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« A Dieu le seul sage honneur et gloire par Jésus-Christ'. » « Jésus nous a été donné de Dieu 2. »

<< Que le Dieu de notre Seigneur Jésus-Christ, le père de gloire, vous donne l'esprit de sagesse 3. »

C'est ainsi que le Juif chrétien saint Paul s'explique toujours; c'est ainsi qu'on fait parler Jésus lui-même dans les Évangiles*. « Mon père est plus grand que moi; » c'est-à-dire, Dieu fait ce que les hommes ne peuvent faire, car tous les Juifs, en parlant de Dieu, disaient mon père.

La patenôtre commence par ces mots : « Notre père. » Jésus dit : « Nul ne le sait que le père. Nul autre que mon père ne sait ce jour, pas même les anges 5. Cela ne dépend pas de moi, mais seulement de mon père. » Il est encore très-remarquable que Jésus, craignant d'être appréhendé au corps, et suant de peur sang et eau, s'écria « Mon père, que ce calice s'éloigne de moi ! » C'est ce qu'un polisson de nos jours appelle mourir en Dieu. Enfin aucun Évangile ne lui a mis dans la bouche ce blasphème, qu'il était Dieu, consubstantiel à Dieu.

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Romains, vous m'allez demander pourquoi, comment on en fit un Dieu dans la suite des temps? Et moi, je vous demande pourquoi et comment on fit des dieux de Bacchus, de Persée, d'Hercule, de Romulus encore ne poussa-t-on pas le sacrilége jusqu'à leur donner le titre de Dieu suprême, de Dieu créateur; ce blasphème était réservé pour la secte échappée de la secte juive.

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Je passe sous silence les innombrables impostures des voyages de Simon Barjone, de l'Évangile de Simon Barjone, de son Apocalypse, de l'Apocalypse de Cérinthe, ridiculement attribuée à Jean, des Épîtres de Barnabé, de l'Évangile des douze apôtres, de leurs Liturgies, des Canons du concile des apôtres, de la Confection du Credo par les apôtres, les voyages de Matthieu, les voyages de Thomas, et de tant de rêveries reconnues enfin pour être de

1. Epitre aux Romains, xvi, 27. (Note de Voltaire.)

2. Epitre aux Galates, ch. 1. (Id.)

3. Épitre aux Éphésiens, 1, 17. (Id.)

4. Jean, xiv, 28. (Id.)

5. Matthieu, xxiv, 36. (Id.)

6. Ibid., xx, 23. (Id.)

7. Luc, xxII, 44, 42. (Id.)

8. J.-J. Rousseau, dans la Profession du vicaire savoyard (au quatrième livre

d'Émile).

la main d'un faussaire, qui les fit passer sous des noms révérés des chrétiens.

Je n'insisterai pas beaucoup sur le roman du prétendu pape saint Clément, qui se dit successeur immédiat de saint Pierre; je remarquerai seulement que Simon 1 Barjone et lui rencontrèrent un vieillard qui leur dit que sa femme l'a fait cocu, et qu'elle a couché avec son valet; Clément demande au vieillard comment il a su qu'il était cocu? « Par l'horoscope de ma femme, lui dit le bonhomme; et encore par mon frère, avec qui ma femme a voulu coucher, et qui n'a point voulu d'elle 2. » A ce discours, Clément reconnaît son père dans le cocu, et ce même Clément apprend de Pierre qu'il est du sang des Césars. O Romains! c'est donc par de pareils contes que la puissance papale s'est établie.

SEPTIEME IMPOSTURE PRINCIPALE SUR LE PRÉTENDU PONTIFICAT DE SIMON BARJONE, SURNOMMÉ PIERRE.

Qui a dit le premier que Simon, ce pauvre pêcheur, était venu de Galilée à Rome, qu'il y avait parlé latin, lui qui ne pouvait savoir que le patois de son pays, et qu'enfin il avait été pape de Rome vingt-cinq ans? C'est un Syrien nommé Abdias, qui vivait sur la fin du 1er siècle, qu'on dit évêque de Babylone (c'est un bon évêché). Il écrivit en syriaque; nous avons son ouvrage traduit en latin par Jules Africain. Voici ce que cet écrivain sensé raconte; il a été témoin oculaire; son témoignage est irréfragable. Écoutez bien.

