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Caron, Cerbère, le fleuve Léthé, le Tartare, les Furies; c'est d'Égypte que cette idée passa en Grèce, et de là chez les Romains; les Juifs ne la connurent jamais jusqu'au temps où les pharisiens la prêchèrent, un peu avant le règne d'Hérode. Une de leurs contradictions était d'admettre un enfer en admettant la métempsycose; mais peut-on chercher du raisonnement chez les Juifs? ils n'en ont jamais eu qu'en fait d'argent. Les saducéens, les samaritains, rejetèrent l'immortalité de l'âme, parce qu'en effet elle n'est dans aucun endroit de la loi mosaïque.

Voilà donc le grand ressort dont les premiers chrétiens, tous demi-juifs, se servirent pour donner de l'activité à la machine nouvelle; communauté de biens, repas secrets, mystères cachés, Évangiles lus aux seuls initiés, paradis aux pauvres, enfer aux riches, exorcismes de charlatans: voilà, dis-je, dans l'exacte vérité, les premiers fondements de la secte chrétienne. Si je me trompe, ou plutôt si je veux tromper, je prie le Dieu de l'univers, le Dieu de tous les hommes, de sécher ma main qui écrit ce que je pense, de foudroyer ma tête convaincue de l'existence de ce Dieu bon et juste, et de m'arracher un cœur qui l'adore.

ARTICLE VIII.

Romains, développons maintenant les artifices, les fourberies, les actes de faussaires, que les chrétiens eux-mêmes ont appelés fraudes pieuses1: fraudes qui vous ont enfin coûté votre liberté et vos biens, et qui ont plongé les vainqueurs de l'Europe dans l'esclavage le plus déplorable. Je prends encore Dieu à témoin que je ne vous dirai pas un seul mot qui ne soit prouvé. Si je voulais employer toutes les armes de la raison contre le fanatisme, tous les traits perçants de la vérité contre l'erreur, je vous parlerais d'abord de cette quantité prodigieuse d'Évangiles qui se sont contredits, et qu'aujourd'hui vos papes mêmes reconnaissent pour faux : ce qui démontre qu'au moins il y a eu des faussaires parmi les premiers chrétiens; mais c'est une chose assez connue. Il faut vous montrer des impostures plus communément ignorées, et mille fois plus funestes.

PREMIÈRE IMPOSTURE.

C'est une superstition bien ancienne que les dernières paroles des vivants étaient des prophéties, ou du moins des maximes

1. Voyez, les paragraphes xiv et xix des Conseils raisonnables à M. Bergier.

sacrées, des préceptes respectables. On croyait que l'âme, prête à se dégager des liens du corps, et à moitié réunie avec la Divinité, voyait l'avenir et la vérité qui se montrait alors sans nuage. Suivant ce préjugé, les judéo-christicoles forgent, dès le rer siècle de l'Église, le Testament des douze patriarches, écrit en grec, qui doit servir de prédiction et de préparation au nouveau royaume de Jésus. On trouve dans le Testament de Ruben1 ces paroles : προσκυνήσετε τῷ σπέρματι αὐτοῦ, ὅτι ὑπὲρ ὑμῶν ἀποθανεῖται ἐν πολέμοις ὁρατοῖς καὶ ἀοράτοις, καὶ ἔσται ἐν ὑμῖν βασιλεὺς αἰώνων. « Adorez son sperme, car il mourra pour vous dans des guerres visibles et invisibles, et il sera votre roi éternellement. » On applique cette prophétie à Jésus, selon la coutume de ceux qui écrivirent cinquante-quatre Évangiles en divers lieux, et qui presque tous tâchèrent de trouver dans les écrivains juifs, et surtout dans ceux qu'on appelle prophètes, des passages qu'on pouvait tordre en faveur de Jésus. Ils en supposèrent même plusieurs évidemment reconnus pour faux. L'auteur de ce Testament des patriarches est donc le plus effronté et le plus maladroit faussaire qui ait jamais barbouillé du papier d'Égypte : car ce livre fut écrit dans Alexandrie, dans l'école d'un nommé Marc.

