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Je vous fuivrai par tout,

ALCMENE.

Alcméne

Et moi, par tout je vous fuirai.
JUPITER.

Je fuis donc bien épouvantable?
ALCMEN E..

Plus qu'on ne peut dire,

à

mes yeux.

Oui, je vous vois comme un monftre effroyable,
Un monftre cruel, furieux,

Et dont l'approche eft redoutable;

Comme un monftre à fuir en tous lieux.
Mon cœur fouffre, à vous voir, une peine incroyable
C'eft un fupplice qui m'accable;
Et je ne vois rien, fous les cieux,
D'affreux, d'horrible, d'odieux,

Qui ne me fût plus que vous fupportable.
JUPITER.

En voilà bien,

hélas! que votre bouche dit.
ALCMENE.

J'en ai dans le cœur lavantage;

Et, pour l'exprimer tout, ce cœur a du dépit
De ne point trouver de langage.
JUPITER.

Hé! Que vous a donc fait ma flamme,

Pour me pouvoir, Alcméne, en monftre regarder?
ALCMENE.

Ah, jufte ciel! Cela fe peut-il demander?
Et n'est-ce pas pour mettre à bout une ame?
JUPITER.

Ah! D'un efprit plus adouci...
ALCMEN E.

Non, je ne veux, du tout, vous voir, ni vous entendre.
JUPITER.

'Avez-vous bien le cœur de me traiter ainfi?

Eft-ce là cet amour fi tendre,

Qui devoit tant durer quand je vins hier ici

ALCMENE.

Non, non, ce ne l'eft pas; & vos lâches injures
En ont autrement ordonné.

Il n'eft plus, cet amour, tendre & paffionné ;
Vous l'avez, dans mon cœur, par cent vives bleffures,
Cruellement affaffiné.

C'eft, en fa place, un courroux infléxible,
Un vif reffentiment, un dépit invincible,
Un défefpoir d'un cœur justement animé,
Qui prétend vous hair, pour cet affront fenfible,
Autant qu'il eft d'accord de vous avoir aimé;
Et c'eft hair autant qu'il eft poffible.
JUPITER.

Hélas! Que votre amour n'avoit guéres de force,
Si de fi peu de chofe on le peut voir mourir !
Ce qui n'étoit que jeu, doit-il faire un divorce,
Et d'une raillerie a-t-on lieu de s'aigrir?
ALCMEN E.

Ah! C'eft cela dont je fuis offensée,
Et que ne peut pardonner mon courroux.
Des véritables traits d'un mouvement jaloux
Je me trouverois moins bleflée.

La jaloufie a des impreffions,

Dont bien fouvent la force nous entraîne;
Et l'ame la plus fage, en ces occafions,
Sans doute, avec affez de peine,
Répond de fes émotions.

L'emportement d'un cœur, qui peut s'être abufé,
A de quoi ramener une ame qu'il offense;
Et, dans l'amour qui lui donne naissance,
Il trouve au moins, malgré toute sa violence,
Des raifons pour être excufé.

De femblables tranfports contre un reffentiment,
Pour défense, toujours ont ce qui les fait naître;

Et l'on donne grace aifément

A ce dont on n'eft pas le maître.

Mais que, de gaieté de cœur,

On paffe aux mouvemens d'une fureur extrême;
Que, fans caufe, l'on vienne, avec tant de rigueur,
Bleffer la tendreffe & l'honneur

D'un cœur qui chérement nous aime

;

Ah! C'eft un coup trop cruel en lui-même,
Et que jamais n'oubliera ma douleur.
JUPITER.

Oui, vous avez raifon, Alcméne, il fe faut rendre.
Cette action, fans doute, eft un crime odieux,
Je ne prétens plus le défendre.

Mais fouffrez que mon cœur s'en défende à vos yeux;
Et donne au vôtre à qui fe prendre
De ce tranfport injurieux.

