Mais peut-être que ceux qui se montroient si empressés pour procurer des obsèques religieuses à leur camarade, y étoient portés par des sentimens de religion et de piété. Non; quoiqu'accoutumés à jouer des sentimens qu'ils n'ont pas, ils n'ont point pris ce masque. Ils veulent une messe, et ils ne croient pas à la messe. Ils réclament des oremus, et ils rient des oremus. Ils ne vont pas plus que la défunte à l'église; mais ce jour-là il leur a plu d'y aller. Leur désir étoit même si vif qu'il a renversé tous les obstacles? L'église est fermée, on force les portes. On appelle des prêtres en criant contre les prêtres. Le lieu saint retentit de clameurs. C'est au pied même de l'autel qu'on invective contre le fanatisme et la superstition. Le peuple s'amasse; on l'exaspère par d'adroites impostures. On lui dit que c'est une ingratitude de ne point vouloir accorder de prières à celle qui rendit le pain bénit quinze jours auparavant; qui donna alors vingt-cinq louis pour les pauvres; qui, par son testament, leur legue douze mille francs. La foule crédule ajoute foi à ces dons généreux d'une femme toujours poursuivie par ses créanciers, et le tumulte augmente. Enfin, par un dernier artifice, on fait entendre dans l'église un nom révéré. On suppose des ordres émanés d'une bouche auguste. Cette feinte (car nous savons que c'en étoit une) réussit. On obtient un de profundis, chanté avec le recueillement que l'on peut imaginer, et le cortége sort fier d'une victoire si glorieuse. Une telle conduite est-elle, dans le dessein de ses auteurs, un hommage rendu aux morts où une insulte aux vivans? S'il y avoit une note d'infamie attachée à la privation des cérémonies religieuses, je concevrois mieux cet empressement à obtenir les prières de l'Eglise. Mais grâces au progrès de nos lumières, on n'est pas flétri aux yeux du monde pour être privé de ces derniers honneurs. Beaucoup de gens s'en dispensent, et leur famille n'est pas, que je sache, réputée infâme pour cela. Cet événement a donné lieu à des jugemens fort divers. Les amis de la religion s'en sont affligés; ses ennemis en ont triomphé. On a renouvelé, à cette occasion, les vieilles accusations d'intolérance, de fanatisme et de superstition. Mais, en vérité, où est ici l'intolérance? Quel tort vous fait l'Eglise on vous refusant ses prières? elle ne vous ôte que ce dont vous Vous vantez de ne pas vous soucier. Si elle alloit vous insulter dans vos maisons, vous auriez sujet de vous plaindre; mais c'est vous qui venez l'insulter chez elle, et qui l'appelez intolérante. Elle est superstitieuse quand elle remplit ses céré monies, et elle est encore superstitieuse quand elle vous les refuse. Elle seroit fanatique si elle envoyoit ses bédeaux jeter le désordre dans vos spectacles, et elle l'est encore quand c'est vous qui envoyez vos familiers mettre le trouble dans ses temples. Il y a un proverbe un peu trivial, mais très-vrai; c'est que le charbonnier est maître chez soi; et de même qu'on trouveroit ridicule que les prêtres vinssent faire la loi dans une salle de comédie, on peut aussi trouver étrange que les comédiens yeulent être les plus forts à l'église. Si quelque chose appartient à l'Eglise, c'est ce qui se passe dans les lieux consacrés à la prière. Si elle est maîtresse de quelque chose, c'est d'accorder ou de refuser ses suffrages. Un philosophe même lui a reconnu ce droit. Le ministre Turgot, dans un de ses écrits qui a eu la sanction de ses amis, puisqu'ils en ont fait trois ou quatre éditions successives, tant ils en ont trouvé les principes à leur gré, le ministre Turgot dans le Conciliateur, se fait à lui-même cette question : On m'a demandé en lisant cet ouvrage si le Roi au moins ne pourroit pas connoître des refus de sépulture. Et il répond: L'inhumation du corps, le plus ou moins de pompe (je ne parle pas de pompe sacrée), voilà ce qui regarde le magistrat. Les prières, les cérémonies, le lieu saint où doivent reposer les os des morts, voilà le patrimoine de l'Eglise. Il faut donc la laisser mattresse d'en disposer. Elle ne peut accorder la sépulture qu'à ceux qu'elle regarde comme ses enfans. Vouloir la forcer à le faire, c'est l'obliger à traiter comme un des siens celui qu'elle a toujours proscrit ; c'est envier au véritable fidèle un droit que lui seul peut avoir sur les prières des ministres de sa religion. (OEuvres de Turgot, tom. II, pag. 421, dans l'édition donnée à Paris, en 9 volumes, chez Delance, 1808, et années suivantes). Ainsi raisonnoit un magistrat qui n'a pas été accusé de trop favoriser l'Eglise. M. le curé de Saint-Roch a donc en sa faveur les usages de l'église gallicane et les règles prises dans la nature même des choses, la décision de son supérieur, et l'autorité d'un philosophe. Il peut avec de tels suffrages se consoler du reste. L'ABONDANCE des matières nous a forcés à ne pas suivre l'ordre ordinaire de notre Journal, et à consacrer entièrement ce numéro aux nouvelles. L'ordonnance sur l'Université intéressoit un trop grand nombre de nos lecteurs, pour que nous ne l'insérassions pas toute entière, et on verra. par le choix du caractère que nous avons