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lorsqu'un terme a deux acceptions, il faut lui attribuer celle qui convient le mieux au sujet duquel on parle. Les lois de la grammaire exigent donc qu'on rende ainsi ces deux versets Tunc assumpsit eum diabolus in sanctam civitatem: iterùm assumpsit eum diabolus in montem excelsum valdè. Alors le démon mena avec soi Jésus, et le conduisit dans la sainte cité; le démon le mena pour la seconde fois avec soi, et le conduisit sur une montagne fort élevée.

Mais ce qui lèveroit tout doute sur ce point, s'il y en avoit encore, c'est que saint Luc, en racontant cette histoire, s'est servi du mot egagen, qui ne signifie pas transporter, mais mener.

Seconde béatitude.

Bienheureux ceux qui sont doux, parce qu'ils posséderont la terre'.

Plusieurs interprètes expliquent cette béatitude en ce sens : Les hommes doux, gagnant tous les cœurs par leur douceur, jouiront en paix de leur possession; mais, comme remarque saint Jérôme, cette explication est contraire à l'expérience que nous faisons tous les jours, qui ne nous fait que trop voir que

* Saint Matthieu, c. 5.

ceux qui sont d'un naturel doux et pacifique perdent souvent par leur extrême douceur l'héritage que leurs pères leur ont laissé'. D'autres commentateurs croient que la terre dont il est ici parlé, et qui est promise aux hommes doux, est le ciel. Mais jamais le mot de terre simplement et sans addition n'a signifié le ciel dans l'Ecriture : d'ailleurs tout le monde convient que Jésus-Christ, dans cette béatitude, fait allusion au onzième verset du psaume 36 La terre tombèra en héritage à ceux qui sont doux : Mansueti autem hæreditabunt terram. Or il est évident que la terre dont il est parlé dans ce psaume est la terre de Chanaan; d'où il me paroît que l'on doit conclure que c'est dans la possession de cette terre qu'il faut placer la récompense que Jésus-Christ attache à la douceur. L'événement a pleinement justifié notre conjecture c'est ce que nous allons développer.

:

Les Juifs étoient d'un caractère fier et violent. Quoique la domination romaine fût moins un joug qu'un gouvernail, ils ne pouvoient la souffrir, et ils n'attendoient qu'une occasion de se révolter: aussi saisirent-ils avec empressement la première qui se présenta; mais leur soulèvement contre les Ro

Lettre à Dardanus.

mains, loin de les affranchir, causa leur ruine. Les disciples de Jésus-Christ, toujours soumis aux ordres de la Providence et fidèles imitateurs de la douceur de leur maître, ne prirent point de part aux mouvements séditieux de la nation. Divinement avertis, ils se retifèrent au commencement de la guerre à Pella, ville d'Arabie; ils y vécurent tranquilles tandis que Dieu, par le fer des Romains', détruisoit leurs criminels compatriotes. Après la destruction de Jérusalem et la désolation de la Palestine, ils y retournèrent; et comme leur caractère pacifique ne faisoit rien appréhender d'eux, les empereurs les laissèrent jouir tranquillement des biens et des possessions qu'ils y avoient eus auparavant. Ainsi se vérifia la promesse de Jésus-Christ: Les hommes doux possédèrent la terre d'où les violents avoient été chassés.

Vous restreignez, dira-t-on, cette béatitude à un seul événement. Nous répondons que ce n'est pas nous, mais le Sauveur qui la limite. Que promet-il dans cette béatitude? La terre de Chanaan. Pour combien de temps et pour qui cette terre devoit-elle tenir lieu de récompense? Pour le temps que l'Eglise judaïque dureroit, et pendant que les Juifs

'Eusèbe, Histoire ecclésiastique, liv. 3, ch. 5; liv. 4, c. 5, 6.

observeroient fidèlement la loi du Seigneur. Cette promesse avoit donc des bornes dans sa durée comme dans ses sujets. Si les Juifs avoient reconnu Jésus-Christ pour le Messie, s'ils fussent devenus ses disciples, il leur auroit enseigné à être comme lui doux et humble de cœur; il leur auroit enseigné à être soumis aux puissances établies de Dieu. Suivant ses maximes, ils ne se fussent point révoltés contre leurs maîtres, ils n'eussent point éprouvé ces affreuses calamités qui furent la peine de leur rébellion, ils fussent demeurés tranquilles dans la terre que le Seigneur avoit donnée à leurs pères. Réunis avec les Gentils dans l'Eglise de Jésus-Christ, soupirant comme eux après le ciel, la Palestine auroit été bientôt une térre indifférente à leurs yeux; et, renversant eux-mêmes le mur de séparation, ils n'auroient fait avec le reste des hommes qu'une même famille qui auroit eu le même Dieu, les mêmes prérogatives et les mêmes espérances.

Cela se réalisa dans ceux des Juifs qui crurent en Jésus-Christ; ils restèrent fidèles aux Romains, et furent ainsi à couvert des terribles fléaux qui accablèrent leur nation. La guerre finie, ils revinrent dans leur patrie, où ils passèrent tranquillement leurs jours. Après quelques années s'étant réunis avec les gentils qui s'étoient convertis à la foi,

et sachant que l'on pouvoit adorer Dieu partout en esprit et en vérité, la Judée n'eut plus de privilége à leurs yeux, et, regardant le ciel comme la véritable terre promise, tous leurs vœux et tous leurs désirs s'y por

tèrent.

La huitième béatitude paroît aussi être déterminée à un temps certain, puisqu'elle ne parle que des persécutions que les Juifs d'alors, qui étoient les enfants de ceux qui avoient tué les prophètes, devoient faire aux disciples de Jésus-Christ; persécutions que les Juifs ne pouvoient faire que pendant le temps qu'ils formeroient un peuple et qu'ils auroient quelque autorité temps qui est passé depuis bien des siècles. Nous n'ignorons pas que le Sauveur, en d'autres endroits, a étendu cette béatitude à toutes les persécutions que ses disciples souffriroient; mais il ne parle ici que de celle des Juifs, soit parce qu'elles étoient plus prochaines, soit parce qu'elles devoient leur être plus sensibles à cause qu'elles viendroient de la part de leurs compatriotes.

Similitude tirée du sel.

Jésus-Christ', disent les déistes, demande

* Saint Matthieu, c. 5, v. 13.

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