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dernières années, j'ai cité, l'an passé, la Relation de l'expédition de Chine en 1860, de l'officier de marine, M. Léopold Pallu1. Je trouve cette année un nouveau récit du même auteur qui témoigne de toutes les qualités de penseur et d'écrivain que j'ai déjà louées. Il est intitulé Histoire de l'expédition de Cochinchine en 1861. Le public connaît peu les faits et les résultats de cette guerre entreprise par la marine française contre un pays riche et puissant, en dehors jusqu'ici de notre commerce et de notre influence. On ne se préoccupe pas assez des intérêts français engagés dans une partie qui se joue à un autre bout du monde; on ne sait pas quel sacrifice il se fait loin des regards de la France; de son argent et du meilleur de son sang, si un tel sacrifice est profitable ou en pure perte. Nous laissons notre gouvernement engager notre fortune, notre gloire, notre avenir, non-seulement sans lui demander des comptes, mais encore sans éprouver le besoin d'en recevoir 3.

Des livres comme ceux de M. Léopold Pallu, sont faits pour changer cette disposition et triompher de notre apathie. L'Histoire de l'expédition de Cochinchine en 1860 n'est pas seulement une relation authentique et presque officielle des événements; c'est un tableau rapide, concis, puissant; il nous plaît par la sobriété du style, l'abondance des faits, la justesse d'appréciation, la connaissance des hommes, le sens précis des choses; une foule de pages portent la marque d'un véritable écrivain, à la manière large et vigoureuse, aux aperçus rapides et profonds; le philosophe se retrouve sous le soldat, et leur union constitue l'originalité du style. Qu'on en juge par ce passage sur la mort du commandant

1. Voy. Tome VI de l'Année littéraire, pages 396-399. 2. Hachette et Cie, in-8, 280 pages avec cartes.

3. A ceux qui désirent se rendre compte des résultats obtenus ou promis par notre expédition chez les Annamites, nous pouvons signaler une excellente brochure de M. Francis Garnier: la Cochinchine française en 1864. (Dentu, in-8.)

Bourdais, dont le cœur et le bras gauche furent enlevés par un boulet à l'assaut du fort de My-thô.

«< Ainsi fut déblayé le chemin de My-thô et mourut le capitaine de frégate Bourdais. Le sentiment de l'armée associa ce succès et cette perte: il faut les laisser unis. On assure qu'il eut la force de prononcer le nom de Dieu; puis il tomba. On jeta un pavillon sur son corps pour lui faire honneur, peut-être pour ne pas gêner par une vue horrible ceux qui continuèrent à combattre. Quand on rassembla ses restes, on retrouva le bras, mais jamais on ne put retrouver le cœur. Pendant huit jours et chaque jour, il avait ou pris un fort ou détruit un barrage. Il avait marché, écartant d'un geste fébrile les obstacles accumulés devant lui, sans que la vue de tant de morts et de mourants l'eût troublé ou attendri. C'était l'image de sa vie. Il avait à peine quarante ans; il allait être glorieusement nommé capitaine de vaisseau, à l'âge où presque tous ses compagnons d'armes étaient encore subalternes. Il n'y eût point eu d'insuffisance de cadres, de raisons parisiennes qui tinssent; la voix du commandant en chef et du corps expéditionnaire lui donnait ce grade. Mais il tomba quand il voyait le but en trébuchant dans le sang. Il faut vivre. Il n'est plus. Il n'est rien. »

Quand les hommes d'action écrivent de ce style, le public est bien près de les suivre dans leurs livres aussi longtemps et aussi loin qu'ils voudront les mener. Des officiers comme M. Pallu conquièrent une seconde fois les provinces conquises par les armes de la France, ils les imposent à l'attention publique.

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Voyages de touristes sur le théâtre de notre action politique.
MM. Paul Dhormoys, Rod. Lindau, Richard Cortambert.

Les régions dont on parle le plus ne sont pas les plus connues, et la politique extérieure dans ses vues et ses projets sur les contrées lointaines est souvent guidée par les illu

sions qu'un simple volume d'impressions de voyage suffirait à dissiper. Tel est le changement qui s'opère dans nos idées sur la situation morale et politique de l'île d'Haïti et les relations de notre gouvernement avec la république dominicaine, lorsqu'on lit le livre de souvenirs de M. Paul Dhormoys, Une visite chez Soulouque. L'auteur, aujourd'hui secrétaire de l'Opéra, venait de donner sa démission de souslieutenant d'artillerie, lorsqu'il partit avec l'intention d'entrer au service de la république dominicaine. On disait tant de bien de cette population intelligente, heureuse, régénérée et capable de régénérer toute la race nègre! On disait tant de mal au contraire du souverain voisin, le cruel Soulouque, qui courbait son peuple sous une tyrannie à la fois odieuse et grotesque!