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Ils supposèrent des lettres du roi d'Édesse à Jésus, et de Jésus à ce prétendu prince, tandis qu'il n'y avait point de roi à Édesse, ville soumise au gouvernement de Syrie, et que jamais le petit prince d'Édesse ne prit le titre de roi; tandis qu'enfin il n'est dit dans aucun Evangile que Jésus sût écrire; tandis que, s'il avait écrit, il en aurait laissé quelque témoignage à ses disciples. Aussi ces prétendues lettres sont aujourd'hui déclarées actes de faussaires par tous les savants.

TROISIÈME IMPOSTURE PRINCIPALE, QUI EN CONTIENT PLUSIEURS.

On forge des actes de Pilate, des lettres de Pilate, et jusqu'à une histoire de la femme de Pilate; mais surtout les lettres de Pilate sont curieuses; en voici un fragment:

« Il est arrivé depuis peu, et je l'ai vérifié, que les Juifs, par

1. Voyez Codex pseudepigraphus Veteris Testamenti, par J.-A. Fabricius, seconde édition; Hambourg, 1722, tome II, page 532. Il en existe une traduction française par Fr. Macé, d'après le latin de Robert, 1713, in-12.

leur envie, se sont attiré une cruelle condamnation; leur Dieu leur ayant promis de leur envoyer son saint du haut du ciel, qui serait leur roi à bien juste titre, et ayant promis qu'il serait fils d'une vierge, le dieu des Hébreux l'a envoyé en effet, moi étant président en Judée. Les principaux des Juifs me l'ont dénoncé comme un magicien ; je l'ai cru, je l'ai bien fait fouetter, je le leur ai abandonné, ils l'ont crucifié, ils ont mis des gardes auprès de sa fosse; il est ressuscité le troisième jour. »>

Je joins à cette supposition celle du rescrit de Tibère au sénat, pour mettre Jésus au rang des dieux de l'empire, et les ridicules lettres du philosophe Sénèque à Paul, et de Paul à Sénèque, écrites en un latin barbare, et les lettres de la vierge Marie à saint Ignace; et tant d'autres fictions grossières dans ce goût. Je ne peux pas trop étendre ce dénombrement d'impostures, dont la liste vous effrayerait si je les comptais une à une.

QUATRIÈME IMPOSTURE.

La supposition la plus hardie peut-être, et la plus grossière, est celle des prophéties attribuées aux sibylles qui prédisent l'incarnation de Jésus, ses miracles, et son supplice, en vers acrostiches. Ces bêtises, ignorées des Romains, étaient l'aliment de la foi des catéchumènes. Elles ont eu cours pendant huit siècles parmi nous, et nous chantons encore dans une de nos hymnes1: teste David cum sibylla, témoin David et la sibylle.

Vous vous étonnez sans doute qu'on ait pu adopter si longtemps ces misérables facéties, et mener les hommes avec de pareilles brides; mais les chrétiens ayant été plongés quinze cents ans dans la plus stupide barbarie, les livres étant très-rares, les théologiens étant très-fourbes, on a tout osé dire à des malheureux capables de tout croire.

CINQUIÈME IMPOSTURE.

Illustres et infortunés Romains, avant d'en venir aux funestes mensonges qui vous ont coûté votre liberté, vos biens, votre gloire, et qui vous ont mis sous le joug d'un prêtre; et avant de vous parler du prétendu pontificat de Simon Barjone, qui siégea, dit-on, à Rome pendant vingt-cinq années, il faut que vous soyez instruits des Constitutions apostoliques : c'est le premier fondement de cette hiérarchie qui vous écrase aujourd'hui.

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Au commencement du 11° siècle il n'y avait point de surveillant, d'épiscopos, d'évêque revêtu d'une dignité réelle pour sa vie, attaché irrévocablement à un certain siége, et distingué des autres hommes par ses habits; tous les évêques mêmes furent vêtus comme des laïques jusqu'au milieu du ve siècle. L'assemblée était dans la salle d'une maison retirée. Le ministre était choisi par les initiés, et exerçait tant qu'on était content de son administration. Point d'autel, point de cierge, point d'encens : les premiers Pères de l'Église ne parlent qu'avec horreur des autels et des temples 1. On se contentait de faire des collectes d'argent, et de souper ensemble. La société chrétienne s'étant secrètement multipliée, l'ambition voulut faire une hiérarchie; comment s'y prend-on? Les fripons qui conduisaient les enthousiastes leur font accroire qu'ils ont découvert les Constitutions apostoliques écrites par saint Jean et par saint Matthieu; « quæ ego Matthæus et Joannes vobis tradidimus 2 ». C'est là qu'on fait dire à Matthieu: <«< Gardez-vous de juger votre évêque, car il n'est donné qu'aux prêtres d'être juges 3. » C'est là où Matthieu et Jean disent : « Autant que l'âme est au-dessus du corps, autant le sacerdoce l'emporte sur la royauté : regardez votre évêque comme un roi, comme un maître absolu, dominum; donnez-lui vos fruits, vos ouvrages, vos prémices, vos décimes, vos épargnes, les prémices, les décimes de votre vin, de votre huile, de vos blés, etc. Que l'évêque soit un dieu pour vous, et le diacre un prophète. Dans les festins, que le diacre ait double portion, et le prêtre le double du diacre; et s'ils ne sont pas à table, qu'on envoie les portions chez eux. >>