pris, que nous avons fait ce qui étoit en nous pour qu'elle occupât le moins de place possible. Nous avons aussi beaucoup resserré tout ce qui regarde la Cour de Cassation, et nous avons vivement regretté de ne pouvoir mettre en entier le beau discours de M. le chancelier. NOUVELLES ECCLÉSIASTIQUES. PARIS. Calomniez toujours, il en restera quelque chose. C'est une devise fort connue, et chère aux gens de parti. Il y a long-temps qu'on la met en pratique. Dans ce moment même on en fait un usage très-actif. Il circule dans les sociétés, et surtout dans le peuple une calomnie atroce contre un curé de Paris. La version varie beaucoup, selon les différens quartiers; car en passant par tant de bouchés, il est tout simple qu'elle se modifie de mille manières. Mais, il faut être juste, l'esprit est partout le même, et le fond de l'histoire tend également à déshonorer un prêtre. C'est un grand avantage sans doute. Cependant ce n'est pas le tout d'être méchant et scandaleux; il faudroit encore, s'il étoit possible, mettre quelque apparence de vérité dans ses récits. M. Laplanche, curé des Quinze-Vingts, est maTome IV. L'Ami de la R. et du R. No. 89. L lade et dans son lit depuis six semaines. Il est attaqué d'obstructions et d'hydropisie, qui inquiètent ses amis. Une consultation de médecins graves et éclairés le certifie. Du reste, il n'a point été battu, parce qu'il ne s'est point exposé à l'être, et il est assez singulier que l'on ait précisément choisi, pour le héros d'un roman si mal tissu, un homme qui n'est pas sorti de chez lui depuis long-temps. Le fait est donc destitué de toute vraisemblance. N'importe, on le racontera, on le répétera, on le fera circuler dans toutes les classes, on en amusera les oisifs de la capitale et des provinces. Ce bruit favorisera la haine des uns et les moqueries des autres. On s'en servirà pour exciter le peuple au mépris des prêtres, et pour leur peindre la religion sous de fausses couleurs. Déjà on dit que les rues retentissent de mille propos, tous plus outrageans les uns que les autres, le tout à l'occasion d'un fait faux. Plusieurs personnes, qui sont allées à la source, se sont convaincues que ce bruit est encore plus absurde que mé chant. Récemment encore, M. l'abbé Monrocq nous a écrit pour nous faire part de ses informations. Nous n'insérons point sa lettre, parce que d'autres renseignemens nous étoient déjà parvenus, et que nous avions rédigé ce petit article. Mais les détails dans lesquels il entre achèvent de confirmer ce que nous avions appris, et les uns et les autres réunis, doivent tranquilliser les amis de la religion, qui s'étoient affligés de ce scandale, et qui ne connoissoient pas encore apparemment les intentions pures, l'esprit inventif, et la bienveillance des charitables auteurs de ces bruits. BRUGES. Les journaux françois n'ont pas rapporté très-exactement ce qui s'est passé à Gand, à l'occasion du Te Deum. Il n'étoit pas vrai de dire que le refus du clergé tint à des sentimens peu favorables pour le gouvernement. Voici des détails très-sûrs de cette affaire. Le 30 janvier, M. le comte de Lens, maire de Gand, avoit pris un arrêté pour faire chanter un Te Deum, le sa medi 4 février, dans l'église cathédrale. Il s'étoit abstenu de s'entendre, sur ce sujet, avec l'évêché, comme il semble que cela étoit convenable; de sorte que les grands-vicaires, de leur côté, avoient annoncé, pour le dimanche 5, un Te Deum dans toutes les églises, et avoient chargé les curés d'en instruire leurs paroissiens. Cette annonce étoit affichée par toute la ville, et il n'étoit guère possible de changer cette invitation. Le maire, blessé du refús, fit publier, le 3 février, qu'il n'y auroit pas de Te Deum le lendemain, sans ajouter qu'il auroit lieu le dimanche suivant. Il paroît que ce magistrat ignoroit que l'usage, comme la convenance, veulent que, pour ces sortes de cérémonies, l'autorité civile s'entende avec la puissance ecclésiastique. Une lettre adressée aux évêques par le gouvernement de la Belgique, en date du 7 mars 1814, porte que c'est aux autorités ecclésiastiques à régler ce qui concerne la religion. Dans cette ville, qui fait partie du diocèse de Gand, les magistrats n'ont point pris l'initiative lors du dernier Te Deum. Nous espérons, du reste, que cette discussion n'aura pas de suite, que l'harmonie entre les deux puis'sances, n'en sera pas troublée, et que le gouvernement approuvera la conduite d'ecclésiastiques que l'on ne sauroit soupçonner d'avoir des vues contraires à ses intérêts, et qui n'ont pas besoin de prouver combien ils sont satisfaits d'être délivrés du joug d'un despote. L'époque du 4 février, qui est l'anniversaire de la délivrance de Gand, sera toujours précieuse à leurs yeux, et leur empressement à en remercier la Providence est même remarquable en cette occasion. NOUVELLES POLITIQUES. PARIS. La Cour de Cassation a été installée le mardi 23 février. A onze heures et demie, Mgr. le chancelier est arrivé au Palais. Sa voiture étoit précédée d'un piquet de cavalerie. Ce chef de la magistrature a été reçu au pied du grand escalier, et conduit, au milieu d'une haie de |