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nouvel essai de liberté ; qu'elle est pour eux un insupportable fardeau ; qu'ils demandent à respirer à l'ombre délétère d'un trône despotique : et c'est ainsi que les peuples sont immolés !

S'il est vrai qu'Auguste eût pu régner comme régna Tibère, il n'est pas moins certain que Bonaparte pouvoit franchir d'un pas les divers degrés qui l'ont conduit de la dictature consulaire à la monarchie impériale, de celle-ci au despotisme militaire le plus absolu, et gouverner dans le principe comme il a gouverné dans la suite. Il se seroit épargné bien des soins, à la France de grands malheurs. Son régime auroit été franchement dur, peut-être cruel, au lieu d'être machiavélique, et, pour ainsi dire, frauduleux; car à de pompeuses promesses répondirent toujours des lois plus fiscales, des conscriptions plus meurtrières, des guerres plus désastreuses. On a dit, même lorsqu'il étoit le plus craint (et je suis très-éloigné de le croire sur parole), que son caractère se composoit de l'orgueil insensé de Caligula, des basses inclinations de Commode; de la triste et sombre politique de Tibère, et d'une insensibilité pour tout ce qui est humain dont aucun de ces méchans princes n'approcha jamais. Je retrace ce portrait dans toute son horreur, parce qu'il est démenti par les faits, parce que l'exagération en démontre la fausseté, et

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parce qu'enfin, pour peindre Bonaparte, il ne faut rien emprunter d'autrui; il ne faut étudier que lui-même. Les grandes et mauvaises qualités se compensent dans sa tête comme dans son ame. L'admiration que lui ont long-temps décernée le grand peuple qu'il a gouverné, les peuples qu'il a soumis, la nation même qui le hait, attestent un génie supérieur et des talens extraordinaires. S'il eût ressemblé à l'un des monstres auxquels on l'a comparé, les Français auroient moins longtemps souffert sa tyrannie. Ils ont pu la supporter, parées des brillantes illusions de la gloire, assise sur des trophées, environnée d'armées victorieuses, de pompe et d'éclat. Mais, qu'on ne s'y trompe pas, la vanité du Français s'allie avec la fierté. Il peut consentir à tout, excepté à rougir de son général, de son prince.

Bonaparte se condamne à une pénible modération durant le consulat temporaire. Son intérêt même lui prescrivoit cette marche lente et circonspecte. Sa pénétration naturelle abrégea ce temps d'épreuve, qui fut pour nous un rapide moment d'espérance: il n'eut pas long-temps à étudier les personnages qui l'approchoient. Les courtisans devinèrent ce qu'il vouloit d'eux, et transigèrent. Sa catastrophe nous a dévoilé leur dissimulation et leur perfidie: double imposture qui les couvre d'opprobre et de mépris.

On ne parla jamais moins de constitution que sous la constitution de l'an vIII. On se reposoit sur un seul homme du présent et de l'avenir. On ne tiroit aucune conséquence fâcheuse de la nullité du second consul, ni des anciennes affections du troisième, ni de cette rivalité de prévenances qui éclatoit en véritable idolâtrie dans la chambre sénatoriale et dans celle des législateurs. Cependant quelques hommes que distinguoient d'éminentes vertus, alors même qu'ils sacrifioient de grandes lumières à l'idole du jour, planoient audessus de ces masses de corruption, et nous rassuroient contre la vénalité, encore pudique, de quelques talens, et contre la prostitution effrontée de presque tous. L'autorité qu'exerçoit le consul, bornée par les formes, absolue dans la réalité, il la rapportoit encore avec une sorte de complaisance protectrice à la grande nation; et, dans son fallacieux langage, les rayons qu'il jetoit au loin n'étoient que les reflets de la grandeur, de la puissance et de la splendeur de la république. Soulevez le voile, et vous verrez assis sur la chaise curule le despote et le dominateur: il l'étoit dans sa pensée, et sa pensée étoit une résolution.

C'est ainsi que ses dissimulations mêmes prenoient l'apparence de vertus publiques. Il sut paroître à propos modeste magistrat, et s'attirer la confiance. On craignit un moment que le consul

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de la république ne fût indifférent ou insensible à la louange et c'étoit presque un orgueil de la lui prodiguer, lorsqu'il sembloit à peine la souffrir. Bientôt après il la commanda et ne la mérita plus (1).

(1) C'est mal à propos que l'on a fait un mérite à Tibère de repousser la louange et d'interdire la flatterie. Cette interdiction est le dernier terme de l'orgueil et du chagrin despotique. Tibère voyoit, dans l'adulation, une tentative de familiarité dont il s'indignoit. La louange est, cu effet, une sorte de violation du régime de stupeur et de silence.

CHAPITRE III.

Vues secrètes du consul; son ambition, sa politique astucieuse; ses moyens de corruption. Pacification de la Vendée. Mesures d'indulgence en faveur des émigrés. Lyon particulièrement protégée par le consul.

1801.

A MESURE que le pouvoir du consul se forti- octobre 1799. fioit de l'abandon que faisoient de leur autorité les premiers corps de l'État, ceux-ci sollicitoient pour lui de nouvelles faveurs, de plus grands sacrifices. Interprète empressé de la reconnoissance nationale, le sénat consacra la modération du consul, en doublant la durée de sa magistrature, qui commençoit à peine; et, pour hâter la fin de la république, il le proclama bientôt après consul à vie. Dès lors Bonaparte touchoit à la monarchie. Il attacha son regard sur ce sommet des grandeurs; et ce regard fut comme le signe approbatif du sourcil de Jupiter (1).

(1) Cette époque sera particulièrement remarquée par les hommes qui étudient les nations et les princes dans leur histoire politique et morale, et non dans de froides annales qui disent tout, si ce n'est les causes qui ont mis

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