Images de page
PDF
ePub

qu'aux limites les plus reculées de l'Europe occidentale, et que l'on désigne aujourd'hui sous le nom d'indo-européens. Elle s'y rattache par ce qu'il y a de plus intime dans le génie d'une langue, par sa grammaire, par le tour de la phrase, qui rappelle la construction du sanscrit, du grec et du latin, et par le caractère des monuments auxquels elle a donné le jour; de même que le peuple qui la parle appartient à la souche indo-européenne par sa conformation physique. Il présente en effet les traits les plus saillants du type par excellence, du type caucasien.

Nous ne connaissons aujourd'hui les origines de la nation arménienne que par Moïse de Khoren, écrivain du cinquième siècle. Les notions qu'il nous a transmises sur ce sujet ont été puisées par lui dans un auteur syrien qu'il appelle Mar Abas Katina. Celui-ci avait été député par Valarsace, le premier des souverains arsacides d'Arménie, auprès de son frère Arsace le Grand, roi de Perse, avec prière de permettre à son envoyé de fouiller dans les archives de Ninive. Ces archives, qui étaient tombées au pouvoir des Arsacides, renfermaient des documens anciens relatifs à l'histoire de l'Arménie, rassemblés par les rois assyriens. Valarsace accueillit favorablement cette demande, et Mar Abas Katina put examiner tous les livres renfermés dans le dépôt dont l'accès lui était ouvert. Dans le nombre, il en trouva un, écrit en caractères grecs, et portant sur le titre la mention qu'il avait été traduit du chaldéen en grec par l'ordre d'Alexandre le Grand. Le savant syrien y recueillit tout ce qui avait rapport à l'objet de sa mission, et rapporta l'abrégé qu'il en avait fait, transcrit en grec et en syriaque, à Valarsace, dans la ville de Nizibe (Medzpin). Ce prince ordonna de le déposer dans son trésor particulier, et en fit graver une partie sur une stèle. Que Moïse de Khoren ait eu entre les mains et qu'il ait consulté un ouvrage placé sous le nom d'un Syrien appelé Mar Abas Katina; c'est là un fait mis en évidence par la nature même des fragments empruntés

par lui à cet auteur, fait que la candeur habituelle de l'historien arménien ne permet pas de révoquer en doute. Ajoutons que si les circonstances qui donnèrent lieu à la rédaction du livre de Mar Abas Katina ont une teinte romanesque, on ne peut nier aussi que ces récits ne renferment des indications tellement précises et locales, des peintures d'une couleur si vraie et d'un caractère tellement arménien, qu'il est impossible d'en contester l'exactitude. Parmi les sources de l'Histoire de l'Arménie, il cite les registres des villages et des districts, ainsi que des grandes familles, ceux où étaient consignés les procès et les transactions, principalement en ce qui touchait la succession des satrapies. Il mentionne aussi les ballades populaires et les chants historiques que les souverains d'Assyrie avaient fait rassembler et déposer dans leurs archives royales. La vérité de cette dernière assertion ressort pleinement du caractère épique des fragments que Moïse de Khoren nous a conservés. Ce soin jaloux de la conservation officielle et permanente de tous les documents qui perpétuaient le souvenir des événements passés ou contemporains, exista en effet de tout temps dans les grandes monarchies de l'Asie occidentale. Nous savons par l'auteur du livre d'Esther (VIII, 1 et 2, et x, 2) avec quelle régularité étaient rédigées à la cour de Suze les annales de l'empire. Les corporations sacerdotales dans leurs temples, les souverains dans leurs palais, possédaient des archives. Moïse de Khoren cite celles de Ninive, de Nisibe, de Sinope et d'Edesse.

On sait qu'à la suite des conquêtes d'Alexandre le Grand, et lorsque, sous ses successeurs, les Séleucides et les Lagides, les Grecs se furent implantés partout en Orient, et principalement en Egypte, dans la Syrie et la Mésopotamie, et plus tard lorsque les Séleucides furent en rapport avec les Parthes, les Grecs s'empressèrent d'étudier l'histoire des nations orientales.

Depuis l'époque de la captivité, quantité de Juifs étaient restés dans les pays qu'arrosent le Tigre et l'Euphrate, et ils

avaient à Néerda une école célèbre; en Egypte ils n'étaient pas moins nombreux, et la traduction de leurs livres sacrés en avait répandu partout la connaissance. Le monde oriental s'ouvrait aux investigations de la science occidentale. Partout les armes victorieuses des conquérants macédoniens avaient fait prévaloir les coutumes et les idées de la Grèce. Ceux qui entreprirent alors de retracer l'origine des vieilles nations de l'Asie firent un mélange de toutes ces traditions de provenance si diverse. Mar Abas Katina appartient à la même école, qui a produit Bérose, Abydène, Alexandre Polyhistor et Manéthon. Comme les trois premiers ont fait pour les Chaldéens et les Babyloniens, il reporte les premiers âges de la société arménienne aux temps des patriarches, enfants de Noé, lors de la dispersion des hommes dans les plaines de Sennaar, après le renversement de la tour de Babel.

