Images de page
PDF
ePub

!

CHAPITRE XV.

Publication de l'acte additionnel. Convocation des colléges électoraux, sous le titre spécieux du Champ-de-Mai. Vues secrètes de Bonaparte. Chambre des représentans; sa composition; sa conduite; sa résolution d'opposer une inflexible résistance au despotisme de Napoléon. Organisation de l'armée; son départ. Bataille de Fleurus et de Waterloo. Déroute de l'armée. Départ de Bonaparte; son retour à Paris; son abdication forcée en faveur de son fils: erreur des chambres à ce sujet. Gouvernement provisoire; sa fin et celle des chambres en présence des armées alliées. Capitulation. L'armée française stationnée audelà de la Loire, et rentrée du Roi à Paris.

CE signal fut donné le 22 avril 1815, par

la

publication de l'acte additionnel aux constitutions, œuvre clandestine, écrite par des valets sous la dictée du maître. Dans cet acte, on voit le despotisme se voiler de quelque pudeur, tourmenter les principes, déguiser son venin, et

pousser jusqu'à ses derniers termes la doctrine de Machiavel. Cet acte sort tout-à-coup du cabinet impérial, comme sortent du sein des ténèbres de lugubres météores, des lueurs pâles et vacillantes. Vainement cent voix le procla→ ment comme le complément des constitutions antérieures, de celle de l'an vIII, des sénatusconsulte organiques; l'œil le moins exercé, le moins prévenu, ne découvre dans cet acte que le régime sous lequel nous avons gémi, mais paré et présenté avec plus d'art. Tout, en effet, y est prévu et coordonné pour enchaîner de nouveau la nation et soumettre ses représentans à la volonté du chef de l'état ; et Bonaparte, plus aveuglé sur nos dispositions, quand nous sommes plus éclairés sur son inflexible caractère, feint d'oublier que la France veut être régie par une constitution librement acceptée. Après tant de pompeuses protestations, comment acquitte-t-il ses promessses? Il évoque d'antiques souvenirs, il rajeunit de vieilles institutions, il cherche à nous séduire par des dénominations et des usages que notre vénération a consacrés, mais qui sont sans rapport avec nos institutions nouvelles. Déguisant, dans les formes, ses impostures et ses variantes politiques, il se persuade qu'il intéressera la moitié des Français à des représentations théâtrales; qu'ils prendront le change touchant

[ocr errors]

leur liberté, s'il étale à leurs yeux le signe de la liberté de nos pères; enfin, que, par respect pour des siècles barbares, nous renoncerons aux lumières du siècle où nous vivons. C'est ainsi qu'en l'an vIII, il décora de noms romains, symboles de la grandeur et de la liberté, sa dictature consulaire.

L'empereur, séduit par ses nouvelles conceptions, se croyant plus grand et plus fort, pour avoir parodié Charlemagne et PhilippeAvril 1815. Auguste, convoque, avec une puérile ostentation, un Champ-de-Mai; il détermine les élémens et l'objet de cette réunion importante. Ces élémens sont les électeurs de la France; cet objet, c'est la révision et l'acceptation des articles additionnels. La renommée remplit le monde de cet hommage que Napoléon rend à la nation française, et en elle à tous les peuples. On projette, on exécute à grands frais le cirque autour duquel on verra rangée, par département, la représentation nationale, et le trône sur lequel l'empereur lui-même ne sera que premier représentant. A la veille du dénouement, on apprend que tout cet appareil n'est qu'une jonglerie; ; que les fonctions de ce congrès électoral se borneront à constater les votes individuels émis dans l'empire, pour l'admission ou le rejet de l'acte additionnel, et à parapher des registres

[ocr errors]

dont il est impossible d'établir l'authenticité (1). Dès-lors cette prétendue solennité se change en une parade aussi mesquine que ridicule; l'ironie et le sarcasme atteignirent l'empereur sans presque aucun ménagement; et son parlement improvisé, rappelant les notables de 1788, ne parut qu'un coup manqué et le triste présage d'une révolution prochaine.

Sous un autre rapport, la politique de l'empereur fut en défaut ; il n'attendit pas la réunion, dans la capitale, des colléges électoraux pour réduire leur ministère à une simple énumération de votes individuels, quels que fussent les pouvoirs dont ils se croiroient investis. C'est pourquoi peu d'électeurs s'exposèrent à la honte qui les attendoit. Le plus grand nombre dédaigna de figurer dans cette parade, qui eût à peine réussi au temps de notre superstitieuse foi envers l'homme du destin. Il fallut remplir les places vides par des hommes sans mission; les frais qui se firent pour donner à cette assemblée l'éclat et l'intérêt d'une fête publique, furent perdus.

L'empereur s'y rendit, entouré d'un nombreux cortége. Il attiroit sur lui les regards,

(1) Voles accordés, presque tous, au besoin de conserver un emploi et le pain d'une famille.

et les cœurs sembloient s'en éloigner. Il est si facile de distinguer la curiosité de l'affection! Chacun expliquoit, d'après ses espérances ou ses craintes, l'indifférence des spectateurs, les noirs soucis dont la physionomie de Bonaparte étoit, ce jour-là, profondément empreinte. Il joua son rôle jusqu'à la fin; et, quoiqu'il pût découvrir de nombreux motifs de repentir à l'égard du passé, et de crainte pour l'avenir, dans le discours énergique qu'il fut forcé d'entendre, comme étant l'expression franche, irrévocable de la volonté nationale, il parla et voulut, en maître de la nation, devant un congrès de représentans immédiats de la nation.

Cet essai, que les électeurs venoient de faire de la politique et du caractère de Napoléon, eut des conséquences qu'il prévit peut-être (car il entendoit par l'organe de sa police jusqu'au plus léger murmure), mais qu'il n'étoit plus temps de détourner. Ils purent apprécier cet homme, que la plupart d'entre eux n'avoit jugé que sur la foi des journaux, sur le témoignage des poètes qu'il tenoit à ses gages, qu'à travers une épaisse atmosphère d'adulations et de louanges. Ils avoient mesuré sa force; ils pouvoient calculer la résistance par laquelle elle seroit ou comprimée ou vaincue.

Un gouvernement franchement militaire

« PrécédentContinuer »