Images de page
PDF
ePub

l'histoire nous force de classer parmi les plus affligeantes vérités.

Dans l'intérieur de l'Empire, tout correspond à cet accroissement d'influence et de domination extérieures. L'admiration descend des premiers rangs, et se propage jusqu'aux dernières classes du peuple. Çà et là quelques amis de l'humanité gémissent sur les blessures qu'elle a reçues, sur celles qu'elle doit recevoir encore : quelques amis de la liberté déplorent le sort de la France contre laquelle s'agglomèrent tant de haines et de vengeances, à laquelle tant de représailles sont dues, et qui, pour avoir enchaîné la victoire à son char, ne sera pas moins et sera plus long-temps asservie que les provinces et les royaumes que NapoJéon a conquis. Ces jeunes citoyens qu'il enlève à l'agriculture, à l'industrie, aux arts, aux études libérales, pressés pour le brigandage continental, comme l'Angleterre presse les oisifs et les vagabonds pour la piraterie maritime, devenant, par nécessité, sur une terre étrangère, d'impitoyables ravisseurs, affranchis par cette même nécessité des lois de la discipline, rentreront sur la terre natale pour donner un maître à leurs concitoyens, un tyran à la patrie. Si Napoléon reconnoît encore le grand peuple, c'est pour qu'en échange le grand peuple proclame Napoléon le grand homme : il flatte pour être adoré.

Au milieu de tant de graves circonstances, et quand tous les ordres de l'état l'attendoient avec impatience pour célébrer ses brillans succès, on apprit, avec étonnement, que le vainqueur d'Austerlitz imposoit au tribunat l'obligation d'aller déposer à l'hôtel de ville de Paris les trophées de sa victoire. Par quel motif chargea-t-il des fonctions ordinaires de ses aides-de-camp, les tribuns, corps de représentans et portion du corpslégislatif? Cet ordre n'étoit-il que l'effet du caprice, de cette humeur bizarre et cynique, qui souvent se faisoit jour à travers l'appareil imposant de la souveraineté, et se mettoit en scène tandis que le cercle des adorateurs comprimoit son étonnement et dissimuloit son embarras? Non, il humilioit une autorité qui gênoit sa marche, qui pouvoit un jour la contrarier, dont le titre et la tribune fatiguoient sa pensée, importunoient les regards qu'il portoit sur l'avenir.

[ocr errors]

L'empereur, soit par ménagement, soit par système, préparoit ainsi, de loin, l'opinion aux changemens qu'il projetoit. L'époque de la paix de Presbourg est la plus glorieuse de son règne; celle où son génie dirigea les affaires audehors et au-dedans avec plus d'art et d'ensemble. La nation éblouie ne désespéroit pas encore de sa liberté ; l'alliance au-dehors n'étoit pas encore un humiliant servage.

CHAPITRE IX.

Guerre contre la Prusse. Traité de Tilsitt. Nouvelle organisation du corps législatif. Suppression du tribunat. Politique modérée de Napoléon à cette époque. Dans l'intérieur il protége les sciences et les savans, les lettres et les beaux-arts.

CEPENDANT telle est la terreur dont la confédération rhénane et son protecteur remplissent la cour de Berlin, que le roi de Prusse eroit devoir appeler sur l'Allemagne les regards de l'Angleterre et des puissances du nord, cimenter une coalition et lever des forces imposantes. L'Autriche voyoit avec une secrète satisfaction ces mouvemens et ces apprêts. Ce rôle passif lui étoit prescrit par ses derniers revers. Elle Septembre dévoroit sa honte et dissimuloit ses ressentimens. Sans trésor et sans crédit, elle avoit à compléter, à réorganiser son armée, à rétablir ses finances épuisées. Mais les bons Allemands aiment leur prince, et ne séparent pas leur honneur et leurs intérêts de l'honneur et des intérêts de leur gouvernement. Le cabinet de Vienne se promettoit cependant de recourir à propos aux ressources

1806

extrêmes de la politique, ne pouvant, de longtemps, employer celles de la force.. L'orgueil de la maison d'Autriche consentira, à des sacrifices la nécessité seule peut absoudre, et que, que dans les temps ordinaires, réprouveroient la religion, la morale et l'honneur.

Napoléon avoit lui-même l'œil, sans cesse tourné sur le cabinet prussien; il en observoit tous les mouvemens; il épioit toutes ses démarches, et n'attendoit qu'un prétexte pour écraser, de tout le poids de sa puissance, un royaumequi, tout militaire qu'il étoit, hasardoit son existence, en s'engageant dans la lutte inégale à laquelle il se préparoit. A aucune époque, plus qu'alors, Frédéric second n'a manqué à la Prusse. Il falloit plus que de braves armées, que la tactique ordinaire, que le dévouement du prince et de la nation, pour résister à Napoléon, qui, par les dispositions les plus hardies, par les manoeuvres les plus savantes, confondoit l'art et l'expérience des plus grands capitaines. Ses secrets. n'avoient pas encore été surpris, et ses ennemis. n'avoient pas appris de lui-même à le vaincre.. Des combats malheureux, des places fortes enlevées; Berlin occupé; Postdam, quartier-général de l'empereur; tels sont les préludes et les résultats de la bataille d'Iéna, que suivent rapidement de nombreuses défaites. Ni la marche des armées,

[ocr errors]

russe et suédoise, ni les opérations tardives des escadres anglaises, n'empêchent les progrès de Napoléon. Maître de la Hesse et de la Prusse, il compose le royaume de Westphalie pour son frère Napoléon Jérôme. La Saxe s'accroît de la province de Varsovie; et l'électeur prend rang parmi les rois. C'étoit aussi le moment que sembloit avoir marqué la Providence pour le réta→ blissement de la Pologne. Elle réclamoit son indépendance; et, sous les auspices de Napoléon et de son armée victorieuse, sous l'abri d'une monarchie tempérée, elle se seroit élevée au niveau des nations libres et puissantes. Dès sa renaissance, elle pouvoit être, pour l'Europe, une barrière respectable; pour la France, une utile et généreuse alliée. L'occasion favorable fut manquée, parce que les raisons de famille prévalurent sur les raisons d'état; parce que l'honneur et la liberé n'étoient rien moins que pensée de Napoléon; parce qu'en laissant flotter dans l'incertitude et le doute les destins des braves Polonais, il couvroit ses propres desseins et se les attachoit par la crainte et par l'espérance. Bientôt il compromettra de nouveau le sort de la Pologne. Pouvant, sans obstacle, le fixer et garantir son indépendance politique, il la livrera à la vengeance, des Russes, épuisée d'hommes et d'argent; et l'accusation de l'avoir jouée,

la

1806,

« PrécédentContinuer »