Vous voyez, Romains, l'origine de l'usage où vous êtes de mettre la nappe pour donner des indigestions à vos pontifes; et plût à Dieu qu'ils ne s'en fussent tenus qu'au péché de la gourmandise!

Au reste, dans cette imposture des Constitutions des apôtres, remarquez bien attentivement que c'est un monument authentique des dogmes du Ie siècle, et que cet ouvrage de faussaire rend hommage à la vérité, en gardant un silence absolu sur des innovations qu'on ne pouvait prévoir, et dont vous avez été inondés

1. Justin et Tertullien. (Note de Voltaire.)

2. Constitutions apostoliques, liv. II, ch. LVII. (Id.)

3. Liv. II, ch. xxxvI. (Id.)

4. Liv. II, ch. xxxiv. (Id.)

5. Ibid., ch. xxx. (Id.)

6. Ibid., ch. xxxvIII. (Id.)

de siècle en siècle. Vous ne trouverez, dans ce monument du Ie siècle, ni trinité, ni consubstantialité, ni transsubstantiation, ni confession auriculaire. Vous n'y trouverez point que la mère de Jésus soit mère de Dieu, que Jésus eût deux natures et deux volontés, que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils. Tous ces singuliers ornements de fantaisie, étrangers à la religion de l'Evangile, ont été ajoutés depuis au bâtiment grossier que le fanatisme et l'ignorance élevaient dans les premiers siècles.

Vous y trouverez bien trois personnes, mais jamais trois personnes en un seul Dieu. Lisez avec la sagacité de votre esprit, seule richesse que vos tyrans vous ont laissée, lisez la prière commune que les chrétiens faisaient dans leurs assemblées, au second siècle, par la bouche de l'épiscope :

« O Dieu tout-puissant, inengendré, inaccessible, seul vrai Dieu, et père de Christ ton fils unique, Dieu au Paraclet, Dieu de tous, toi qui as constitué docteurs les disciples par Christ', etc. »>

Voilà clairement un seul Dieu qui commande à Christ et au Paraclet. Jugez si cela ressemble à la Trinité, à la consubstantialité établie depuis à Nicée, malgré la réclamation constante de dix-huit évêques et de deux mille prêtres 2.

Dans un autre endroit, le même auteur, qui est probablement un évêque secret des chrétiens à Rome, dit formellement: le Père est Dieu par-dessus tout3.

C'était la doctrine de Paul, qui éclate en tant d'endroits de ses Épîtres. « Ayons la paix en Dieu par notre Seigneur JésusChrist *. >>

« Nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort du fils. >> « Si, par le péché d'un seul, plusieurs sont morts, le don de Dieu s'en est plus répandu, grâces à un seul homme, qui est Jésus-Christ". »>

« Nous sommes héritiers de Dieu, et cohéritiers de JésusChrist". >>

<< Supportez-vous les uns les autres comme Jésus vous a supportés pour la gloire de Dieu 8. >>

1. Constitutions apostoliques, liv. VIII, ch. vi. (Note de Voltaire.)

2. Voyez l'Histoire de l'Église de Constantinople et d'Alexandrie, bibliothèque bodléienne. (Id.)

3. Constitutions apostoliques, liv. III, ch. xvi. (Id.)

4. Épitre aux Romains, ch. v, v. 1. (Id.)

5. Ibid., v, 10. (Id.)

6. Ibid., v, 15. (Id.)

7. Ibid., vi, 17. (Id.) 8. Ibid., xv, 7. (Id.)

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