A vous en faire un aveu véritable,
L'époux, Alcméne, a commis tout le mal,
C'eft l'époux qu'il vous faut regarder en coupable;
L'amant n'a point de part à ce transport brutal,
Et, de vous offenfer, fon cœur n'est point capable.
Il a pour vous ce cœur, pour y jamais penfer,
Trop de refpe&t & de tendreile;

Et, fi de faire rien à vous pouvoir bleffer
Il avoit eu la coupable foibleffe,

De cent coups, à vos yeux, il voudroit le percer.

Mais l'époux eft forti de ce refpe&t foumis

Où pour vous l'on doit toujours être ; A fon dur procédé l'époux s'eft fait connoître; Et, par le droit d'hymen, il s'eft crû tout permis. Oui, c'eft lui qui, fans doute, eft criminel vers vous, Lui feul a maltraité votre aimable perfonne; Haïffez, déteftez l'époux,

J'y confens; & vous l'abandonne.

Mais, Alcméne, fauvez l'amant de ce courroux
Qu'une telle offense vous donne ;
N'en jettez pas fur lui l'effet,
Démélez-le un peu du coupable;

Et, pour être enfin équitable,

Ne le puniffez point de ce qu'il n'a pas fait.
ALCMEN E.

Ah! Toutes ces fubtilités

N'ont que des excufes frivoles;
Et, pour les efprits irrités,

Ce font des contre-temps que de telles paroles.
Ce détour ridicule eft en vain pris par vous.
Je ne diftingue rien en celui qui m'offense,
Tout y devient l'objet de mon courroux;
Et, dans fa jufte violence,

Sont confondus & l'amant & l'époux.
Tous deux, de même forte, occupent ma pensées
Et, des mêmes couleurs, par mon ame bleffée,
Tous deux ils font peints à mes yeux,

Tous deux font criminels, tous deux m'ont offenfée; Et tous deux me font odieux. JUPITER.

Hé bien, puifque vous le voulez, Il faut donc me charger du crime. Oui, vous avez raison, lorfque vous m'immolez A vos reffentimens, en coupable victime. Un trop jufte dépit contre moi vous anime; Et tout ce grand courroux qu'ici vous étalez, Ne me fait endurer qu'un tourment légitime. C'eft, avec droit, que mon abord vous chaffe, Et que, de me fuir en tous lieux,

Votre colére me menace.

Je dois vous être un objet odieux,
Vous devez me vouloir un mal prodigieux.
Il n'eft aucune horreur que mon forfait ne paffe,
D'avoir offenfé vos beaux yeux.

C'est un crime à bleffer les hommes & les Dieux;
Et je mérite enfin, pour punir cette audace,
Que, contre moi, votre haine ramaffe
Tous fes traits les plus furieux.

Mais mon cœur vous demande grace; Pour vous la demander je me jette à genoux ; Et la demande au nom de la plus vive flamme, Du plus tendre amour dont une ame Puifle jamais brûler pour vous.

Si votre cœur, charmante Alcméne, Me refufe la grace où j'ofe recourir;

Il faut qu'une atteinte foudaine
M'arrache, en me faifant mourir,
Aux dures rigueurs d'une peine
Que je ne faurois plus fouffrir.
Oui, cet état me défespére,
Alcméne, ne préfumez pas

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Qu'aimant, comme je fais, vos célestes appas Je puiffe vivre un jour avec votre colére. Déjà de ces momens la barbare longueur Fait, fous des atteintes mortelles, Succomber tout mon trifte cœur; Et, de mille vautours, les bieffures cruelles N'ont rien de comparable à ma vive douleur. Alèméne, vous n'avez qu'à me le déclarer; S'il n'eft point de pardon que je doive espérer, Cette épée auffi-tôt, par un coup favorable, percer à vos yeux le cœur d'un miférable, Ce cœur, ce traître cœur trop digne d'expirer, Puifqu'il a pû fâcher un objet adorable. Heureux, en défcendant au ténébreux féjour. Si, de votre courroux mon trépas vous raméne; Et ne laiffe en votre ame, après ce trifte jour, Aucune impreffion de haine,

Va

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Au fouvenir de mon amour.

C'est tout ce que j'attens pour faveur fouveraine.

ALCMENE.

Ah, trop cruel époux!

JUPITER.

Dites, parlez, Alcméne

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