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par une administration dure, avait soulevé contre lui la masse générale de l'opinion publique. M. Foulon qui prévoyait le sort que lui destinaient ses ennemis, avait imaginé, pour se soustraire à leur poursuite de faire courir le bruit qu'il était mort; pour que son prétendu trépas obtînt plus de croyance, il avait fait prendre le deuil à ses domestiques. Il fut malheureusement trahi. Des paysans à qui on avait appris la conduite qu'ils avaient à tenir à son égard, le trouvèrent déguisé dans le château de Viry, appartenant à M. de Sartines; ils s'en saisirent, lui attachèrent une poignée d'orties en forme de bouquet à la boutonnière, et derrière le dos, un paquet de foin, pour avoir, à ce qu'ils prétendaient, osé dire qu'il fallait nourrir le peuple avec du foin. Dans cet état, le malheureux fut livré aux émissaires parisiens, qui le conduisirent à l'hôtel de ville. Après un insignifiant interrogatoire, on se disposait à le conduire en prison; mais à peine eut-il paru sur l'escalier, que d'horribles cris partent de la Grève : Qu'on nous le livre, qu'on nous le livre, et que nous en fassions justice! En disant ces mots, la populace se presse; mille bras sont tendus vers lui, le saisissent le traînent sous une lanterne, l'y accrochent;

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il est pendu. Quelques-uns de ses bourreaux lui coupent la tête, mettent un baillon et une poignée de foin dans sa bouche inanimée, et portent cette effroyable figure au PalaisRoyal, tandis que d'autres traînent son cadavre dans la fange.

M. Berthier, son gendre, que des envoyés de l'hôtel de ville avaient arrêté le même jour à quelques lieues de Paris, y arrivait au moment où l'on traitait ainsi son beau-père. Les assassins vont à sa rencontre en lui présentant cette effrayante tête; pour qu'une telle barbarie soit encore plus atroce, on fait découvrir le cabriolet où il était conduit, afin que tout le monde puisse le considérer dans cette situation; pour que le spectacle et le supplice soient plus long-temps prolongés, on force l'escorte et la voiture de ne marcher qu'au petit pas.

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Il est inutile de dire que M. Berthier, après s'être courageusement défendu contre ses assassins, fut presqu'aussitôt massacré qu'arrivé à l'hôtel de ville. Quelques personnes ont accusé MM. de Lafayette et Bailly, l'un commandant de la force armée, et l'autre maire de Paris, de s'être faiblement opposés à ces assassinats. M. de Lafayette crut prévenir celui de M. Foulon, en

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le déclarant criminel aux yeux du peuple, et en ordonnant qu'on le conduisît en prison. pour lui faire son procès avec ses nombreux complices. Cette proposition produisit d'abord un assez bon effet; on applaudit, et M. Foulon se croyant sauvé, eut l'indiscrétion d'applaudir lui-même : alors les murmures, les huées se firent entendre, et il fut exterminé.

La tournure de la discussion qui, à l'occasion de ces assassinats, eut lieu à l'assemblée nationale, prouve encore combien les divers partisans de la révolution pensaient différemment. Les uns comptaient pour rien les crimes les plus odieux, pourvu qu'ils leur fussent utiles, et quelques uns même les commandaient; les autres portaient un cœur généreux, il leur était impossible d'excuser un forfait. Ce fut ce noble sentiment qui conduisit le comte de Lally-Tolendal à la tribune, dans la journée du 23 juillet, le lendemain du massacre; il supplia l'assemblée de prendre des mesures qui, à l'avenir, garantissent la société de pareilles horreurs, et s'écria avec douleur : « Un jeune homme « éplorés'est présenté ce matin chez moi, s'est précipité à mes pieds, en m'embrassant les « genoux : O vous monsieur, qui avez

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«passé votre vie à pleurer un père, à réta
« blir sa mémoire (1), par ce nom sacré,
« monsieur, intercédez pour moi auprès de
«l'assemblée nationale, rendez-moi le mien,
« sauvez-le de la mort qui l'attend! Cet infor-
« tuné jeune homme était le fils de M. Ber-
thier. Hélas! je n'ai pu appuyer ses tou-
chantes prières; l'assemblée ne s'est point
formée, et le soir, le père de ce malheureux
« a été exécuté de la manière la plus affreuse. »>
Ce fut lors de cette discussion qu'on en-
tendit prononcer au jeune Barnave, ces pa-
roles barbares qu'on lui a tant reprochées:
Ce sang est-il donc si pur, que ce soit un
si grand crime d'en répandre !

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Il est aussi à remarquer que le député Robespierre, alors à peine connu et qui devint si fameux dans la suite, fut un des plus ardens à excuser ces cruautés; mais il y mit plus d'adresse que son collègue Barnave; il fit sentir que c'était l'impunité ac

(1) M. de Lally, père du député aux états-généraux, eut la tête tranchée en place de Grève, pour une prétendue trahison dans l'Inde. Son fils a fait retentir toute l'Europe des réclamations qu'il a faites, des écrits qu'il a publiés pour démontrer son innocence

et réhabiliter sa mémoire.

cordée aux conspirateurs qui en était la 1789. cause. On retrouve constamment le même esprit dans la conduite de cet homme pendant le cours de sa carrière politique, tandis que ceux qui, au commencement de la révolution, paraissaient professer les mêmes principes, en manifestèrent dans la suite de bien différens; ce qui prouve que cette conduite ne fut pas un système, mais conforme à la férocité de son caractère.

Dans le même temps, un événement dont les auteurs n'ont jamais été connus, et qu'on pourrait encore attribuer au hasard avec raison, servit admirablement les révolutionnaires, dispersa ou conduisit aux pieds de l'assemblée nationale tous les privilégiés d'une grande province, qui, par leur position, pouvaient devenir dangereux pour la cause populaire. Un membre du parlement de Besançon, nommé M. de Mesmay, avait rassemblé les habitans de sa terre de Quencey, près Vezoul, pour leur donner une fête en réjouissance de la démarche du roi auprès de l'assemblée nationale; une foule immense s'y était rendue, mais au moment où tout le monde se livrait àla joie, une mine fait explosion dans le parc où l'on dansait, tue cinq personnes, et en blesse un plus grand

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