Nous avons fait remarquer que les Arméniens sont de race caucasienne ou japhétique. Mais la généalogie qui rattache immédiatement la filiation de Haïg, fondateur de leur nationalité, à Noé, par Thorgom (Thogarmah) Thiras, Gomer et Japhet, date très-probablement de l'époque où le christianisme fit prévaloir parmi eux la tradition mosaïque. Elle est déjà indiquée, mais moins explicitement, dans Mar Abas, qui appelle Haïg, Abédosthian, fils ou plutôt descendant de Japet. Suivant lui, les premiers chefs du genre humain furent Zerouan, Titan et Japet, que Moïse de Khorên assimile à Sem, Cham et Japhet; leurs descendants régnèrent pendant de longues années, réunis en un même lieu, jusqu'à leur dispersion sur la surface de la terre. << Terribles et illustres, dit-il, étaient les premiers d'entre les dieux, auteurs des plus grands biens pour le monde, principe de l'univers et de la multiplication des hommes. D'eux se sépara la race des géants, êtres monstrueux, d'une force extraordinaire, d'une stature colossale; enflés d'orgueil, ils conçurent le projet impie d'élever une tour. Déjà ils étaient à l'œuvre, lorsqu'un vent terrible et divin, envoyé

par la colère céleste, renversa au loin cette immense construction. Les dieux ayant jeté dans cette foule d'hommes des langages qui les empêchaient de se comprendre mutuellement, semèrent entre eux le désordre et la confusion. L'un de ces hommes était Haïg, issu de Japet, chef renommé, brave, habile et puissant au tir de l'arc. »

Mar Abas nous raconte que ce chef émigra avec ses fils, ses petits-fils et sa suite, au nombre de 300 personnes, de Babylone vers les contrées du nord, dans la contrée d'Ararad. Si l'on suit sa marche telle que l'écrivain syrien nous l'a tracée on le voit pénétrer en Arménie par une des vallées de la chaîne des monts Gordyéens, se diriger à l'ouest du lac de Van, autour duquel il fonde trois colonies. Son fils Arménag, poussant vers le nord-est, fait halte au pied du mont Arakadz et s'y établit. Le fils de ce dernier, Armaïs, se fixe sur les bords de l'Araxe, et y bâtit Armavir, dans la contrée qui fut le berceau de la nationalité arménienne, et où elle atteignit dans la suite son plus haut degré de grandeur et de prospérité.

Il est très-curieux d'apprendre, par le même historien, que, sur les points mêmes qu'occupèrent Haïg et ses enfants, il existait déjà des populations qu'il soumit à son autorité. S'il était permis de former une conjecture, on pourrait croire que Haïg, venu de l'Assyrie, était issu d'une race différente de celle des primitifs habitants auxquels il s'imposa, qu'il était Sémite d'origine, et que ceux-ci appartenaient à la souche japétique. Cette hypothèse explique l'introduction de plusieurs mots, qui se rencontrent dans la langue arménienne, auxquels on peut assigner une provenance sémitique.

Moïse de Khoren rapporte, d'après l'autorité d'un savant nommé Olympiodore, une tradition d'un caractère fabuleux, mais d'où l'on peut induire qu'à une époque très-reculée, une colonie de Sémites serait passée en Arménie. Sim, qui était assimilé à Zerouan et à Sem, et fils de Xisuthre, s'en

alla au nord-ouest reconnaître le pays, après que le navire qui portait son père se fut arrêté en Arménie. « Parvenu, dit l'historien, au pied d'une montagne à la longue base, dans une plaine arrosée par un fleuve, il y demeura l'espace de deux lunes. De son nom, il appela la montagne Sim, puis il se dirigea vers le sud-est, d'où il était venu. Un de ses fils puînés, nommé Darpan, avec ses trente fils, ses quinze filles et leur mari, s'étant séparé de son père, se fixa sur ces mêmes rives; Sim, du nom de son fils, appela le district Darôn, et Tsrônk' (dispersion), le lieu où lui-même s'était arrêté; car c'est là que s'accomplit la séparation de ses enfants d'avec lui. Puis, étant allé sur les confins de la contrée des Bactriens, on dit qu'il y séjourna quelque temps; mais un de ses fils y resta. Ceux de l'Orient appellent Sim, Zerouan, et disent que son pays est celui qui porte jusqu'à présent le nom de Zarouant. » (Liv. 1, chap. 6.)

D'après Moïse de Khoren, Mar Abas Katina aurait été contemporain du roi d'Arménie Valarsau, et par conséquent aurait vécu vers le milieu du deuxième siècle avant notre ère. Les fragments qu'il a consignés dans son ouvrage n'infirment en rien cette assertion; car on n'y découvre la trace d'aucune idée chrétienne. Un savant et ingénieux académicien, M. Renan, a conjecturé, d'après le nom même de Mar Abas, qui est commun à plusieurs évêques de Syrie, que la composition que lui attribue Moïse de Khoren est l'œuvre antidatée de quelque Syrien de l'école d'Edesse. Je souscrirais volontiers à cette opinion, s'il était démontré que les titres de Mar, seigneur, Abas où Iba, père, n'étaient point en usage chez les Syriens avant leur conversion au christianisme. Quant au premier de ces titres, celui de Mar, il est incontestable qu'ils l'employaient auparavant, puisque le pré fet de la province d'Agh'edznik', dans la Mésopotamie arméniennne, qui fut député par le roi Abgar vers Marinus, gouverneur romain de la Syrie, avant que ce prince eût entendu parler de Jésus-Christ, se nommait Mar Ihap. Ne

« PrécédentContinuer »