoin de réfutation, » 2 Journal de Verdun, 1758 (avril ), p. 298.

3 Notice sur la vie et les ouvrages de M. de Saint-Hyacinthe, par Les chevin, en tête de la 9o edition du livre : Le chef-d'œuvre d'un inconnu

y croire, on sait à quoi s'en tenir désormais. Mais qui, au surplus, le sut mieux que Voltaire lui-même? Répondant au marquis de Courtivron, qui, apparemment, lui avait témoigné des scrupules sur quelques faits avancés dans le Siècle de Louis XIV (et, je le soupçonne, sur ces affaires même de mariage et de reprises), « je vous remercie (lui avait-il écrit) de la bonté que vous avez de vous intéresser aux vérités historiques qui peuvent se trouver dans le SIÈCLE DE LOUIS XIV; ces vérités ne sont point du genre des démonstrations1; » épigramme à l'adresse du marquis, éminent géomètre, opticien, astronome, l'une des gloires de l'Académie des sciences, homme sincère, par-dessus cela, et qui, sans exiger, en histoire, des preuves mathématiques, aurait désiré du moins que l'historiographe d'un grand siècle fût consciencieux, véridique; qu'il eût des égards pour ses lecteurs, et qu'enfin il se respectât un peu lui-même. Mais Voltaire, comme on a vu, le renvoyant à son algèbre, lui avait bien su dire que ses vérités historiques, à lui, n'étaient point du genre des démonstrations; et n'eut-il pas en vue, dans ce moment même, ce fameux mariage dont il avait embelli son Siècle de Louis XIV; son roman, en un mot, sur Bossuet et Mile de Mauléon?

Tout cela, cependant, avait fort déplu aussi à un autre académicien, le studieux Lévêque de Burigny (de l'Académie des inscriptions), en bons rapports jusque-là avec Voltaire; mais qui, rempli pour la mémoire de Bossuet d'admiration et de respect, se disposant même à publier une vie de ce grand homme, écrivit, en hate, au philosophe, sur ce chapitre du mariage, des lettres qu'il serait fort intéressant pour nous de connaître. Les vérités historiques de mon Siècle de Louis XIV ne sont point du genre des démonstrations, c'est tout ce que Voltaire avait de meilleur

donnée par lui, en 1807, à Paris, en deux volumes in-12. Notice preli minaire, p. xv et suiv.

Lettre de Voltaire au marquis de Courtivron, 22 juillet 1755.

encore à mander à Burigny, qui s'en fùt contenté peutètre. Mais n'ayant garde de répondre sur ce ton à un laborieux et consciencieux érudit, qui faisait, parfois, pour lui, des recherches, et l'avait souvent aidé de ses lumières, « tout ce que je peux vous dire, monsieur (lui répondait-il), c'est que feu M. Secousse' m'écrivit, il y a quel ques années, à Berlin, que son oncle (mort, qu'on le remarque, dès 1711, plus de cinquante années avant le jour où Voltaire signa cette lettre), que son oncle avait réglé les droits et les reprises de Me des Vieux, fondés sur SON CONTRAT avec M. Bossuet : c'est chose que je vous assure, sur mon honneur 3. » Ses deux garants, en un mot, n'étaient plus; et qui ne voit, d'ailleurs, à quoi se devait résumer leur témoignage?

Secousse, l'oncle, ce profond et illustre jurisconsulte, mort en 1711, avait-il pu avoir à régler des reprises matrimoniales, en exécution d'un contrat de mariage, impossible, on l'a vu, mais, en tout cas, demeuré sans effet, selon le dire de Voltaire lui-même, et, en un mot, devenu caduc? Ce sera aux légistes de répondre; et Voltaire, du reste, use discrètement, cette fois, des mots de contrat, de droits et de reprises, sans plus tant parler de conventions en vue d'un mariage. Sur le contrat de prêt, intervenu, en 1682, entre René Pageau et Catherine Gary de Mauléon; sur le cautionnement consenti alors par Bossuet; sur le long et fâcheux procès que nous avons vu s'ensuivre, l'avocat Jean-Léonard Secousse avait pu être consulté, s'en souvenir, en parler; de là même, sans nul doute, ce que, bien longtemps après sa mort, on lui fait dire de conventions et de reprises.

Denis-François Secousse, avocat au parlement de Paris, membre de l'Académie des inscriptions, mort le 15 mars 1754.

