Images de page
PDF
ePub

sincérité: quelle haine d'un côté, et de l'autre quelle prodigieuse indifférence parmi vous pour la religion et pour tout ce qui s'y rapporte! quel déchaînement de tous les pouvoirs catholiques contre le chef de votre religion! à quelle extrémité l'invasion générale de vos princes n'a-t-elle pas réduit chez vous l'ordre sacerdotal! L'esprit public qui les inspire ou les imite s'est tourné entièrement contre cet ordre. C'est une conjuration, c'est une espèce de rage; et pour moi je ne doute pas que le pape n'aimât mieux traiter une affaire ecclésiastique avec l'Angleterre qu'avec tel ou tel cabinet catholique que je pourrais vous nommer. Quel sera le résultat du tonnerre qui recommence à gronder dans ce moment? Des millions de Catholiques passeront peut-être sous des sceptres hétérodoxes pour vous et même pour nous. S'il en était ainsi, j'espère bien que vous êtes trop éclairés pour compter sur ce qu'on appelle tolérance; car vous savez de reste que le Catholicisme n'est jamais toléré dans la force du terme. Quand on vous permet d'entendre la messe et qu'on ne fusille pas vos prêtres, on appelle cela tolérance; cependant ce n'est pas tout à fait votre compte. Examinez-vous

d'ailleurs vous-mêmes dans le silence des préjugés, et vous sentirez que votre pouvoir vous échappe; vous n'avez plus cette conscience de la force qui reparaît souvent sous la plume d'Homère, lorsqu'il veut nous rendre sensibles les hauteurs du courage. Vous n'avez plus de héros. Vous n'osez plus rien, et l'on ose tout contre vous. Contemplez ce lugubre tableau; joignez-y l'attente des hommes choisis, et vous verrez si les illuminés ont tort d'envisager comme plus ou moins prochaine une troisième explosion de la toute-puissante bonté en faveur du genre humain. Je ne finirais pas si je voulais rassembler toutes les preuves qui se réunissent pour justifier cette grande attente. Encore une fois, ne blâmez pas les gens qui s'en occupent et qui voient, dans la révélation même, des raisons de prévoir une révélation de la révélation. Appelez, si vous voulez, ces hommes illuminés; je serai tout à fait d'accord avec vous, pourvu que vous prononciez le nom sérieusement.

Vous, mon cher comte, vous, apôtre si sévère de l'unité et de l'autorité, vous n'avez pas oublié sans doute tout ce que vous nous avez dit au commencement de ces entre

tiens, sur tout ce qui se passe d'extraordinaire dans ce moment. Tout annonce, et vos propres observations mêmes le démontrent, je ne sais quelle grande unité vers laquelle nous marchons à grands pas. Vous ne pouvez donc pas, sans vous mettre en contradiction avec vous-même, condamner ceux qui saluent de loin cette unité, comme vous le disiez, et qui essaient, suivant leurs forces, de pénétrer des mystères si redoutables sans doute, mais tout à la fois si consolants pour

vous.

Et ne dites point que tout est dit, que tout est révélé, et qu'il ne nous est permis d'attendre rien de nouveau. Sans doute que rien ne nous manque pour le salut; mais du côté des connaissances divines, il nous manque beaucoup; et quant aux manifestations futures, j'ai, comme vous voyez, mille raisons pour m'y attendre, tandis que vous n'en avez pas une pour me prouver le contraire. L'Hébreu qui accomplissait la loi n'était-il pas en sûreté de conscience? Je vous citerais, s'il le fallait, je ne sais combien de passages de la Bible, qui promettent au sacrifice judaïq e et au trône de David une durée égale à celle du soleil. Le Juif qui s'en tenait à l'é

corce avait toute raison, jusqu'à l'événement, de croire au règne temporel du Messie; il se trompait néanmoins, comme on le vit depuis mais savons-nous ce qui nous attend nous-mêmes? Dieu sera avec nous jusqu'à la fin des siècles; les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre l'Eglise, etc. Fort bien! en résulte-t-il, je vous prie, que Dieu s'est interdit toute manifestation nouvelle, et qu'il ne nous est plus permis de nous apprendre rien au delà de ce que nous savons? ce serait, il faut l'avouer, un étrange raisonnement.

Je veux, avant de finir, arrêter vos regards sur deux circonstances remarquables de notre époque. Je veux parler d'abord de l'état actuel du Protestantisme qui, de toutes parts, se déclare socinien: c'est ce qu'on pourrait appeler son ultimatum, tant prédit à leurs pères. C'est le mahométisme européen, inévitable conséquence de la réforme. Ce mot de mahométisme pourra sans doute vous surprendre au premier aspect; cependant rien n'est plus simple. Abbadie, l'un des premiers docteurs de l'église protestante, a consacré, comme vous le savez, un volume entier de son admirable ouvrage sur la vérité de la religion chrétienne, à la preuve de la

divinité du Sauveur. Or, dans ce volume, il avance avec grande connaissance de cause, que si Jésus-Christ n'est pas Dieu, Mahomet doit être incontestablement considéré comme l'apôtre et le bienfaiteur du genre humain, puisqu'il l'aurait arraché à la plus coupable idolâtrie. Le chevalier Jones a remarqué quelque part que le mahométisme est une secte chrétienne, ce qui est incontestable et pas assez connu. La même idée avait été saisie par Leibnitz, et, avant ce dernier, par le ministre Jurieu (1). L'Islamisme admettant l'unité de Dieu et la mission divine de JésusChrist, dans lequel cependant il ne voit qu'une excellente créature , pourquoi n'appartiendrait-il pas au Christianisme autant que l'Arianisme, qui professe la même doctrine? Il y a plus; on pourrait, je crois, tirer de l'Al

(1) « Les Mahométans, quoi qu'on puisse dire au contraire, sont « certainement une sccte de Chrétiens, si cependant des hommes qui « suivent l'hérésie impie d'Arius méritent le nom de Chrétiens. »

(wm Jone's a description of Asia. — Works, in-40, tom. V, p. 588.) Il faut avouer que les Sociniens approchent fort des Mahometans. (Leibnitz, dans ses œuvres in-4°, tom. V, pag. 481. Esprit et pensées du même, in-8°, tom. II, pag. 84.)

Les Mahometans sont, comme le dit M. Jurieu, une secte du Christiavisme. (Nicole, dans le traité de l'unité de l'Eglise, in-12, liv. III, ch. 2, pag. 341.) On peut donc ajouter le témoignage de Nicole aux trois autres déjà cités.

« PrécédentContinuer »