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DE Existentia Dei. Opus posthumum D. le Grand. -De l'Existence de Dieu. Ouvrage posthume de M. le Grand (1).

Je me rappelle avoir ouï dire à un homme du monde, qu'il n'approuvoit pas les ouvrages destinés à prouver l'existence de Dieu, non sans doute qu'il se refusât à croire ce dogme essentiel et primitif, mais parce qu'il jugeoit qu'une si haute vérité ne devoit point être livrée aux disputes; parce qu'il la regardoit plutôt comme du domaine du sentiment que du raisonnement; parce qu'il craignoit que la défendre ne donnât l'envie de l'attaquer. J'ose croire que cet homme, dont je ne suspecte pas les intentions, étoit dans l'erreur sur ce point. Il ne considéroit pas assez la différence des temps et des opinions. Que dans un siècle où personne ne se seroit élevé contre le dogme de l'existence. de Dieu, on entreprît d'en donner une démonstration, il seroit possible à toute force de blâmer avec apparence de raison, un projet qui forceroit à rappeler des objections auxquelles nous supposons que personne ne songeroit. Sous ce rapport, un tel ouvrage seroit inutile, et pourroit même devenir dangereux. Mais quand l'existence de Dieu a trouvé des contradicteurs, quand elle a été attaquée dans des livres exprès, ou quand on l'a présentée comme une opinion problématique et sujette à de grandes difficuités; quand enfin on a cherché à arracher du cœur des hommes une croyance aussi consolante et aussi

(1) Un gros volume in-8°.; prix, 7 fr. et 8 fr, franc de port. A Paris, au bureau du Journal.

Tome IV. L'Ami de la R. et du R. No.

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noble, alors il doit être bien permis, ce semble, de montrer combien elle est fondée en raison; alors il n'y a plus d'inconvénient à réfuter des objections qui ont couru de bouche en bouche, et qui sont consignées dans des écrits connus. Ecrire en faveur de ce dogme, c'est au contraire bien mériter de la société. Sans doute on louera Fénélon d'avoir tracé avec autant de clarté que de force ces pages éloquentes, où il nous montre Dieu empreint dans toute la nature. On saura gré même à Voltaire d'avoir montré contre l'athéisme cette vivacité et cette chaleur qui l'égarèrent si fort sur d'autres objets. Jusque dans les derniers temps de sa vieillesse, il s'est élevé contre ces systêmes que cette époque voyoit éclore, et qu'il aimoit à couvrir de ridicule et de mépris. Lorsque le livre des Trois Imposteurs parut, l'athéisme grossier de ce mauvais ouvrage révolta son ame, et sa muse presque octogénaire retrouva pour le combattre sa vigueur et sa verve. Ces vers méritent d'autant mieux d'être cités ici, qu'ils font partie d'une pièce peu connue :

Cet architecte existe (Dieu ); et quiconque le nie,
Sous le manteau du sage est atteint de manie.
Consulte Zoroastre, et Minos, et Solon,

Et le martyr Socrate, et le grand Cicéron;
Ils ont adoré tous un maître, un juge, un père.
Ce systême sublime à l'homme est nécessaire.
C'est le sacré lien de la société,

Le premier fondement de la sainte équité,
Le frein du scélérat, l'espérance du juste.
Si les cieux dépouillés de son empreinte auguste
Pouvoient cesser jamais de le manifester,

Si Dieu n'existoit pas, il faudroit l'inventer.
Que le sage l'annonce, et que les rois le craignent.
Rois, si vous m'opprimez, si vos grandeurs dédaignent
Les pleurs de l'innocent que vous faites couler,
Mon vengeur est au ciel; apprenez à trembler.

Malgré ces beaux vers et malgré l'autorité de Voltaire, qui malheureusement a souvent employé son autorité et sa muse à prêcher une doctrine moins saine, c'est depuis lui qu'on a vu se multiplier le nombre des athées, ou du moins de ceux qui en ont pris le nom. Car on soupçonne qu'il n'y en a pas autant qu'on a quelquefois voulu le faire croire, et on n'exigera pas de nous que nous nous en rapportions sur cet article à Sylvain Maréchal et au Dictionnaire qu'il a compilé. L'auteur et l'ouvrage sont tombés dans un tel mépris, qu'on est dispensé d'en relever toutes les inepties. Que dire d'un homme qui inscrit le nom de Dieu dans la liste des athées, qui y met tous les chrétiens en masse, les Chinois, les Espagnols, l'Amérique, le Portugal, l'Italie, etc. etc.? La manière seule dont sa nomenclature est remplie, prouveroit seule combien il auroit eu de peine à trouver un nombre considérable d'athées, à qui cette qualification pût véritablement convenir. C'est faute d'en avoir à nommer qu'il est allé prendre à tort et à travers les personnages les moins faits pour être inscrits sur cet étrange registre. Les Pères de l'Eglise, Bossuet, Fénélon, Descartes, Leibnitz, Newton, Clarke, Pascal, c'est-à-dire, les plus célèbres défenseurs de la Divinité, ont été rangés par Sylvain Maréchal dans la catégorie de ses ennemis. Heureusement que le calomniateur en a été pour sa peine. Confondu par les ouvrages de ces illustres morts, il l'a encore été par les réclamations de plusieurs hommes vivans qu'il s'étoit permis d'accuser, et la honte lui en est restée toute entière. Mais laissons en paix sa cendre, et ne le troublons pas dans l'obscurité qui fut son apanage durant sa vie, et qui a suivi son nom après sa mort. Le systême de l'athéisme, dont il fut un ardent