2 Jean-Léonard Secousse, avocat, chef du conseil du duc du Maine, mort le 16 novembre 1711.

3 Lettre de Voltaire à Burigny, juillet 1761.

Burigny, quoi qu'il en soit, dans sa Vie de Bossuet, imprimée en 1761', devait traiter comme elle le mérite cette belle invention de mariage. Voltaire, encore que le biographe, dans ce qu'il dit sur ce point, l'eût ménagé, et, assurément, à l'excès, ne pouvant toutefois supporter qu'on l'osat ainsi contredire, son dépit parut dans une lettre à Burigny, qui lui ayant, jusque-là, envoyé toujours ses productions, avait cru lui devoir envoyer aussi sa Vie de l'évêque de Meaux. Voltaire, dans son remerciement, trèspostérieur à l'envoi du livre, s'excuse lestement sur ce que « le Bénigne Bossuet lui est parvenu fort tard. Vous avouez, ajoute-t-il, que ce Père de l'Église a été un peu Mauléoniste, et cela suffit. Au reste, je fais plus de cas de Porphyre. Je vous remercie, en particulier, d'avoir traduit son livre contre les gourmands; j'espère qu'il me corrigera '. » Remerciement plein, sans doute, de convenance, d'aménité et de grâce. Si, raconter au vrai, comme Burigny, dans cette Vie, le fait après de Boze, les relations les plus notoires pour tous, les plus avouées, les plus légitimes, entre Catherine Gary de Mauléon et Bossuet, ce fut reconnaître que ce dernier avait été un peu Mauléoniste. nos lecteurs en pourront décider, et apprécier aussi une telle plaisanterie en semblable matière. C'était, quoi qu'il en soit, se tirer galamment d'affaire; une si éclatante réparation d'honneur envers le grand pontife outragé, ne laissait plus rien à désirer pour sa mémoire. Burigny, homme érudit, après s'être, autrefois, consumé si longtemps en recherches pour Voltaire, prodigue alors envers lui remerciements, de louanges, de caresses, de questions nouvelles, put comprendre, à cette fois, qu'en ce qui regarde Bossuet Voltaire n'entendant pas qu'on

Vie de Bossuet, évêque de Meaux, par M. de Burigny, de l'Académie royale des inscriptions et belles-lettres; 1761, in-12, p. 93 et suiv. Burigny avait, en 1740, publié une traduction du traité grec de Porphyre, touchant l'abstinence de la chair (avec la vie de Plotin; 1740,

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le renseignât autrement qu'à sa fantaisie, ni même qu'on écrivit dans un autre esprit que le sien, il faudrait, sur ce chapitre, l'en croire à l'aveugle dorénavant, ou, du moins, se bien garder de le dédire.

Qu'avait-il voulu autre chose, par ses récits, qu'ébranler une colonne du temple dont la démolition était jurée ; perdre d'honneur le plus révéré pontife, le dernier Père d'une Église qu'il haïssait avec fureur; persuader enfin à tous, pour parler avec Montaigne, que « autre chose est le presche que le prescheur1. » De tous ces contes, pensait le philosophe, toujours restera-t-il quelque chose; en quoi, sans doute, il témoigna bien connaître les hommes, prompts la plupart à accueillir favorablement les bruits propres à rabaisser ceux qui ont droit à la vénération du monde, à sa confiance, à ses hommages. Aussi, dans son temps, dont, par malheur, il fut l'oracle, beaucoup écoutèrent-ils, en tout sérieux, ces récits de mariage Aujourd'hui même, après que de graves écrivains, et le cardinal de Bausset mieux que tous les autres, ont fait justice de cette fable, quelques-uns voudraient paraître encore y croire. L'auteur d'une Histoire du christianisme, imprimée en 1837, n'a pas craint de la reproduire. Des personnes honnêtes, chaque jour, lorsque le nom de l'évêque de Meaux est prononcé en leur présence, se souvenant aussitôt de ce petit conte de son mariage, demandent ingénument ce qu'il y a, sur cela, de véritable, ne se pouvant résoudre à croire que, gratuitement et sans aucune occasion, de si odieuses imputations aient pu être hasardées, trouver créance et avoir cours. Il convenait donc d'insister, sur ce point, une fois encore; et, après ce qu'en ont

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Montaigne, Essais, liv. II, ch. 10.

Cette supposition (du mariage de Bossuet) était presque devenue historique, » dit M. J. S. La Chapelle, dans son article sur l'histoire de Fénelon, par M. de Bausset. (Moniteur du 6 janvier 1815.)

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3 Histoire du christianisme et des églises chrétiennes, depuis Jésus jusqu'au dix-neuvième siècle, par de Potter; 1837, t. VIII, P. 311.

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