SUR LES CAUSES ET LES EFFETS DE LA RÉVOLUTION DE FRANCE. LIVRE PREMIER. LE Aux déclamations contre les personnes appelées aristocrates, se joignaient les cris plus effrayans de la faim, ou au moins ceux que fait toujours jeter à une populace impatiente, la seule appréhension d'en être la Tome II. A ANNEE 1789. 1789. victime, et les frénétiques fureurs qui ne manquent jamais d'accompagner une telle crainte. Ceux qui avaient besoin de ces fureurs, de ces horribles cris pour faire réussir le système qu'ils avaient conçu de changer les propriétaires (1), avaient soin d'en justifier les motifs, de supposer à la disette des causes imaginaires, d'en dénoncer les prétendus auteurs pour masquer la cause réelle et cacher les auteurs véritables. La première cause de la disette, ou plutôt de la cherté des grains, car il n'y avait point de disette effective, provenait de la médiocrité de la précédente récolte; et la disette imaginaire, de la crainte fondée des propriétaires de blés de les voir pillés par les bandits de toutes les villes et par les cultivateurs eux-mêmes, s'ils les livraient à la circulation. On a beaucoup parlé des accaparemens de grains faits par les agens du duc d'Orléans: quand on considère les amas énormes qu'il aurait fallu faire en ce genre pour affamer un pays tel que la France, on n'est pas disposé à croire que la faction de ce duc, quel (1) Les propriétaires sont sans vertu, disait un jour l'abbé S...; il faut changer les propriétaires. que puissante qu'elle fût, ait pu mettre en -usage de semblables moyens. En supposant 19. que les ressources pécuniaires ne lui eussent pas manqué, elle se serait mise en évidence. aux yeux des plus incrédules; car on ne fait pas en secret des provisions de cette nature, lorsque toute une nation que tourmente la faim, est intéressée à s'en apercevoir: mais telle était alors, telle est même encore l'opinion de beaucoup de personnes auxquelles on doit supposer beaucoup de sagacité, et non moins de sagesse. Il n'est donc pas étonnant que plusieurs écrivains aient publié comme des vérités positives, des faits qui cependant n'ont existé que dans la pensée de ces personnes. Mais accuser les aristocrates de soustraire les grains à la circulation, et les forcer en même temps à cette mesure, en les fesant piller, d'un bout de la France à l'autre, par des bandes de forcenés, séduits, trompés et protégés, voilà comme on vient à bout d'opérer la disette, et non par la voie absurde d'un accaparement impossible. Ce sont ces pillages trop souvent accompagnés de l'assassinat des propriétaires de grains que chacun a pu voir, dans presque toutes les provinces, tandis qu'il serait difficile de trouver un seul homme en état de donner une preuve admis1789. sible de ces monstrueux accaparemens dont on a mal à propos chargé la liste des crimes du misérable duc. On sent bien qu'il n'a pu entrer dans notre intention de donner l'historique des pillages de blé; nous avons dû seulement en indiquer la cause et les effets généraux. L'assemblée eût bien voulu sans doute les faire cesser; mais la crainte de voir tourner contre elle l'opinion populaire qui avait fondé sa puissance, et l'ascendant qu'avait pris dans son sein un petit nombre de ses membres, l'empêchèrent toujours d'y parvenir. Elle se contenta d'invitations à la paix, de mesures adhortatives qui ne pouvaient produire aucun effet. A peine le roi était-il de retour de Paris, que les assassinats recommencèrent. Le 18, toute la populace de Saint-Germain, et une multitude d'hommes et de femmes accourus des environs, massacrèrent dans cette ville un marchand de grains nommé Sauvage, et suivant l'usage qui venait de s'établir, portèrent, dans toutes les rues, sa tête au bout d'une pique. L'assemblée envoya une députation dans cette ville pour y haranguer la populace; elle y fut méconnue, méprisée, et sur le point d'être mise à la lanterne, |