défenseur, peut être regardé comme un systéme positif, ou comme un état de doute. Or, il est assez vraisemblable que la plupart de ceux que l'on désigne comme athées, n'ont été ou ne sont véritablement que des sceptiques sur ce point. Leur incrédulité, quelque décidée qu'elle soit, ne va pas 'elle soit, ne va pas ordinairement au-delà d'un pyrrhonisme vague, dont ils ne mettent pas beaucoup d'empressement à sortir. Ils ne se rendent peut-être pas assez compte des motifs de leur hésitation, et ils restent tranquillement endormis sur un oreiller commode à leur paresse. Il s'agit de les réveiller de cet assoupissement, et de les forcer à réfléchir. Pour cela les renverrons-nous à l'ouvrage de l'abbé le Grand. Ne seront-ils pas rebutés au seul aspect d'une langue morte, de formes graves, d'un appareil scolastique? Ne regarderont-ils pas avec dédain, ne traiteront-ils pas de pédant un auteur armé de raisonnemens abstraits, et qui dans sa marche méthodique, mais sèche, songe plus à l'enchaînement de ses preuves qu'à l'élégance de son style? Ne seront-ils point tentés de le renvoyer sur les bancs? Il seroit possible qu'ils lui fissent cet affront. Mais j'en serois plus fâché pour eux que pour lui. Car s'ils ne s'arrêtoient pas à cette écorce, s'ils savoient surmonter les premières difficultés, ou plutôt ne pas s'en tenir aux premières apparences, ils trouveroient bientôt une logique d'autant plus sûre qu'elle procède plus lentement. M. le Grand marche avec les précautions scrupuleuses d'un soldat qui explore attentivement tout le pays qu'il est chargé de reconnoître. Il ne laisse rien passer sans l'examiner à fond. Il s'avance de poste en poste, fortifiant tout sur son chemin, ne donnant rien au hasard, et s'entourant de tant de moyens qu'il force son ennemi à reculer. Tel est

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M. le Grand, si l'on peut comparer un théologien à un guerrier. Il est un peu lent dans ses procédés, mais il n'en est que plus exact. L'ouvrage que nous annoncons n'est pas même la réunion de tous les travaux de M. le Grand. Ce docteur avoit conçu le projet d'un grand ouvrage sur la religion, dans lequel il auroit environné le dogme de l'existence de Dieu de toutes ses preuves, et réfuté tous les systêmes imaginés pour se passer de cet être créateur et conservateur. Il n'a terminé qu'une partie de ce projet qui, dans son plan, eût eu beaucoup d'étendue; et le livre que l'on vient d'imprimer ne contient que deux dissertations, la première sur l'athéisme en général, la seconde sur la preuve de l'existence de Dieu, tirée de ce qu'il existe des êtres, et de ce qu'il est néces→ saire par cela seul d'admettre un être existant par lui-même, qui ait créé cet univers et tout ce qu'il renferme. Dans la première dissertation, qui est assez courte, l'auteur donne des notions préliminaires, et examine les différens systêmes imaginés pour donner à l'athéisme une couleur spécieuse. Dans la seconde, qui remplit le reste du volume, il montre que la matière n'a pu se faire toute seule. Dans ce genre de preuves, qu'on appelle à posteriori, l'auteur passe en revue les difficultés élevées par Spinosa, par les manichéens et par quelques autres, tant anciens que modernes, et il déduit l'un après l'autre les attributs de Dieu par une suite de raisonnemens qui nous ont paru bien liés entr'eux. Cette liaison sera sûrement sentie par les personnes accoutumées aux discussions philosophiques, et qui ne s'effraient point des abstractions de la métaphysique et des formules de l'école. C'est pour elles principalement qu'a travaillé M. le Grand, et le mérite de ses travaux sera parti

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