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les fois qu'elles sont à portée d'agir. Du moment où le Christianisme parut dans le monde, il se fit un changement sensible dans les écrits des philosophes, ennemis même ou indifférents. Tous ces écrits ont, si je puis m'exprimer ainsi, une couleur que n'avaient pas ouvrages antérieurs à cette grande époque. Si donc la raison humaine veut nous montrer ses forces, qu'elle cherche ses preuves avant notre ère; qu'elle ne vienne point battre sa nourrice; et, comme elle l'a fait si souvent, nous citer ce qu'elle tient de la révélation, pour nous prouver qu'elle n'en a pas besoin. Laissez-moi, de grâce, vous rappeler un trait ineffable de ce fou du grand genre (comme l'appelle Buffon), qui a tant influé sur un siècle bien digne de l'écouter. Rousseau nous dit fièrement dans son Émile: Qu'on lui soutient vainement la nécessité d'une révélation, puisque Dieu a tout dit à nos yeux, à notre conscience et à notre jugement que Dieu veut être adoré EN ESPRIT ET EN VÉRITÉ, et que tout le reste n'est qu'une affaire de police (1). Voilà, messieurs, ce qui s'appelle raisonner! Adorer Dieu en esprit et en vérité! C'est

(1) Emile. La Haie, 1762, in-8°, tom. III, p. 155,

une bagatelle sans doute! il n'a fallu QUE Dieu pour nous l'enseigner.

Lorsqu'une bonne nous demandait jadis : Pourquoi Dieu nous a-t-il mis au monde ? Nous répondions: Pour le connaître, l'aimer, le servir dans cette vie, et mériter ainsi ses récompenses dans l'autre. Voyez comment cette réponse, qui est à la portée de la première enfance, est cependant si admirable, si étourdissante, si incontestablement audessus de tout ce que la science humaine réunie a jamais pu imaginer; que le sceau divin est aussi visible sur cette ligne du Catéchisme élémentaire que sur le Cantique de Marie, ou sur les oracles les plus pénétrants du SERMON DE LA MONTAGNE.

Ne soyons donc nullement surpris si cette doctrine divine, plus ou moins connue de Sénèque, a produit dans ses écrits une foule de traits qu'on ne saurait trop remarquer. J'espère que cette petite discussion, que nous avons pour ainsi dire trouvée sur notre route, ne vous aura point ennuyés.

Quant à La Harpe, que j'avais tout à fait perdu de vue, que voulez-vous que je vous dise? En faveur de ses talents, de sa noble résolution, de son repentir sincère, de son

invariable persévérance, faisons grâce à tout ce qu'il a dit sur des choses qu'il n'entendait pas, ou qui réveillaient dans lui quelque passion mal assoupie. Qu'il repose en paix! Et nous aussi, messieurs, allons reposer en paix; nous avons fait un excès aujourd'hui, car il est deux heures: cependant il ne faut pas nous en repentir. Toutes les soirées de cette grande ville n'auront pas été aussi innocentes, ni par conséquent aussi heureuses que la nôtre. Reposons donc en paix! et puisse ce sommeil tranquille, précédé et produit par des travaux utiles et d'innocents plaisirs, être l'image et le gage de ce repos sans fin qui n'est accordé de même qu'à une suite de jours passés comme les heures qui viennent de s'écouler pour nous!

FIN DU NEUVIEME ENTRETIEN.

NOTES DU NEUVIÈME ENTRETIEN.

No I.

(Page 140. Examen de l'évidence intrinsèque du Christianisme.) Ce livre fut traduit en français sous ce titre : Vue de l'evidence de la Religion chrétienne, considérée en elle-même, par M. Jennings. Paris, 1764, in-12. Le traducteur, M. Le Tourneur, se permit de mutiler et d'altérer l'ouvrage sans en avertir, ce qu'il ne faut, je crois, jamais faire. On lira avec plus de fruit la traduction de l'abbé de Feller avec des notes. Liége, 1779, in-12. Elle est inférieure du côté du style, mais ce n'est pas de quoi il s'agit. Celle de Le Tourneur est remarquable par cette épigraphe, faite pour le siècle : Vous me persuaderiez PRESQUE d'étre Chrétien. (Act. XXVI, 29.)

II.

(Page 163. Il n'y eut jamais rien de plus légal et de plus libre que l'introduction du Christianisme au Japon.)

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Rien n'est si vrai : il suffit de citer les lettres de saint François Xavier. Il écrivait de Malaca, le 20 juin 1549 : « Je pars (pour le Japon) moi troisième, avec Cosme, Turiani et Jean Fernand: nous << sommes accompagnés de trois Chrétiens japonais, sujets d'une rare probité.... Les Japonnais viennent fort à propos d'envoyer des am<<bassadeurs au vice-roi des Indes, pour en obtenir des prêtres qui

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puissent les instruire dans la religion chrétienne. » Et le 3 novembre de la même année, il écrivait de Congoximo au Japon, où il était arrivé le 5 août : « Deux bonzes et d'autres Japonnais, en grand nombre, << s'en vont à Goa pour s'y instruire dans la foi.» (S. Francisci Xaverii, Ind. ap. Epistolæ. Wratislaviæ, 1734, in-12, page 160 et 208.)

III.

(Page 167. Voltaire..... objecte que Marc-Aurèle et Epiclète parlent CONTINUELLEMENT d'aimer Dieu.)

Voy. les Pensées de Pascal. Paris, Reynouard, 1803, 2 vol. in-8°, tom. II, pag. 328.- Il y a dans ce passage de Voltaire autant de bévues que de mots. Car sans parler du continuellement, qui est tout à fait ridicule, parler d'aimer Dieu n'est point du tout demander à Dieu la grâce de l'aimer; et c'est ce que Pascal a dit. Ensuite Marc-Aurèle et Epictete n'étaient pas des religions. Pascal n'a point dit (ce qu'il aurait pu dire cependant) : Aucun homme hors de notre religion n'a demandé, etc. Il a dit, ce qui est fort différent: Aucune autre religion que la nôtre, etc. Qu'importe que tel ou tel homme ait pu dire quelques mots mal prononcés sur l'amour de Dieu ? Il ne s'agit pas d'en parler, il s'agit de l'avoir; il s'agit même de l'inspirer aux autres, et de l'inspirer en vertu d'une institution générale, à portée de tous les esprits. Or, voilà ce qu'a fait le Christianisme, et voilà ce que jamais la philosophie n'a fait, ne fera ni ne peut faire. On ne saurait assez le répéter : elle ne peut rien sur le cœur de l'homme. Circum præcordia ludit. Elle se joue autour du cœur ; jamais elle n'entre.

IV.

(Page 168.... Vous ne douterez guère qu'il (Sénèque) n'ait eu les Chrétiens en vue.)

« Que sont, dit-il, dans son épître LXXVIII, que sont les maladies << les plus cruelles comparées aux flammes, aux chevalets, aux lames «< rougies, à ces plaies faites par un raffinement de cruauté sur des «< membres déjà enflammés par des plaies précédentes? Et cependant, « au milieu de ces supplices, un homme a pu ne pas laisser échapper <«< un soupir ; il a pu ne pas supplier : ce n'est pas assez, il a pu ne pas répondre: ce n'est point assez encore; il a pu rire, et même de bon « cœur. » Et ailleurs : « Quoi donc, si le fer, après avoir menacé la << tête de l'homme intrépide, creuse, découpe l'une après l'autre «< toutes les parties de son corps; si on lui fait contempler ses entrailles << dans son propre sein; si, pour aiguiser la douleur, on interrompt <«<son supplice pour le reprendre bientôt après; si l'on déchire scs

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