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Après une courte explication, le prince invita plusieurs des notables à venir conférer avec lui sur les mesures capables de rétablir la tranquillité publique; on décida qu'une commission, composée de citoyens influents, serait chargée de présenter des propositions tendant à rétablir le bon accord entre le gouvernement et les habitants de Bruxelles. Enfin une proclamation annonça au peuple la détermination qui venait d'être prise à cet égard. A dater de ce jour, la garde civique adopta les mesures les plus sévères pour garantir le prince d'Orange de toute insulte de la part de la populace, et les personnages de la plus haute aristocratie se firent remarquer par leur zèle à remplir ce devoir, que la milice citoyenne avait si bien compris ellemême.

La commission devait avoir terminé son travail dans la matinée du 3 septembre; à dix heures elle fut introduite, et son président, le duc d'Ursel, annonça, en son nom, qu'elle demandait à l'unanimité la séparation des deux États. Le prince, étonné de ce vœu unanime, exprima le désir que cette grave question fût soumise sur-le-champ à une réunion de ceux des députés aux états-généraux qui se trouvaient alors à Bruxelles, des chefs de section et de tous les habitants notables. On s'empressa de faire connaître au dehors ce désir manifesté par le prince, et la réunion eut lieu. Elle

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fut des plus intéressantes. « Messieurs, dit avec émotion Guillaume d'Orange, je vous ai appelés pour que vous me fissiez connaître franchement votre opinion sur les propositions de la commission. Est-il vrai que le vœu général soit pour une séparation administrative? Oui, oui, la séparation! s'écria l'assemblée, dont la foule réunie au dehors répéta les acclamations. Mais, dit le prince après un assez long échange de paroles, si la séparation avait lieu, jureriez-vous fidélité à la dynastie des Nassau? Oui, répondit - on encore. Et si les Français envahissaient le royaume, fraterniseriez-vous avec eux ou marcheriez-vous à mes côtés pour les repousser? Nous repousserions les Français et nous résisterions de même à tous ceux qui voudraient se mêler de nos affaires. Vive la liberté! vive la Belgique ! Restez parmi nous, prince; soyez notre chef, soyez notre roi! >>

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L'enthousiasme de l'assemblée dépassant toutes les bornes, la situation du prince d'Orange devenait de plus en plus difficile. Il remercia avec dignité des sentiments qu'on lui exprimait, ajoutant que son premier devoir envers le roi l'obligeait à donner aux Belges l'exemple de l'obéissance; mais que ses sympathies demeuraient avec eux et qu'il espérait revenir bientôt à Bruxelles, porteur de nouvelles satisfaisantes. Avant de se séparer,

l'assemblée signa la proclamation suivante, qui fut contre-signée par le prince.

<«< Habitants de Bruxelles, S. A. R. le prince d'Orange va se rendre immédiatement à La Haye, pour présenter nos réclamations à S. M. Il les appuiera de toute son influence, et il a lieu d'espérer qu'elles seront accueillies. Aussitôt après son départ, les troupes évacueront Bruxelles. La garde bourgeoise s'engage sur l'honneur à ne souffrir aucun changement de dynastie, et à protéger la ville et notamment les palais. >>

. Une heure avant le départ du prince, plusieurs citoyens influents, au nombre desquels se trouvait M. Van de Weyer, ayant sollicité l'honneur d'une dernière entrevue, le supplièrent encore de faire connaître au roi l'impérieuse nécessité de la séparation, ajoutant que, si une réponse favorable n'arrivait pas promptement, ils désespéraient de pouvoir maintenir la tranquillité dans la ville.

On assure que le prince leur répondit alors, qu'il leur déclarait confidentiellement ses sympathies pour l'opinion qu'ils venaient d'émettre au sujet de la séparation des deux pays; qu'il emploierait les meilleurs arguments pour amener le roi à céder sur ce point, mais qu'il craignait de ne pas réussir, à moins que son père ne fût con

vaincu du désintéressement de sa conduite en cette circonstance, et que, pour arriver à ce but, il fallait qu'il pût montrer au roi une pièce confidentielle revêtue de leur signature, pièce dont ils s'engageraient à ne jamais divulguer le contenu.

Personne à Bruxelles ne met en doute aujourd'hui que cette attestation bizarre n'ait été remise aux mains du prince d'Orange, et la défiance politique de Guillaume Ier peut à peine faire croire à l'authenticité d'un pareil fait. Mais l'histoire, confidente de toutes les faiblesses, n'a-t-elle pas à enregistrer des faits plus étranges encore? Après ce dernier entretien, le prince, montant à cheval, se dirigea sur Vilvorde, escorté jusqu'à Laeken par la garde bourgeoise. Désormais Bruxelles allait être confiée à la garde de ses citoyens.

IV

'Revenons à la France. Assurément, si les gardes nationaux patriotes, qui s'étaient emparés, à Tours, de MM. de Peyronnet, de Guernon-Ranville et de Chantelauze ; à Granville, en Normane; die, du prince de Polignac, avaient pu se douter des embarras qu'ils préparaient ainsi à ce gouvernement nouveau, qu'ils considéraient comme

le produit d'une victoire éclatante remportée sur l'ancien régime, ils eussent hésité à garder leurs prises.

C'est qu'en effet, c'était un déplorable et difficile incident au début d'une royauté encore mal affermie que le procès politique qui allait s'ensuivre et réveiller les vengeances populaires un moment endormies par le triomphe.

Louis-Philippe, dont toute la préoccupation était d'amoindrir aux yeux de l'Europe la portée révolutionnaire de la catastrophe de juillet et de se poser en conservateur devant les rois européens, lui monarque issu des barricades, Louis-Philippe avait espéré que tous les ministres de Charles X pourraient gagner les frontières et braver à l'étranger, du fond de quelque retraite, la condamnation sévère, peut-être capitale, qu'on eût jetée en påture aux rancunes du peuple excitées par les agi

tateurs.

Leur arrestation modifiait nécessairement tout ce plan. Mais il faut ajouter, à l'éternel honneur de Louis-Philippe, qu'acceptant aussitôt la situation telle qu'elle lui était faite, il déclara que, quoi qu'il pût arriver, les derniers conseillers de Charles X ne périraient pas. C'était opposer une première digue au torrent révolutionnaire, et l'attitude des populations, lors du passage des voitures qui renfermaient les prisonniers pendant leur translation

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