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Généalogies de Jésus-Christ.

Il n'est point de difficultés que les déistes proposent avec un aussi grand air de triomphe que celle de l'opposition apparente des deux généalogies de Jésus-Christ; elles sont absolument inconciliables selon eux, et chacune d'elles renferme des faussetés palpables. En parlant ainsi, ils ne font que copier Porphyre, Julien et les juifs modernes, qui tous ont cru altérer le christianisme par cette objection.

Réponse. On ne peut raisonnablement attendre que nous montrions l'accord de ces deux généalogies avec évidence, le temps nous ayant ravi les monuments nécessaires pour dissiper pleinement les obscurités de ce sujet. Tout ce qu'on peut avec justice exiger de nous, c'est que nous donnions un dénouement plausible à la difficulté qu'on nous oppose ; et en effet il ne faut rien de plus, car toute conciliation, quand même elle ne seroit que possible, suffit pour faire disparoitre une contradiction apparente. D'ailleurs, lorsqu'on trouve quelques obscurités dans les auteurs grecs et latins, on n'attend point des savants qu'ils les expliquent, qu'ils répandent sur ces endroits une évidence qui ne laisse rien à désirer. On est satisfait si, par

quelque conjecture probable, ils en facilitent l'intelligence. Ne sommes-nous pas fondés à demander qu'on ne soit pas plus difficile nos livres saints ?

pour

C'est ici l'endroit de placer une judicieuse remarque de M. Prideaux(1). Voici les paroles de ce savant: «< A peine est-il une histoire » écrite qui, dans le siècle suivant,ne paroisse, » par rapport au temps, aux lieux et aux > autres circonstances, chargée de contradic>>tions apparentes qu'on a bien de la peine » à concilier quand le souvenir de ces faits >> vient à s'effacer de la mémoire des hommes. >> Combien plus sommes-nous sujets à nous » méprendre quand nous portons les yeux sur » des objets qui sont éloignés de nous de près » de deux mille ans et que nous ne pou»vons apercevoir qu'à la foible lueur de quel»ques restes d'histoires, si obscurs et si peu >> suivis, que nous sommes réduits à marcher » à tâtons, quelque lumière que nous en puis>>sions tirer! >>

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.. Il ne sera pas hors de propos de de rapporter un exemple bien propre à justifier la judicieuse remarque de M. Prideaux.

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Le sacre de Louis XIV étoit arrêté pour un jour marqué (2), et il fut différé par un in

(1) Histoire des Juifs et des peuples voisins, tom. 1, liv. 1, p. 89.

(2) Histoire des ouvrages des savants, mai 1709, p. 251.

cident qui survint. Les médailles étoient frappées, et elles subsistent encore avec une date différente du jour de la cérémonie. Supposons pour un moment que D. Ruinard n'ait pas fait cette observation: comment, dans deux ou trois siècles les savants auroient-ils pu concilier la médaille avec nos historiens ? Cette difficulté, qui n'en est pas une pour nous, n'auroit-elle pas été insurmontable pour eux ?

L'obscurité

le que temps répand sur les faits anciens est bien augmentée sur les généalogies des Juifs par les coutumes de ce peuple.

1o La loi ordonnoit à un frère d'épouser la veuve de son aîné quand il étoit mort sans laisser d'enfants; et les enfants qui naissoient de ce second mariage étoient censés appartenir à l'aîné, de sorte qu'ils avoient deux pères, l'un que la nature leur donnoit, et l'autre qu'ils recevoient de la loi.

2° L'adoption étoit usitée chez les Juifs, et elle y avoit tant de vigueur qu'elle dispensoit un frère d'épouser la veuve de son aîné, quoiqu'il n'eût point laissé d'autre enfant que ce fils adoptif, qui entroit dans tous les droits et dans tous les priviléges de son père qui l'avoit adopté. On lit cette maxime dans la Misne, qui est le code de l'ancien

droit des Juifs, au titre baba, bathra c'est-à-dire partie troisième, c. 8: Celui qui dit c'est là mon fils, doit étre cru; sur quoi le rabbin Obadias ajoute: De telle sorte qu'un tel enfant doit étre l'héritier, et en ce cas la veuve n'est plus obligée à la loi, qui lui enjoint d'épouser le frère de son mari. Ainsi le fils d'adoption avoit nécesairement deux aïeux, le père de son père naturel, et le père de celui qui l'avoit adopté.

3° La même personne chez les Juifs avoit souvent deux noms. Voyez l'article Zacharie, fils de Barachie.

On voit aisément que cette duplicité de pères, d'aïeux, de noms, a dû laisser des difficultés qu'on ne peut entièrement éclaircir dans les généalogies des Juifs, quoiqu'elles soient certaines et indubitables.

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Nous présentons une explication qui donne ce dénouement plausible, qui est, comme nons l'avons dit, tout ce qu'on peut raisonnablement demander de nous. Cette explication n'est ni singulière, ni nouvelle ; elle est, depuis deux siècles, la plus commune parmi les interprètes : nous ne la plaçons dans ce recueil que parce que nous y avons ajouté des observations et des preuves qui nous ont paru propres à la fortifier et à l'éclaircir.

On commencera par rapporter les deux

généalogies dont il est ici question: on ne prendra celle de saint Luc que depuis David, parce que ce n'est que depuis ce degré qu'elles paroissent opposées. Nous propo serons successivement les difficultés qu'on forme contre, afin de mettre plus de clarté dans ce sujet, qui est fort embarrassé par lui-même.

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