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CHAPITRE X.

Nouveaux accès de l'ambition de Napoléon. Invasion de l'Espagne; captivité du Roi et desa famille; détails sur ce grand événement. Joseph, roi d'Espagne; le prince Murat, roi de Naples. Dernière guerre contre l'Autriche. Illusions et décadence de Napoléon; sonalliance avec l'Autriche; son mariage avec l'archiduchesse Marie-Louise: réflexions sur cet événement.

TEL que ces indomptables dominateurs des

forêts, dont une éducation domestique semble avoir assoupli les inclinations jusqu'à l'obéissance,mais dont l'instinct, se développant avec la force, méconnoît la voix et la main du maître; Napoléon se débat, en quelque sorte, dans ce noble repos où l'ont conduit sa fortune et ses victoires. Il réclame son activité guerrière; il redemande ses armes et les combats. Il n'a pas, comme Achille, à venger la mort d'un ami; il a son insatiable ambition à satisfaire. Qui possède un empire est son ennemi. Ni la perspective d'une puissance qu'il lui est facile de con

solider, qu'il est dangereux d'étendre, ni le besoin de légitimer une gloire contestée par celte gloire que le temps confirme, ni le deuil de la France, plus que décimée par de doubles et de triples conscriptions, ni le vœu des peuples pour la réconciliation des rois et la paix du monde, n'ébranlent ses résolutions. Son esprit se refuse à tous les conseils, son cœur est fermé à tout sentiment de justice. La carrière de sang qu'il s'est tracée, il veut la parcourir entière; la destinée qu'il s'est faite, il veut l'accomplir. Cet homme, qui impose à ses sujets (naguère ses égaux) tant de soumission et de servile dévouement, est son propre esclave. Il obéit à ses passions, d'autant plus irritées, d'autant plus fougueuses, que sa raison, qu'un vague sentiment d'humanité les auront plus contenues. Conseillers timides, vous ne serez plus interrogés! Nation française, il n'a plus à consulter tes intérêts, celui qui t'a dépouillée de tous tes droits! Braves légions, que tant de victoires, tant de vertu patriotique ont illustrées, vous entrerez dans le royaume d'un peuple allié en amis perfides, vous y serez combattus en tyrans abhorrés, et réduits par le poignard et le climat à n'être qu'une poignée de fugitifs; et cependant vous en sortirez, fidèles à vos sermens, pour vous rallier sous les drapeaux de Napoléon,

Octobre et

1807.

pour le servir, le défendre, pour subir, ainsi que lui-même, la loi d'un vainqueur. Sublime exemple de résignation, d'obéissance et de patriotisme!

Si jamais de tels attentats furent commis, qui mois suivans dussent faire craindre aux hommes, qu'abandonnés par la Providence, la justice fút remontée au ciel pour n'en plus redescendre; ces attentats se trouvent tous réunis dans le tableau des scènes scandaleuses qui précédèrent l'invasion armée du royaume d'Espagne, et des scènes sanglantes qui la suivirent. Quel concert de perfidies et de violences! Quel appareil de démonstrations amicales, pour surprendre la bonne foi d'un souverain qui se précipite au-devant des embûches qu'un autre souverain lui a tendues! Avec quel art, sous la garantie de l'alliance et paré du titre de conciliateur, Napoléon circonvient toutes les avenues du palais, explore les secrètes dispositions d'un roi foible, d'une reine accusée, d'un indigne favori; tandis que sa ténébreuse politique enveloppe, cerne en tous sens et lui livre le prince des Asturies, héritier du trône, dès long-temps sacrifié à des ressentimens dont la source offense à la fois la nation espagnole, la dignité royale et la morale publique! Par combien d'astucieuses manœuvres il s'empare de la confiance

du roi, son allié le plus utile et le plus fidèle séduit et joue le prince de la Paix, rassure la reine et la met dans ses intérêts, et fait dépendre le sort de l'héritier de la couronne, flottant entre l'espérance et la crainte, d'un entier abandon aux volontés de son généreux protectenr! Le génie de Napoléon remplit les paais d'Aranjuez, de Madrid; ses agens d'intrigue agitent la capitale et divisent la cour, lorsqu'encore les Espagnols se croient de bonne foi placés sous les auspices de l'empereur des Français, et se flattent de bientôt devoir à son influence la régénération politique à laquelle ils se sont préparés. Il semble qu'un pouvoir surnaturel entraîne à sa perte cette antique famille de rois. Son aveuglement dure encore, quand le voile s'est déchiré pour la nation espagnole, quand la nation française est éclairée sur ce grand forfait, quand l'armée elle-même condamne cette guerre, dont elle prévoit, non les dangers, mais la honteuse issue.

La conséquence immédiate de l'invasion de l'Espagne fut une insurrection générale contre l'oppresseur. Un gouvernement provisoire fut organisé ; et le cabinet britannique, trop habile pour ne pas faire tourner cet événement à son avantage, et au désavantage de son ennemi, dele vœu de la nation opprimée, par l'offre

vança

d'un secours prompt et puissant. Il répondit, avec une générosité digne d'un grand peuple, à cette faveur inattendue de la fortune. Il vit dans cette entreprise de Napoléon un grand attentat dont l'impunité entraîneroit le renversement de tout ordre politique; et, dans la guerre à laquelle il s'obligeoit envers l'Espagne, un titre à la considération de tous les peuples; un motif pressant pour les princes coalliés de confier au ministère anglais la direction des moyens qu'exigeroit la défense commune. Qui ne jugea pas alors que l'influence de l'Angleterre étoit prodigieusement accrue, que la résistance de l'Espagne, comme celle du Portugal, occuperoit et consumeroit successivement les meilleures troupes de Napoléon, qu'il disperseroit ses forces quand les ennemis concentreroient les leurs, et qu'enfin la paix seroit rendue à l'Europe, soit par sa résignation, soit par sa chute? Le présomptueux Napoléon fut le seul qui ne prévit pas ces inévitables résultats de son usurpation. Et à l'époque présente, ni durant le cours de cette guerre, si injuste dans son principe, si barbare dans ses moyens, les Français ne cessèrent de manifester leur improbation avec un courage dont ils ont manqué dans leur propre cause. Ils ont constamment réclamé pour la nation espagnole des droits dont ils ont patiem

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