Simon Barjone Pierre ayant ressuscité la Tabite, ou la Dorcas, couturière des apôtres; ayant été mis en prison par l'ordre du roi Hérode (quoique alors il n'y eût point de roi Hérode); et un ange lui ayant ouvert les portes de la prison (selon la coutume des anges), ce Simon rencontra dans Césarée l'autre Simon de Samarie, surnommé le Magicien, qui faisait aussi des miracles; là ils commencèrent tous deux à se morguer. Simon le Samaritain s'en alla à Rome auprès de l'empereur Néron; Simon Barjone ne manqua pas de l'y suivre; l'empereur les reçut on ne peut pas mieux. Un cousin de l'empereur vint à mourir: aussitôt c'est à qui ressuscitera le défunt; le Samaritain a l'honneur de commencer la cérémonie; il invoque Dieu; le mort donne des signes de vie, et

1. Récognitions de saint Clément, liv. IX, nos 32, 33. (Note de Voltaire.) 2. Recognitions de saint Clément, liv. IX, nos 34 et 35. (Id.)

branle la tête, Simon Pierre invoque Jésus-Christ, et dit au mort de se lever; le mort se lève, et vient l'embrasser. Ensuite vient l'histoire connue des deux chiens; puis Abdias raconte comment Simon vola dans les airs, comment son rival Simon Pierre le fit tomber. Simon le Magicien se cassa les jambes, et Néron fit crucifier Simon Pierre la tête en bas pour avoir cassé les jambes de l'autre Simon.

Cette arlequinade a été écrite non-seulement par Abdias, mais encore par je ne sais quel Marcel et par un Hégésippe qu'Eusèbe cite souvent dans son histoire. Observez, judicieux Romains, je vous en conjure, comment ce Simon Pierre peut avoir régné spirituellement vingt-cinq ans dans votre ville. Il y vint sous Néron, selon les plus anciens écrivains de l'Église; il y mourut sous Néron et Néron ne régna que treize années.

:

Que dis-je? lisez les Actes des apôtres; y est-il seulement parlé d'un voyage de Pierre à Rome? il n'en est pas fait la moindre mention. Ne voyez-vous pas que lorsque l'on imagina que Pierre était le premier des apôtres, on voulut supposer qu'il n'y avait eu que la ville impériale digne de sa présence? Voyez avec quelle grossièreté on vous a trompés en tout: serait-il possible que le fils de Dieu, Dieu lui-même, n'eût employé qu'une équivoque de polisson, une pointe, un quolibet absurde1, pour établir Simon Barjone chef de son Église : Tu es surnommé Pierre, et sur cette pierre j'établirai mon Église? Si Barjone s'était appelé Potiron, Jésus lui aurait dit: Tu es Potiron, et Potiron sera appelé le roi des fruits de mon jardin.

Pendant plus de trois cents ans le successeur prétendu d'un paysan de Galilée fut ignoré dans Rome. Voyons enfin comment les papes devinrent vos maîtres.

HUITIEME IMPOSTURE.

Il n'y a aucun homme instruit dans l'histoire des Églises grecque et latine qui ne sache que les siéges métropolitains établirent leurs principaux droits au concile de Chalcédoine, convoqué en 451 par l'ordre de l'empereur Marcien et de Pulchérie, composé de six cent trente évêques. Les sénateurs qui présidaient au nom de l'empereur avaient à leur droite les patriarches d'Alexandrie et de Jérusalem, et à leur gauche celui de Constantinople et les députés du patriarche de Rome. Ce fut par les canons

1. Matthieu, xvi, 18.

de ce concile que les siéges épiscopaux participèrent à la dignité des villes dans lesquelles ils étaient situés. Les évêques des deux villes impériales, Rome et Constantinople, furent déclarés les premiers évêques avec des prérogatives égales, par le célèbre vingthuitième canon.

