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mettoient en œuvre tous les moyens de séduction, en retenant cependant l'explosion jusqu'au moment qui paroîtroit favorable pour la faire éclater avec succès. On parvint ainsi à paralyser la fidélité des citoyens de Strasbourg et le zèle du conseil général du département qui étoit assemblé par suite de l'ordonnance du Roi du 1 mars, et dont la majeure partie, ou la totalité peut-être, étoit composée d'hommes bien pensans. Les citoyens de Strasbourg mettant leur confiance dans la fidélité de Suchet, vivoient dans une parfaite tranquillité, se doutant à peine du danger qui approchoit de plus en plus.

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Ce fut dans cet état d'apathie et d'aveuglement que les trouva, le 18, l'auteur d'un des deux rapports d'où nous tirons ce récit. Cet étranger avoit reçu l'ordre de quitter Paris le 13, à une époque où le succès momentané de l'usurpateur paroissoit déjà assuré à tous ceux qui avoient été à même de suivre les évènemens. Sa mission portoit d'observer l'esprit public en Champagne et en Lorraine, et de rendre compte à son souverain du résultat de ses observations. Traversant les détachemens de troupes sorties de Metz, qui marchoient sur Melun pour former une armée royale, il avoit pu se convaincre de la trahison que ces soldats méditoient. Plusieurs offi

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ciers, avec lesquels il eut occasion de s'entretenir, ne lui cachèrent pas que leurs troupes se déclareroient pour Buonaparte aussitôt qu'elles le rencontreroient. La manière dont M. le maréchal Oudinot s'en expliqua à cet égard à son passage par Ligny et Bar-le-Duc, fit voir clairement que lui-même n'avoit aucune confiance en cette troupe rebelle. Le voyageur acquit alors la certitude que la cause du Roi étoit compromise, et que le crime triompheroit.

Ces nouvelles apportées à Strasbourg le 18, répandirent la consternation parmi les habitans de la ville, auxquels le rapporteur crut de son devoir de ne pas les cacher. Dans des conférences qu'il eut avec quelques personnes qui, par les places qu'ils occupent, ou par l'estime dont ils jouissent, exercent de l'influence sur la détermination de leurs concitoyens, on avisa aux moyens de prévenir le malheur qui menaçoit l'Alsace, et de sauver au roi cette importante province. Malheureusement les autorités supérieures dont le concours étoit nécessaire pour l'exécution d'une mesure salutaire, n'inspiroient pas de confiance. Le préfet, arrivé depuis peu, n'étoit pas connu dans le département, où l'on regrettoit vivement son prédécesseur, M. Lezay-Marnézia, mort victime de

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séquence le rapporteur (1) eut dans la matinée du 19 une longue conférence avec le maréchal Suchet. Il dit à ce gouverneur que les yeux toute la France étoient fixés sur un général qui avoit conservé intacte la gloire du nom françois, en ramenant dans leur patrie des bataillons qui n'avoient jamais été vaincus; qu'à Paris on plaçoit son nom à côté de celui du maréchal Macdonald, parmi le petit nombre d'hommes dont la fidélité étoit à toute épreuve; qu'il se combleroit d'une gloire immortelle en conservant au Roi l'intéressante frontière qu'il commandoit, et la préservant peut-être d'une invasion. Le maréchal répondit que pendant quelque temps il avoit pensé au moyen de retenir les places de son gouvernement dans l'obéissance, mais qu'il

(1) Le rapporteur eut, dans la soirée du 18, la visite du général Dépinoy; commandant de la place, qui lui fit une série de questions sur ce qu'il avoit vurà Paris et dans les départemens. N'ayant pas eu le temps de prendre des informations sur ce général, le rapporteur n'osa se confier à lui, et ne lui donna que des renseignemens vagues et insignifians. Il a bien regretté ensuite de ne pas s'être ouvert à ce fidèle serviteur du Roi, qui probablement l'auroit guidé dans la démarche qu'il se proposoit de faire le lendemain, et qu'il lui facilita, en l'annonçant au maréchal.

en avoit reconnu l'impossibilité; que l'esprit du soldat étoit porté pour Buonaparte; que les évènemens qui s'étoient passés en Alsace, il Ут avoit quelques mois, avoient encore confirmé les troupes dans ces dispositions, et avoient même aliéné au Roi le cœur de beaucoup d'habitans du pays; qu'il avoit eu jusqu'à présent toutes les peines à retenir la garnison prête à prendre, la cocarde tricolore; qu'il n'étoit pas sûr qu'elle lui obéiroit encore, vingt-quatre heures, et qu'une explosion prochaine étoit immanquable. Il entra ensuite en beaucoup de détails sur les fautes commises par le gouvernement et ses délégués, et qui l'avoient empêché d'accepter la place de ministre de la guerre que le Roi lui avoit offerte. Il déclama fortement contre les Puissances étrangères qui avoient dépouillé la France des conquêtes qu'elle devoit, non à l'ambition de Buonaparte, mais à l'enthousiasme qui animoit la nation en 1795, et ajouta que jamais la France ne maintiendroit une paix qui ne lui laisseroit pas la possession de la Belgique et de la rive gauche du Rhin. Sur l'observation qu'on lui fit, que l'on connoissoit parfaitement la composition de sa garnison, et qu'il étoit très-facile de la maintenir, et même de la désarmer, s'il vouloit seulement

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gens s'étant hautement manifestée, notamment aux séances des autorités publiques, le préfet Kergariou rompit le silence qu'il avoit gardé jusqu'à présent, en publiant, le 20 mars, une proclamation sans date qui étoit imprimée depuis plusieurs jours, et dans laquelle il protestoit de sa fidélité au Roi. Son exemple fut suivi le lendemain 21 par le maire et le conseil municipal; mais ces proclamations tardives ne purent arrêterle mal qu'avoient produit le silence de ces autorités et le défaut de communications confidentielles entre elles et leurs administrés pendant douze jours. Aussi leurs proclamations ne tournèrent qu'à leur honte; la foiblesse et la tergiversation de ces fonctionnaires les avoient rendus la risée des troupes et des jacobins, et l'objet du mépris de leurs concitoyens.

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Le conseil général du département s'étoit prononcé avec plus de franchise, Non-seulement il avoit déposé sa profession de foi dans une adresse au Roi; mais, autorisé par l'ordonnance du 11 mars, il avoit pris sur lui de prendre diverses mesures propres à concilier au Roi l'affection des habitans de la campagne. Il ordonna la libre exportation des tabacs et des chanvres sur la rive droite du Rhin; ce qui fit entrer en dix jours de temps deux millions

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