Images de page
PDF
ePub

SCÈNE VIII.

PHILAMINTE, CHRYSALE.

PHILA MINTE.

Avez-vous à lâcher encore quelque trait?

CHRYSALE.

Moi? non. Ne parlons plus de querelles, c'est fait.
Discourons d'autre affaire. À votre fille aînée

On voit quelques dégoûts pour les nœuds d'hyménée,
C'est une philosophe enfin ; je n'en dis rien,
Elle est bien gouvernée, et vous faites fort bien:
Mais de toute autre humeur se trouve sa cadette;
Et je crois qu'il est bon de pourvoir Henriette,
De choisir un mari...

PHILA MINT E.

C'est à quoi j'ai songé;

Et je veux vous ouvrir l'intention que j'ai.

Ce monsieur Trissotin dont on nous fait un crime,
Et qui n'a pas l'honneur d'être dans votre estime,
Est celui que je prends pour l'époux qu'il lui faut;
Et je sais mieux que vous juger de ce qu'il vaut.
La contestation est ici superflue;

1

Et de tout point, chez moi, l'affaire est résolue.
Au moins ne dites mot du choix de cet époux;
Je veux à votre fille en parler avant vous.
J'ai des raisons à faire approuver ma conduite;
Et je connoîtrai bien si vous l'aurez instruite.

SCÈNE I X.

ARISTE, CHRYSALE.

ARIST E.

Hé bien? la femme sort, mon frère; et je vois bien
Que vous venez d'avoir ensemble un entretien.

CHRYSALE.

Oui.

ARIST E.

Quel est le succès? Aurons-nous Henriette? A-t-elle consenti? L'affaire est-elle faite?

CHRYSALE.

Pas tout-à-fait encor.

ARISTE.

Refuse-t-elle?

CHRYSALE.

Non.

[blocks in formation]

C'est que pour gendre elle m'offre un autre homme.

ARIST E.

Un autre homme pour gendre?

CHRYSALE.

Un autre.

ARIST E.

Qui se nomme?

CHRYSALE.

Monsieur Trissotin.

ARIST E.

Quoi! ce monsieur Trissotin...

CHRYSALE.

Oui, qui parle toujours de vers et de latin.

ARIST E.

Vous l'avez accepté?

CHRYSALE.

Moi! point. À dieu ne plaise!

ARIST E.

Qu'avez-vous répondu?

CHRYSALE.

Rien; et je suis bien aise

De n'avoir point parlé, pour ne m'engager pas.

ARIST E.

La raison est fort belle, et c'est faire un grand pas.
Avez-vous su du moins lui proposer Clitandre?

CHRYSALE.

Non; car, comme j'ai vu qu'on parloit d'autre gendre, J'ai cru qu'il étoit mieux de ne m'avancer point.

ARIST E.

Certes, votre prudence est rare au dernier point!
N'avez-vous point de honte, avec votre mollesse?
Et se peut-il qu'un homme ait assez de foiblesse
Pour laisser à sa femme un pouvoir absolu,
Et n'oser attaquer ce qu'elle a résolu?

CHRYSALE.

Mon dieu! vous en parlez, mon frère, bien à l'aise,
Et vous ne savez pas comme le bruit me pèse:
J'aime fort le repos, la paix et la douceur;
Et ma femme est terrible avecque son humeur.
Du nom de philosophe elle fait grand mystère,
Mais elle n'en est pas pour cela moins colère;

Et sa morale, faite à mépriser le bien,

Sur l'aigreur de sa bile opère comme rien.
Pour peu que
l'on s'oppose à ce que veut sa tête,
On en a pour huit jours d'effroyable tempête.
Elle me fait trembler dès qu'elle prend son ton,
Je ne sais où me mettre, et c'est un vrai dragon;
Et cependant, avec toute sa diablerie,

Il faut que je l'appelle et mon cœur et ma mie.

ARIST E.

Allez, c'est se moquer. Votre femme, entre nous,
Est, par vos lâchetés, souveraine sur vous.

Son pouvoir n'est fondé que sur votre foiblesse;
C'est de vous qu'elle prend le titre de maîtresse ;
Vous-même à ses hauteurs vous vous abandonnez,
Et vous faites mener en bête par
le nez.

Quoi! vous ne pouvez pas, voyant comme on vous nomme,
Vous résoudre une fois à vouloir être un homme,
À faire condescendre une femme à vos vœux,
Et prendre assez de cœur pour dire un Je le veux?
Vous laisserez sans honte immoler votre fille
Aux folles visions qui tiennent la famille,

Et de tout votre bien revêtir un nigaud

Pour six mots de latin qu'il leur fait sonner haut;
Un pédant qu'à tout coup votre femme apostrophe

« PrécédentContinuer »