M. Dhormoys n'eut pas à se louer des républicains noirs, autant qu'il s'y attendait. Il ne trouva, à Santo-Domingo, que misère, ignorance et brutalité; les plus hauts personnages mêmes n'étaient que des barbares, vaniteux, incapables de rien apprendre et pleins de mépris pour les étrangers. Les officiers français parmi lesquels comptait l'auteur, se virent bientôt traités en suspects, et ils auraient été promptement renvoyés, si la crainte d'avoir à payer leur voyage, n'avait fait prendre un autre parti: on leur rendit le séjour si intolérable qu'ils demandèrent eux-mêmes à s'en aller.

Au lieu de partir avec ses collègues pour la France, M. Dhormoys voulut visiter l'empire de Soulouque. Etait-ce l'effet des mauvaises impressions que lui laissait le gouvernement dominicain? Toujours est-il que la cour de Faustin Ier ne lui parut pas aussi ridicule que la représentaient à cette époque les caricatures de Paris. Le pays, le gouvernement, les hommes, tout offrit aux yeux du visiteur un degré

1. Nouv. édition. Hachette et Cie, in-18, 260 pages.

relatif de bien-être, d'intelligence et d'honnêteté. Au sortir des États prétendus libres de Santa-Anna, le despote Soulouque faisait presque l'effet d'un Auguste.

M. Dhormoys donne du relief et du piquant à ses impressions de voyage par la vivacité du récit. Des anecdotes amusantes font connaître mieux que des réflexions les pays et les hommes.

Le même genre d'intérêt s'attache à un autre volume de souvenirs de voyage qu'il intitule Sous les Tropiques1. L'auteur détruit encore cette fois bien des illusions que les descriptions pompeuses nous ont faites sur ces Édens lointains. Le cadre fourni par la nature mérite notre enthousiasme; mais comme il est tristement rempli! Là règne sans cesse la fièvre jaune; là pullulent des insectes terribles et des reptiles affreux. Au milieu de ces ombrages luxuriants, sous ce ciel splendide, partout des sujets d'effroi, des menaces de mort.

Les habitants de ce riche pays n'inspirent pas non plus une grande sympathie au voyageur. On retrouve bien la civilisation française à la Martinique et à la Guadeloupe; mais elle y est sans force et sans fécondité. L'abolition de l'esclavage a ruiné nos colonies, sans assurer aux nègres aucun des bienfaits de la liberté. Les blancs ont conservé tout leur préjugé contre les hommes de couleur, que la paresse et l'ignorance maintiennent dans un abaissement sans compensation. Il faut que l'ancienne organisation, détruite par l'émancipation, soit remplacée par une organisation nouvelle; il faut que l'amour du travail soit inspiré par le besoin des jouissances qu'il procure, et que les relations libres du patron à l'ouvrier se substituent aux anciens rapports du maître à l'esclave. Des livres comme ceux de M. Dhormoys, attrayants, d'une lecture agréable, ne rectifient pas seulement nos fausses idées en géographie, ils préparent une ap

1. Librairie centrale, in-18.

préciation éclairée des intérêts français dans ces parages lointains.

Les pays les plus curieux à étudier au coin de son feu, dans les livres des voyageurs, sont ceux dont le nom et le souvenir se perdent dans les siècles, sans que leurs habitants, leurs institutions, leurs mœurs, en soient mieux connus. Des milliers d'années se placent entre le présent et leurs origines obscures, comme des milliers de lieues de distance ont mis des obstacles jusqu'ici insurmontables à nos explorations. Si j'étais voyageur de profession, j'aimerais à visiter les pays qui présentent ces conditions, tels le Japon et la Chine. Lecteur casanier, je lis de préférence les descriptions de ces contrées antiques et lointaines où l'homme a pu se développer pendant des siècles, à peu près sans contact avec notre civilisation européenne, suivant des lois qui devront être regardées comme celles mêmes de notre nature, lorsqu'elles se montreront identiques, à de telles distances de l'espace et du temps. Un voyage en Chine ou au Japon offre un égal attrait aux esprits simplement curieux et aux philosophes.

que

M. Rodolphe Lindau, qui a parcouru une partie de ces contrées lointaines, nous donne sous le titre d'un Voyage autour du Japon1, une série de relations déjà publiées par la Revue des Deux-Mondes. Son titre est modeste on ne nous promet pas de nous introduire au centre de ces régions inconnues et de nous dévoiler les mystères d'une civilisation si différente de la nôtre. L'auteur ne nous annonce que des promenades sur les côtes, des visites aux établissements européens, ou à des points de l'empire qu'il est permis aux Européens de visiter. Mais il n'est pas nécessaire à un homme curieux et intelligent de pénétrer dans l'intérieur même d'un pays pour le connaître. Il lui suffit d'y mettre

1. Hachette et Cie, in-18, 316 pages.

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