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roi présent, le roi actuel aurait été le duc d'Orléans, régent du royaume, prince qui a vécu près du peuple, et qui sait que la monarchie ne peut être aujourd'hui qu'une monarchie de consentement et de raison. Cette combinaison naturelle m'eût semblé un grand moyen de conciliation, et aurait peut-être sauvé à la France ces agitations qui sont la conséquence des violents changements d'un État... Loin de moi surtout la pensée de jeter des semences de division dans le pays, et c'est pourquoi j'ai refusé à mon discours l'accent des passions. Si j'avais la conviction intime qu'un enfant doit être laissé dans les rangs obscurs et heureux de la vie, pour assurer le repos de trentetrois millions d'hommes, j'aurais regardé comme un crime toute parole en contradiction avec le besoin des temps je n'ai point cette conviction. Si j'avais le droit de disposer d'une couronne, je la mettrais volontiers aux pieds de M. le duc d'Orléans. Mais je ne vois qu'un tombeau à SaintDenis, et non un trône. »>

Que pouvait ce noble langage contre la force matérielle d'un fait à moitié accompli? L'illustre orateur avait dit une grande vérité tout en remplissant un grand devoir; son éloquente voix demeura sans écho. Quatre-vingt-neuf suffrages contre dix adoptèrent les dispositions de la déclaration de la Chambre des députés, sauf l'article

relatif à l'exclusion des pairs créés sous Charles X << s'en rapportant sur ce point à la haute prudence du lieutenant général du Royaume. » Quatorze pairs avaient déposé des billets blancs dans l'urne de ce solennel scrutin.

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Et deux jours après, le lundi 9 août, le duc d'Orléans se rendait de nouveau à la Chambre des députés disposée cette fois pour une séance royale. Là, entouré de ses deux fils aînés, les ducs de Chartres et de Nemours 2, en présence de sa sœur madame Adélaïde, attentive et fière; de la duchesse d'Orléans 3, triste et rêveuse; des trois princesses ses filles, rayonnantes de jeunesse et de beauté, en face des grands corps de l'État, il prêtait serment à la Charte nouvelle et se voyait proclamer roi des Français; titre fatal à ceux qui le portent, mais que Louis XVI avait illustré par son martyre. Ce serment, il l'a tenu; cette couronne, elle est tombée de son front. Est-il rien de plus cruellement illogique? Et, chose triste à constater, si le duc d'Orléans a perdu sa couronne, ce n'est pas parce qu'elle était mal acquise, mais parce que, à l'instar du roi Charles X, il n'a pas su la défendre. Il semble hélas que, pour mieux humilier notre infirme nature, la morale dispa

1. Né le 3 septembre 1810; mort le 13 juillet 1842.

2. Né le 25 octobre 1814.

3. Née le 26 avril 1782.

raisse entièrement de l'histoire, et que la dernière raison du succès soit invariablement l'habileté et la force.

Le nouveau roi, salué des noms de Louis XIX et de Philippe VII, avait l'ambition de tous les fondateurs de dynastie; il ne voulait succéder à personne et se fit appeler Louis-Philippe Ier.

LIVRE DEUXIÈME

I. Constitution d'un ministère définitif. Sa composition. Question extérieure. Attitude du gouvernement et du peuple anglais en présence de la révolution de Juillet. Lettre de Louis-Philippe à l'empereur' Nicolas. La Prusse et l'Autriche. Envoyés extraordinaires. Reconnaissance du roi Louis-Philippe. II. Hommes nouveaux. Les départements de l'intérieur et de la guerre. Le comte Molé aux affaires étrangères. M. Dupont (de l'Eure) et la magistrature. M. Odilon Barrot, préfet de la Seine. Les sociétés secrètes. Tentatives de Mina en Espagne. - III. Arrestation de quatre des ministres de Charles X. Mort du duc de Bourbon au château de Saint-Leu. - IV. Les légitimistes, les républicains, les bonapartistes. Louis-Philippe en face des partis. Ses habitudes privées. Le duc d'Orléans. Le duc de Nemours. Nuances diverses dans le ministère.

I

Le nouveau roi était un politique trop expérimenté pour ne pas se préoccuper tout d'abord de l'effet produit par la révolution de Juillet sur les puissances étrangères, et de la reconnaissance par les rois de l'Europe de sa dynastie entachée à leurs yeux d'un vice originel. C'était, dans cet ordre d'idées, vers les deux principales cours européennes, la Grande-Bretagne et la Russie, que son attention devait immédiatement se diriger.

Chez l'une ou chez l'autre, en effet, il importait de trouver un point d'appui, et, si l'on ne pouvait espérer leur double concours, au moins fallait-il éclairer promptement la situation, afin de se créer un système rationnel d'alliances.

C'est ce que voulut faire Louis-Philippe dès que son gouvernement fut formé et commença à fonctionner. Nous insisterons ultérieurement sur les éléments, excellents pour la plupart, qu'il trouva réunis sous sa main et à l'aide desquels il put réaliser cette tâche difficile. Des commissaires provisoires avaient été désignés à l'Hôtel de Ville pour occuper les ministères; mais le choix d'un cabinet définitif était une affaire d'une importance naturellement bien plus grande. Sa composition offrit les singuliers contrastes que comportaient les diverses obligations d'une situation si anormale.

Ainsi, par ordonnance du 11 août 1830, furent nommés: M. Dupont (de l'Eure) au département de la justice; le général Gérard à celui de la guerre; le comte Molé aux affaires étrangères1; le comte Sébastiani à la marine; le duc de Broglie au département de l'instruction publique, avec la présidence du conseil d'État; M. Guizot à celui de l'intérieur, et le baron Louis aux finances.

1. Le maréchal Jourdan, nommé dans le premier moment ministre des affaires étrangères, n'avait fait, pour ainsi dire, que traverser ce département.

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