« Les Pères ont donné avec justice des prérogatives au siége de l'ancienne Rome, comme à une ville régnante, et les cent cinquante évêques du premier concile de Constantinople, très-chéris de Dieu, ont par la même raison attribué les mêmes priviléges à la nouvelle Rome; ils ont justement jugé que cette ville, où résident l'empire et le sénat, doit lui être égale dans toutes les choses ecclésiastiques. >>

Les papes se sont toujours débattus contre l'authenticité de ce canon ; ils l'ont défiguré, ils l'ont tordu de tous les sens. Que firent-ils enfin pour éluder cette égalité, et pour anéantir avec le temps tous les titres de sujétion qui les soumettaient aux empereurs comme tous les autres sujets de l'empire? Ils forgèrent cette fameuse donation de Constantin, laquelle a été tenue pour si véritable pendant plusieurs siècles que c'était un péché mortel, irrémissible, d'en douter; et que le coupable encourait, ipso facto, l'excommunication majeure.

C'était une chose bien plaisante que cette donation de Constantin à l'évêque Silvestre.

« Nous avons jugé utile, dit l'empereur, avec tous nos satrapes et tout le peuple romain, de donner aux successeurs de saint Pierre une puissance plus grande que celle de Notre Sérénité. » Ne trouvez-vous pas, Romains, que le mot de satrape est bien placé là?

C'est avec la même authenticité que Constantin, dans ce beau diplôme, dit « qu'il a mis les apôtres Pierre et Paul dans de grandes châsses d'ambre; qu'il a bâti les églises de saint Pierre et de saint Paul, et qu'il leur a donné de vastes domaines en Judée, en Grèce, en Thrace, en Asie, etc., pour entretenir le luminaire; qu'il a donné au pape son palais de Latran, des chambellans, des gardes du corps, et qu'enfin il lui donne en pur don, à lui et à ses successeurs, la ville de Rome, l'Italie, et toutes les provinces d'Occident: le tout pour remercier le pape Silvestre de l'avoir guéri de la ladrerie, et de l'avoir baptisé », quoiqu'il n'ait été baptisé qu'au lit de la mort par Eusèbe, évêque de Nicomédie.

Il n'y eut jamais ni pièce plus ridicule d'un bout à l'autre, ni plus accréditée dans les temps d'ignorance où l'Europe a croupi si longtemps après la chute de votre empire.

NEUVIÈME IMPOSTURE.

Je passe sous silence un millier de petites impostures journalières, pour arriver vite à la grande imposture des décrétales.

Ces fausses décrétales furent universellement répandues dans le siècle de Charlemagne. C'est là, Romains, que, pour mieux vous ravir votre liberté, on en dépouille tous les évêques; on veut qu'ils n'aient pour juge que l'évêque de Rome. Certes s'il est le souverain des évêques, il devait bientôt devenir le vôtre, et c'est ce qui est arrivé. Ces fausses décrétales abolissaient les conciles, elles abolirent bientôt votre sénat, qui n'est plus qu'une cour de judicature, esclave des volontés d'un prêtre. Voilà surtout la véritable origine de l'avilissement dans lequel vous rampez. Tous vos droits, tous vos priviléges, si longtemps conservés par votre sagesse, n'ont pu vous être ravis que par le mensonge. Ce n'est qu'en mentant à Dieu et aux hommes qu'on a pu vous rendre esclaves; mais jamais on n'a pu éteindre dans vos cœurs l'amour de la liberté. Il est d'autant plus fort que la tyrannie est plus grande. Ce mot sacré de liberté se fait encore entendre dans vos conversations, dans vos assemblées, et jusque dans les antichambres du pape.

ARTICLE IX.

César ne fut que votre dictateur; Auguste ne fut que votre général, votre consul, votre tribun. Tibère, Caligula, Néron, vous laissèrent vos comices, vos prérogatives, vos dignités; les barbares même les respectèrent. Vous eûtes toujours votre gouvernement municipal. C'est par votre délibération, et non par l'autorité de votre évêque Grégoire III, que vous offrîtes la dignité de patrice au grand Charles Martel, maître de son roi, et vainqueur des Sarrasins en l'année 741 de notre fautive ère vulgaire.

Ne croyez pas que ce fut l'évêque Léon III qui fit Charlemagne empereur: c'est un conte ridicule du secrétaire Éginhard, vil flatteur des papes qui l'avaient gagné. De quel droit et comment un évêque sujet aurait-il fait un empereur, qui n'était jamais créé que par le peuple ou par les armées qui se mettaient à la place du peuple?

Ce fut vous, peuple romain, qui usâtes de vos droits; vous, qui ne voulûtes plus dépendre d'un empereur grec, dont vous n'étiez pas secourus; vous, qui nommâtes Charlemagne : sans quoi il

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