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surgés ne voulaient rien rabattre de l'enfer pur et simple. Cependant, lorsqu'ils sont devenus philosophes ils se sont mis à nier l'éternité des peines, laissant néanmoins subsister un enfer à temps, uniquement pour la bonne police, et de peur de faire monter au ciel, tout d'un trait, Néron et Messaline à côté de saint Louis et de sainte Thérèse. Mais un enfer temporaire n'est autre chose que le purgatoire; en sorte qu'après s'être brouillés avec nous parce qu'ils ne voulaient point de purgatoire, ils se brouillent de nouveau parce qu'ils ne veulent que le purgatoire purgatoire : c'est cela qui est extravagant, comme vous disiez tout à l'heure. Mais en voilà assez sur ce sujet. Je me hâte d'arriver à l'une des considérations les plus dignes d'exercer toute l'intelligence de l'homme, quoique, dans le fait, le commun des hommes s'en occupe fort peu.

Le juste, en souffrant volontairement, ne satisfait pas seulement pour lui, mais pour le coupable par voie de réversibilité.

C'est une des plus grandes et des plus importantes vérités de l'ordre spirituel; mais il me faudrait pour la traiter à fond plus de temps qu'il ne m'en reste aujourd'hui. Remettons-en donc la discussion à demain, et lais

sez-moi consacrer les derniers moments de la soirée au développement de quelques réflexions qui se sont présentées à mon esprit sur le même sujet.

On ne saurait expliquer, dit-on, par les seules lumières de la raison, les succès du méchant et les souffrances du juste dans ce monde. Ce qui signifie sans doute qu'il y a dans l'ordre que nous voyons une injustice qui ne s'accorde pas avec la justice de Dieu; autrement l'objection n'aurait point de sens. Or, cette objection pouvant partir de la bouche d'un athée ou de celle d'un théiste, je ferai d'abord la première supposition pour écarter toute espèce de confusion. Voyez donc ce que tout cela veut dire de la part d'un de ces athées de persuasion et de profession.

Je ne sais en vérité si ce malheureux Hume s'est compris lui-même, lorsqu'il a dit si criminellement, et même si sottement avec tout son génie : Qu'il était impossible de justifier le caractère de la Divinité (1). Justifier le caractère d'un être qui n'existe pas !

(1) Il a dit en effet en propres termes : « Qu'il est impossible à la << raison naturelle de justifier le caractère de la Divinité. » ( Essay on liberty and necessity. vers. fin. ) Il ajoute avec une froide et révoltante audace : « Montrer que Dieu n'est pas l'auteur du péché, c'est

Encore une fois, qu'est-ce qu'on veut dire ? Il me semble que tout se réduit à ce raisonnement: Dieu EST injuste, donc il n'existe pas. Ceci est curieux! Autant vaut le Spinosa de Voltaire qui dit à Dieu : Je crois bien entre nous que vous n'existez pas (1). Il faudra donc que le mécréant se retourne et dise Que l'existence du mal est un argument contre celle de Dieu; parceque si Dieu existait, ce mal, qui est une injustice, n'existerait pas. Ah! ces messieurs savent donc que Dieu qui n'existe pas est juste par essence! Ils connaissent les attributs d'un être chimérique ; et ils sont en état de nous dire à point nommé comment Dieu serait fait si par hasard il y en avait un : en vérité il n'y a pas de folie mieux conditionnée. S'il était permis de rire en un sujet aussi triste, qui ne rirait d'entendre des hommes qui ont fort bien une tête sur les épaules comme nous, argumenter contre Dieu de cette même idée qu'il leur a donnée de lui-même, sans faire attention que cette seule idée prouve Dieu, puisqu'on ne saurait avoir l'idée de ce

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« ce qui a passé jusqu'à présent toutes les forces de la philosophie. (Ibid. Essays, tom. III, sect. viii. v. Beatty. on Truth. part. II, ch. ii.) (5) Voyez la pièce très connue intituléc les Systèmes.

qui n'existe pas? En effet, l'homme peut-il se représenter à lui-même, et la peinture peut-elle représenter à ses yeux autre chose que ce qui existe ? L'inépuisable imagination de Raphael a pu couvrir sa fameuse galerie d'assemblages fantastiques; mais chaque pièce existe dans la nature. Il en est de même du monde moral: l'homme ne peut concevoir que ce qui est; ainsi l'athée, pour nier Dieu, le suppose.

Au surplus, messieurs, tout ceci n'est qu'une espèce de préface à l'idée favorite que je voulais vous communiquer. J'admets la supposition folle d'un dieu hypothétiqne, et j'admets encore que les lois de l'univers puissent être injustes ou cruelles à notre égard sans qu'elles aient d'auteur intelligent; ce qui est cependant le comble de l'extravagance qu'en résultera-t-il contre l'existence de Dieu ? Rien du tout. L'intelligence ne se prouve à l'intelligence que par le nombre. Toutes les autres considérations ne peuvent se rapporter qu'à certaines propriétés ou qualités du sujet intelligent, ce qui n'a rien de commun avec la question primitive de l'exis

tence.

Le nombre, messieurs, le nombre! ou l'or.

dre et la symétrie; car l'ordre n'est que le nombre ordonné, et la symétrie n'est que l'ordre aperçu et comparé.

Dites-moi, je vous prie, si, lorsque Néron illuminait jadis ses jardins avec des torches dont chacune renfermait et brûlait un homme vivant, l'alignement de ces horribles flambeaux ne prouvait pas au spectateur une intelligence ordonnatrice aussi bien que la paisible illumination faite hier pour la fête de S. M. l'impératrice-mère (1)? Si le mois de juillet ramenait chaque année la peste, ce joli cycle serait tout aussi régulier que celui des moissons. Commençons donc à voir si le nombre est dans l'univers; de savoir ensuite si et pourquoi l'homme est traité bien ou mal dans ce même monde : c'est une autre question qu'on peut examiner une autre fois, et qui n'a rien de commun avec la première.

Le nombre est la barrière évidente entre la brute et nous; dans l'ordre immatériel, comme dans l'ordre physique, l'usage du feu nous distingue d'elle d'une manière tranchante et ineffaçable. Dieu nous a donné le nombre, et

(1) Cette circonstance fixe la date du dialogue au 23 juillet.
(Note de l'editeur.)

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