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c'est-à-dire, pendue. Ce ne fut qu'aux instances de l'évêque de Chartres, qui se jeta à genoux devant les assassins, qu'ils consentirent à laisser la vie à un autre marchand de blé, nommé Thomassin, auquel ils avaient déja passé le fatal cordon. L'évêque prit ce malheureux dans sa voiture, leur promettant qu'il le ferait mettre dans la prison de Versailles; promesse qu'il fut obligé de tenir, car les assassins eurent l'audace de le suivre, pour s'assurer par eux-mêmes si on ne leur avait pas manqué de parole. Ce qu'il y a de remarquable, c'est que dans toutes les exécutions de cette nature, il régnait une espèce d'ordre qui les rend encore plus atroces. Dans celle dont il est question ici, on vit mêler les exercices de piété à la plus cruelle barbarie. Avant de pendre Thomassin, on vou❤ lait qu'il reçût les derniers sacremens; on était même allé chercher un prêtre pour les lui administrer. C'était ordinairement des femmes, plus furieuses encore que les hommes les plus furieux dans ces attroupemens, qui unissaient le crime au signe sacré de la religion qui le proscrit.

1789.

Quelque temps après, il se commit à SaintDenis un assassinat plus cruel encore dans son principe, et dans la manière dont il fut

1789.

exécuté. Les habitans de cette ville avaient pour maire un honnête bourgeois, nommé Châtel, qui fesait tous les efforts possibles pour fournir des grains à ses administrés; travail devenu aussi dangereux que difficile par la proximité de Paris, dont la populalation affamée enlevait, dévorait toutes les subsistances qu'elle pouvait saisir à sept à huit lieues à la ronde, et même à une plus grande distance.

Le maire Châtel avait ce qu'on appelait alors les formes aristocratiques ; il ne pouvait s'habituer à traiter comme ses pareils, toute cette foule d'hommes depuis appelés sans - culottes, qui se croyaient autant de souverains.

Cette manière d'être du malheureux maire indisposa contre lui cette classe brutale qui, à ses vices particuliers, unissait déja la férocité de l'orgueil. Répandus dans les cabarets, ils dissertaient dans l'ivresse sur les exploits sanglans de la populace parisienne, en se reprochant, dans leur grossier langage, de n'avoir pas encore imité les braves habitans de la capitale. De propos en propos, ils arrivent au projet d'en faire autant; du projet, au choix des victimes, et l'aristocrate maire est désigné : ils conviennent de lui couper

la tête. Cependant aucun d'eux n'avait de plaintes à faire contre son administration, le maire n'avait point de torts à leurs yeux; seulement il était aristocrate. La justice qu'ils rendaient à sa probité, fut prouvée par la conversation qu'eut avec lui un de ses assassins, le jour même qu'il devint leur victime. Cet homme l'avait abordé dans la rue, et lui avait demandé une prise de tabac. « Tenez, << monsieur le maire, lui dit-il, vous êtes un << brave homme, nous le savons bien, mais cependant il est sûr que nous jouerons ce

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<< soir à la boule avec votre tête, tout comme

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il est vrai que vous venez de me donner « une prise de tabac. »

Effectivement ils se rassemblent bientôt sur la place pour exécuter leur forfait. Le commandant de la garde nationale, personnage très-honnête, au lieu de faire prendre les armes aux bourgeois, qui ne demandaient pas mieux que de marcher contre les séditieux, va les pérorer poliment, et quand it devait leur présenter des baïonnettes et la bouche d'un canou, seule leçon à laquelle il pût espérer de les trouver dociles, il leur fait hommage d'une fort belle dissertation sur la liberté et l'obéissance aux lois; ils l'écoutent néanmoins, feignent de l'entendre, et rentrent

dans les cabarets, où en se moquant de lui, 1789. ils prennent une nouvelle dose d'ivresse; puis tout-à-coup ils sortent furieux, investissent la maison du maire, qui cependant parvient à leur échapper et à se réfugier dans une église, où il se cache dans le clocher : mais la précipitation lui fait agiter le battant d'une cloche; les cannibales accourent au bruit, le font sortir de sa retraite, lui arrachent ses habits, le traînent dans les rues, le chargent d'injures, de coups, et le couvrent de plaies. Dans cet état, une partie d'entr'eux veut le conduire à Paris; l'autre s'y oppose et prétend l'immoler sur la place. Parmi ces derniers est une femme qui, dit-on, existe encore à Saint-Denis; plus féroce que la plus cruelle tigresse, cette malheureuse se jette sur lui, le saisit par ses cheveux inondés du sang qui coulait à grands flots de ses blessures, et en vomissant contre l'infortuné les plus horribles imprécations, lui enfonce lentement, et à plusieurs reprises, un mauvais couteau dans le sein.

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Après que l'innocent a ainsi expiré dans le plus cruel supplice, ses assassins lui coupent, ou plutôt lui scient la tête, et avec ce trophée hissé au bout d'une pique, s'acheminent vers Paris pour en faire hommage

à ceux qu'ils appellent leurs frères. Mais à cette époque, la garde nationale avait déja pris un certaine consistance; elle repoussa cette horde féroce, très-peu considérable, qu'elle aurait mieux fait d'arrêter.

Il sera toujours inconcevable qu'un si petit nombre de scélérats ait osé publiquement commettre de pareils crimes; c'est un prodige honteux dont toutes les phases de la révolution ont fourni des exemples.

Des personnes qui ont été à même d'observer le mouvement qui précéda le meurtre du maire de Saint-Denis, attestent qu'aucune influence étrangère, aucun ordre supérieur ne dirigèrent ses assassins; ils le massacrèrent pour imiter les Parisiens, qui avaient traité de la même manière le prévôt des marchands et plusieurs autres : c'étaient de misérables singes qui fesaient ce qu'ils avaient vu faire. Cet événement eut lieu le 2 ou 3 du mois d'août.

Quelque temps auparavant, de pareilles exécutions avaient eu lieu à Paris; mais pour celles-là, il est impossible de ne pas voir qu'elles furent le résultat d'une insurrection de commande. Les victimes furent MM. Foulon, l'un des ministres proscrits par la révolution du 14 juillet, et son gendre Berthier, intendant de la généralité de Paris, qui

1789.

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