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dont le caractère ferme et résolu réfléchira la raison même de la loi. Cette constitution est voulue par le monarque lui-même : volonté solennellement proclamée à l'époque où la nation rétablit en sa faveur des droits perdus, et par un libre choix le rappelle, lui et sa famille, sur un trône où nulle autre puissance ne l'eût fait

monter.

Les états périssent le plus souvent, parce que l'autorité ministérielle tend constamment à l'arbi traire, et à ployer avec adresse la volonté du prince à ses propres volontés. Plus les ministres s'efforcent d'éluder toute responsabilité, plus doivent être vigilantes et sévères les chambres législatives. Les ministres qui la craignent s'accusent eux-mêmes. Dans les monarchies tempérées, la liberté des peuples repose uniquement sur l'indépendance, le courage, le désintéressement de leurs représentans. Ces vertus sont les premiers obstacles qu'il importe aux agens du prince d'écarter ou de vaincre, bien certains de franchir ensuite toute autre barrière. Notre état social est assis sur trois bases principales la division des pouvoirs, la liberté de la presse, la responsabilité des ministres. Qu'une de ces colonnes soit ébranlée, l'édifice perd son à-plomb, chancelle et s'écroule. Un despote et des serfs, c'est tout ce qui reste, après tant de combats

et de sacrifices. Heureux les peuples dont le gouvernement marche, précédé du flambeau de la censure! il accueille toutes les lumières qui viennent éclairer les avenues du trône, et se presser autour de l'enceinte où le législateur interprète les voeux de la nation! Les reflets de la vérité s'étendront de rang en rang, des palais jusqu'aux chaumières. L'adulation sera discrète, et les corrupteurs plus circonspects. Le plus haut degré de vertu dans les cours n'est guère autre chose qu'une vertu négative. Les communications familières avec les agens du pouvoir royal sont les écueils ordinaires où celle des législateurs va se briser; et, lors même qu'ils y touchent sans faire naufrage, ils encourent une sorte de disgrâce populaire ; ils provoquent contre eux la défiance et le soupçon.

La confiance du roi en la chambre des pairs,' sa haute estime pour la chambre des députés, l'accord des deux chambres et du roi, pour maintenir, dans toute son intégrité, la charte constitutionnelle : tels sont les motifs de notre sécurité et les garans de nos droits.

CHAPITRE XIV.

De l'abdication de Bonaparte et du traité de Fontainebleau. Motifs secrets de cette abdication. Bonaparte dans l'ile d'Elbe: de quelle considération il y pouvoit jouir. Son projet de retour en France. Des causes sur lesquelles il fonde le succès de son entreprise. Son plan; son débarquement à Cannes; sa conduite à Grenoble, à Lyon; sa marche triomphale jusqu'à Paris. Juste appréciation du parti qui se montra en faveur de Bonaparte; ses proclamations; sa persévérance dans son despotisme militaire, prouvée par le désaveu de ses proclamations populaires.

LA nation française, quinze ans courbée sous le joug de Bonaparte, s'étoit vainement flattée, pendant onze mois, qu'entre elle et le solitaire de l'ile d'Elbe, tout lien étoit à jamais rompu, et qu'il ne nous restoit de lui que le souvenir de sa tyrannie.

La mer d'Italie le séparoit de nous et du reste du monde. Si sa vie politique se fût là terminée,

nous n'aurions qu'une ébauche de son caractère; il nous seroit moins bien connu. Bonaparte est une grande erreur de la nature, qu'elle ne peut deux fois commettre; son système de politique, fortement conçu, est hors des proportions humaines, et presque idéal! Il n'eut pas de modèle ; il n'aura pas d'imitateurs; il s'offre néanmoins aux races régnantes comme un sujet de méditation et d'étude; car, sans être son émule, un prince peut encore être bien funeste à ses peuples. Il faut lui montrer les voies que Bonaparte s'est frayées pour qu'il apprenne à les éviter. Ce n'est pas seulement les institutions qu'il vouloit changer, mais l'espèce humaine.

Pour consommer son œuvre et combler nos malheurs, il avoit trompé les rois et dissimulé avec Dieu lui-même, témoin et gardien du serment des hommes. Lorsqu'il put balancer les dangers et les moyens d'une invasion, lorsqu'il jugea que les hommes et les événemens favorisoient son audace, la mer ne fut qu'une foible barrière. Déjà il a renoué les fils de la trame qu'il avoit précédemment ourdie pour nous asservir.

Cette entreprise, que tant de hasards environnent, paroît d'abord couronnée par un merveilleux concours de circonstances : c'est pourquoi des espérances renaissent, des cœurs ulcérés aspirent à la vengeance, les rôles sont distribués,

l'action commence, les bons citoyens frissonnent d'horreur et d'effroi.

Nous éprouvons des maux qu'un gouvernement ferme et sage peut guérir; toutes nos pertes ne sont pas irréparables; mais il est à craindre que l'humiliation d'un peuple qui fut grand par la puissance et par la gloire, le premier par les arts et le génie, ne rejette pour long-temps ce peuple dans cet état d'inertie et de langueur, qui, plus que la tyrannie, enchaîne la force physique, paralyse les facultés morales, et qui tient dans une sorte d'immobilité servile le chef et les membres du corps social jusqu'à des temps où l'existence politique d'autres rois et d'autres peuples est remise au hasard des événemens, où la balance des droits et des intérêts reprend son équilibre, où l'humanité se régénère. L'homme est lui-même l'arche où se conserve le code de la nature.

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Lorsque, dans le chapitre précédent, et dès les premiers mois du règne de Louis xvIII, j'énonçai mes pressentimens sur le retour de Napoléon, j'interprétois des craintes et des désirs encore vagues, et qui se renfermoient dans les cœurs par des motifs divers. En présentant cet événement comme possible et surtout comme funeste, j'appelois sur l'île d'Elbe l'attention des puissances intéressées à le prévenir. On n'en donna aucune aux signes de ce triste présage t. 1, ch. 51.

1814, Essai

historique,

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