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an VI.

parera les règnes de plusieurs Césars au seul règne de Napoléon, on trouvera que celui-ci étoit, plus qu'aucun autre ne le fut jamais, en opposition avec les hommes et les temps qui l'ont vu commencer et finir.

Expédition Peu de personnes ont cherché à pénétrer les d'Egypte, desseins couvroit l'expédition d'Égypte. C'éque toit une nouvelle voie que le génie impatient de Bonaparte ouvroit à son ambition. Loin de L'Europe, les campagnes d'Italie et le traité de CampoFormio le recommandoient à la nation, ainsi qu'au gouvernement qu'il avoit illustré par ses victoires et ses conquêtes. Quand sa main dirigeoit le coup mortel dont furent frappés, le 18 fructidor, la constitution de l'an 11, le corps législatif et le directoire lui-même; quand il provoquoit un coup d'état par l'intervention de son armée; quand il interprétoit le vœu menaçant de la force militaire, ne se proposoit-il pas de recueillir un jour les fruits de cet abus de la force armée? Son génie et son caractère sont profondément empreints dans le ton et le style de ses nombreuses adresses.

Bonaparte avoit hâté la paix, espérant de profiter des discordes qu'il avoit allumées au sein des grands corps de l'Etat mais le moment de leur dissolution n'étoit pas encore venu. Quoique blessé au coeur, le directoire se soutenoit par sa

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police, par la divergence des partis; et son agonie se prolongeoit par des moyens qui devoient rendre sa décadence plus honteuse et sa chute plus éclatante.

Paris n'eût été pour Bonaparte qu'une voluptueuse Capoue. De flatteuses illusions voiloient, à tous les regards, ses véritables traits. Il se connoissoit trop bien lui-même pour ne pas sentir tout le prix de ce talisman officieux. Il ne connoissoit pas moins l'inconstance de l'opinion, et la fragilité de la faveur populaire. Il avait surtout à ménager la jalousie des gouvernans, et à craindre la rivalité de ses égaux. Parmi ces derniers, il en étoit alors qui veilloient pour la patrie. La marche de son ambition ne fut pas fougueuse et précipitée, comme l'a été celle de son pouvoir. Il calcula froidement les moyens de succès et les obstacles; et sa passion n'eut qu'ellemême pour guide et pour conseil. Dès long-temps il lui avoit fait le sacrifice de sa conscience, le premier que doivent faire tout entier et sans retour les ambitieux et les usurpateurs.

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Dès lors Bonaparte conçoit et résout une entreprise romanesque, qu'approuve un ministre, grand homme d'état; le Directoire souscrit à cette croisade d'un ordre si nouveau, à cette colonisation, qui coûta à la France des trésors, des savans, des artistes, sa plus belle armée et tous ses

vaisseaux. Entraîné par l'ascendant qu'exerce l'audace sur la foiblesse, séduit par une perspective de conquêtes, dont la République faisoit les frais, et ne devoit pas recueillir les fruits, il ne pénétra pas le véritable dessein de celui qui avoit conseillé cet inconcevable et hasardeux armement. Déjà la Méditerranée étoit couverte des débris de notre escadre, et des cadavres de nos marins, de nos guerriers, quand le directoire rêvoit encore, et, sur la foi de son rêve, proclamoit la possession de l'Egypte, les terreurs de la Sublime - Porte, et l'humiliation de l'Angleterre, spoliée de son commerce dans les Echelles du Levant, menacée dans son empire de l'Inde. Il montroit à la vanité française l'étendard tricolor, flottant sur les tours de Constantinople, quand cette capitale retentissoit du canon d'alarme et du cri des vengeances; quand la mort moissonnoit dans les combats les soldats qu'épargnoient l'ardeur du jour et la fraîcheur des nuits; contraste de température dont l'éducation, l'habitude, et un régime analogue au climat, peuvent à peine vaincre la maligne influence. Après huit siècles, cette terre d'Égypte, célèbre par d'augustes et de religieuses traditions, avant d'être fameuse par ses monumens et ses ruines, ouvrit de nouveau son sein pour dévorer des milliers de Français, l'espérance, l'honneur de la patrie.

Beaucoup de personnes ont cru, et cette opinion n'est pas dépourvue de vraisemblance, que la présence de Bonaparte importunoit le gouvernement; que des yeux observateurs avoient pénétré dans les plus secrètes profondeurs de sa politique (1), et que, pour s'affranchir à-la-fois de la honte de le craindre ou du danger de le punir, on lui avoit prodigué tous les moyens de satisfaire son ambition sur une terre qui n'opposoit aucunes limites à son humeur guerrière, à sa passion des conquêtes, et qui, non moins que la Grèce, demande à renaître à la civilisation, aux arts, au commerce dont elle avoit été, longtemps après Alexandre, le centre et le dépôt. Cette dernière considération étoit bien propre à flatter l'orgueil de Bonaparte, et à stimuler l'activité de son génie. Aussi la saisit-il avec une sorte d'emportement, sans arrêter sa pensée sur les obstacles qu'il auroit à surmonter, sur les résistances qu'il auroit à vaincre. Toute idée de nouveauté, de révolution, de bouleversement, avoit pour lui des charmes. Il couvroit de son dédain les choses faites; et jamais on n'auroit pu dire de Bonaparte, réformateur ou créateur, qu'il étoit content de son ouvrage.

(1) Cette opinion pourrait bien expliquer l'approbation donnée, par le premier homme d'état de ce tempslà, à l'expédition d'Egypte.

Le plus inévitable de ces obstacles étoit une guerre juste dans sa cause, funeste par ses conséquences; et c'est celui que Bonaparte eût été désespéré de ne pas rencontrer sur cetle terre déjà trop fameuse par nos défaites. L'envahisse ment de l'Égypte s'offroit à l'esprit de tout homme sage comme une violation de tous les droits des sujets et des souverains. L'alarme, comme l'improbation, étoit universelle. Il est permis de douter si le directoire s'enivroit de vaines illusions " ou s'il étoit de mauvaise foi; mais Bonaparte envisageoit avec calme, comme des choses prévues, tous les efforts que feroit la Porte, alliée à l'Angleterre, pour faire expier à la France la subite agression dont, sous les auspices de la paix, elle se rendoit coupable envers le successeur et la religion du prophète.

Qu'il me soit permis de révéler ici un fait gravé dans ma mémoire, que j'ai consigné dans quelques notes historiques, et qui appartient essentiellement au sujet que je traite.

Douloureusement frappé des conséquences désastreuses qui pouvoient résulter d'une aussi téméraire entreprise, je communiquai mes craintes à un homme d'état, éminemment placé dans le conseil du gouvernement, et dont les communications fréquentes avec le général Bonaparte m'étoient connues. Il me répondit avec assu

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