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jusqu'à vous. Une fatale circonstance a trahi encore une fois votre espoir et celui de notre famille : les calomnies répandues sur votre éducation vous ont nui au moment de la révolution de Juillet;..... les libéraux, vrais ou faux, avaient hâte de donner une direction aux affaires; l'anarchie pouvait naître du provisoire, on le crut du moins, et le nom de Napoléon II est resté au fond de l'urne!..... Si vous pouviez, sous un prétexte, parvenir jusqu'à la frontière de France ou d'Italie, votre cause serait à demi gagnée. Si vous n'avez pas secoué vos chaînes avant la fin de l'hiver, je ferai mes efforts pour me retrouver non loin de vous, à la faveur du nom que je prendrai. La comtesse vous en instruira en temps utile, et pourra sans doute nous faciliter une entrevue. A bientôt, cher prince. Le bonheur de la France et la gloire de Napoléon II seront toujours le but unique de mes désirs comme de mon dévouement.

« Votre affectionné,

« NAPOLÉON-Louis. >>

La situation politique du pays n'était donc pas plus rassurante au point de vue de la stabilité que sa situation morale, et, en face de ces partis ardents, audacieux, un seul homme, Louis-Philippe,

apparaissait debout, confondant en sa personne, aux yeux d'un grand nombre, le rôle de défenseur de la dynastie et de champion de la société menacée.

La première moitié de cette tâche offrait déjà d'immenses difficultés, et ce fut en réalité à celle-là que Louis-Philippe consacra tous ses efforts. Son expérience révolutionnaire devait bien le servir, du reste, dans l'indispensable connaissance des hommes, et aucun souverain ne sut jamais, mieux que lui, démêler au premier coup d'œil les aptitudes, les vanités, les faiblesses de ceux dont il voulait utiliser les services. Aimant le travail, trèsrégulier dans les habitudes ordinaires de la vie, Louis-Philippe se levait de bonne heure, lisait avec attention les gazettes étrangères, plus particulièrement les feuilles anglaises, sans se préoccuper des journaux français, à moins (ce qui était fort rare) qu'un article n'eût été signalé à son attention. Il se livrait ensuite à la correspondance privée qu'il entretenait avec quelques personnages, le plus souvent représentants de la France à l'étranger; puis, après un frugal repas, il assistait au conseil des ministres, ou recevait des députations provinciales, ce qui arrivait fréquemment dans les premiers mois de la révolution de 1830. Enfin, après une promenade plus ou moins longue, il prenait un second repas, composé des mets les plus sim

ples, invariablement les mêmes 1, restait jusqu'à dix heures du soir dans le salon de famille, et se retirait ensuite dans son cabinet pour y écrire de nouveau jusqu'à une heure avancée de la nuit. Vie sobre, régulière, intelligemment distribuée, que Louis-Philippe avait menée au Palais-Royal, et qu'il continua aux Tuileries jusqu'à la fin de son règne.

Il y avait tout à la fois dans le caractère et dans l'attitude de ce prince du Louis XIV et du Louis XI; du Louis XI (moins l'ignorance et le goût du sang), alors que voulant flatter le bourgeois, son bon compère, dont il était véritablement la représentation couronnée, il lui prodiguait des caresses et des flatteries. Du Louis XIV, lorsque le juste orgueil de sa race jaillissait soudainement au contact de certains hommes, en présence de certains oublis du respect et des convenances; enfin dans la pensée vraiment royale de la restauration de ce Versailles plein des souvenirs du grand roi, œuvre dernière et magnifique que les révolutions ne devaient pas lui laisser achever tout entière, telle que son esprit l'avait rêvé et que sa volonté l'avait résolu.

Autour de Louis-Philippe se groupait une nom

4. C'étaient des potages de différente sorte que le roi mangeait successivement; une volaille au riz; de la bière pour boisson; et, à la fin du repas, un verre de vin d'Espagne.

breuse et jeune famille, complète alors, que deux fils dominaient de la tête. L'aîné, le duc de Chartres, dont la révolution venait de faire un duc d'Orléans, avait reçu de la constitution nouvelle le titre de prince royal, emprunté aux cours d'Allemagne (la désignation de Dauphin ayant paru trop monarchique pour être appliquée au fils du roi, anomalie fréquente à cette époque bizarre).

Grand et d'une taille élancée, le duc d'Orléans devait à l'éducation publique, que par un calcul de Louis-Philippe ses frères ainsi que lui avaient reçue, un aplomb, une confiance en lui-même, et une verbosité souvent heureuse qui prévenaient favorablement au premier abord. C'est un réel avantage pour les princes que ces qualités, qui seraient peu de chose pour les autres hommes, surtout lorsque la nature y a joint un physique élégant, car les masses se prennent facilement aux séductions extérieures. Le premier mouvement du duc de Chartres avait été de voler à la tête de son régiment, le 1er hussards, au secours de Charles X menacé, et rencontrant Mme la dauphine 1, qui se hâtait de rejoindre le cortége royal par des routes détournées, de la protéger contre les populations déjà menaçantes. Averti à temps par les soins de Louis-Philippe, son second mouvement fut, en

1. Née le 19 décembre 1778; morte le 19 octobre 1851.

restant à Paris, de se mettre à la tête de la jeunesse libérale. Dès les premiers jours de septembre 1830 il écrivait la lettre suivante à M. de Lafayette pour lui demander, lui colonel d'un des régiments de l'armée, à servir comme simple canonnier dans la garde nationale de Paris:

« Vous ne serez pas étonné, mon cher général, que j'éprouve le désir de faire partie de cette glorieuse garde nationale que vous avez commandée aux deux grandes époques de notre histoire moderne, et dont vous avez chaque fois guidé l'héroïsme; c'est le devoir de tout bon citoyen, et, plus que tout autre, je tiens à le remplir. C'est dans l'artillerie de la garde nationale que je désire être inscrit comme canonnier, parce que je pourrai souvent en faire le service sans manquer à mes autres devoirs. Je saisis d'ailleurs avec empressement, mon cher général, cette occasion de vous renouveler l'assurance de tous les sentiments que je partageais déjà avec cette milice citoyenne à laquelle je suis maintenant fier d'appartenir. »

Un des graves et inévitables inconvénients de l'éducation publique de M. le duc de Chartres, c'était la camaraderie obligée qu'elle avait créée entre lui et un assez grand nombre de jeunes gens, plus ou moins capables, plus ou moins honorablement placés dans le monde, quelquesuns se recommandant par des noms révolution

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