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avec les charges des droits du bailleur. ( Lois civiles, tom. 1, pag. 74, n° 6.)

« Parmi nous, le bail emphytéotique à perpétuité n'a pas été admis, parce qu'alors il serait, ainsi que le bail à rente perpétuelle, regardé comme une véritable et entière aliénation: nos lois ne l'ont autorisé que pour un long temps, qui était le plus souvent de quatre-vingt-dix-neuf ans. Il peut être d'un temps moins long, et conserver encore sa nature d'emphytéose; mais c'est des clauses qu'il renferme, des stipulations qui y sont énoncées, qu'on juge s'il a été dans la volonté des parties de faire un bail à ferme ou un bail emphyteotique, et c'est aux tribunaux qu'il appartient de faire cette appréciation. Mais il ne dépend pas d'eux de changer la nature d'un contrat licite et valable, d'en méconnaître les effets, et d'appliquer à un bail emphyteotique ceux d'un simple bail à ferme ou à loyer; et si, par cette erreur de droit, par cette fausse application de lois qui, pour n'être pas textuellement reproduites dans le Code civil, n'en sont pas moins obligatoires, ainsi que la Cour de cassation l'a reconnu par un arrêt du 25 nivôse an 7, les tribunaux créaient, comme l'a fait celui de Corbeil, une fin de non recevoir que ces lois n'ont pas prononcée, il y aurait indubitablement lieu à la cassation de leurs jugemens. »

En réponse à ces moyens, le défendeur à la cassation a reproduit et développé les motifs donnés par le tribunal de Corbeil. Il soutenait, d'ailleurs, que ce tribunal, en décidant que le fermier emphytéotique n'était, comme un fermier ordinaire, qu'un possesseur précaire, sans qualité pour intenter la complainte possessoire, n'avait violé aucun texte précis ; que, sous ce rapport, le jugement échappait à la censure de la Cour régulatrice.

Mais, le 26 juin 1822, ARRÊT de la section civile, M. Brisson président, M. Porriquet rapporteur, MM. Loiseau et Raoul avocats, par lequel :

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« LA COUR, Sur les conclusions conformes de M. Joubert, avocat-général; - Vu l'art. 23 du Code de procédure civile; Attendu, en droit, que l'emphyteose est un contrat qu'on ne doit confondre ni avec le contrat de louage, nj avec le contrat de vente, qu'il a sa nature, et produit des cf

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fets qui lui sont propres (L. 3, Inst., de loc. et cond.; L. 1re, C., de jure emphyteutico); Que ses effets sont de diviser la propriété du domaine donné à emphyteose en deux parties: l'une formée du domaine direct, dont la rente que se retient le bailleur est représentative; l'autre, appelée domaine utile, qui se compose de la jouissance des fruits qu'il produit; — Que le preneur possède le domaine utile qui lui est transmis par l'effet de ce partage, comme propriétaire, pouvant, pendant la durée du bail, en disposer par vente, donation, échange ou autrement, avec la charge toutefois des droits du bailleur ; pouvant, pendant le même temps, exercer l'action in rem pour se faire maintenir contre tous ceux qui l'y troublent et contre le bailleur lui-même (L. 1re et 3, D., si ager vectigalis); Que ces dispositions des lois romaines ont été admises en France, tant en pays de droit écrit qu'en pays de droit coutumier, et que le Code civil, qui n'a pas traité du bail emphyteotique, ne les a changées ni modifiées; — Attendu, en fait, 1° qu'il est constant au procès que le sieur Dubourg ne tient pas son domaine à titre précaire du sieur d'Espagnac, et en jouit en vertu du bail emphytéotique qui en a été fait à ses auteurs, le 2 août 1750, par le sieur Paris de Montmartel; 2o qu'il a été reconnu par le juge de paix, et non contesté par le tribunal civil, que la demande en complainte a été formée par le sieur Dubourg dans l'année du trouble, et qu'alors il était en possession paisible depuis plus d'une année ;*- « Attendu qu'il suit de là que, réunissant toutes les conditions exigées par l'art. 25 du Code de procédure civile, le sieur Dubourg avait le droit d'exercer l'action possessoire, et qu'en l'y déclarant non recevable, le tribunal civil a commis une contravention à cet article; expresse Attendu enfin que, si, en confondant le contrat de louage avec le contrat d'emphytéose, le simple fermier avec le possesseur, celui qui possède à titre onéreux avec le possesseur précaire, et en supposant que le possesseur précaire ne pouvait pas exercer l'action en complainte contre tous autres que celui dont il tient à précaire, le tribunal a méconnu les principes consacrés par les lois romaines, la jurisprudence des arrêts et l'opinion unanime des jurisconsultes sur les droits du preneur à

bail emphyteotique, cette erreur de doctrine sur laquelle il s'est fondé pour créer une fin de non recevoir contre l'action possessoire du sieur Dubourg ne peut pas justifier le dispositif de son jugement;- CASSE et ANNULLE, pour violation expresse de l'art. 23 du Code de procédure civile, etc. »

Nota. Il faut convenir que les lois romaines n'avaient pas déterminé d'une manière bien précise la nature du bail emphytéotique. Justinien, dans ses Institutes, titre de locatione et conductione, rappelle que chez les anciens beaucoup de difficultés s'étaient élevées par rapport à ce contrat, les uns croyant que c'était une location, les autres que c'était une vente; et il ajoute que l'empereur Zénon a porté une loi par laquelle il fixe la nature du contrat emphyteotique : Lex Zenoniana lata est, quæ emphyteuseos contractus propriam

statuit naturam.

Mais cette loi de Zénon est la loi 1re, C., de jure emphyteutico. Or que porte-t-elle? Elle dit, comme Justinien lui-même le rappelle, que l'emphytéose n'est ni un louage ni une vente, mais qu'elle a une nature particulière fondée sur la convention des parties : neque ad locationem, neque ad venditionem inclinantem, sed suis pactionibus fulciendam. Restait toujours à déterminer quelle est cette nature particulière de contrat qui tient le milieu entre le louage et la vente.

Quoi qu'il en soit, la nature du contrat emphyteotique peut être appréciée par les effets que, dans le droit romain lui-même, produisait cette sorte de contrat. En effet, il résulte de plusieurs textes que l'emphytéote acquérait le droit de transmettre l'héritage à ses successeurs, de le vendre, de le donner, de l'aliéner, avec la charge des droits du bailleur, d'y planter, bâtir, etc. Nous citerons notamment la loi 12, C., de fundis patrimonialibus, et le § 3, Inst., de loc. et cond. La première de ces lois porte que l'emphytéote a le droit d'affranchir les esclaves employés à la culture des fonds, et que ce n'est là qu'une suite de la propriété du fonds qui lui est transmise : Licentia eis concedenda etiam libertates mancipüs ex fundis patrimonialibus, atque emphyteucariis, quum fundorum sint domini, præstare. La seconde loi est encore plus

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précise; elle porte que, tant que le louage ou le revenu est payé au propriétaire, il ne lui est pas permis d'ôter le fonds à celui qui l'a pris à bail, ni à son héritier, ni à ceux qui le tiennent du preneur ou de son héritier, à titre de vente, de donation, de dot ou de tout autre titre translatif de propriété; Neque hæredi ejus, cuive conductor hæresve ejus id prædium vendiderit aut donaverit, aut dotis nomine dederit, aliove quocumque modo alienaverit, auferre liceat. Ajoutons la loi 1oo, § 1, C., si ager vectigalis, qui donne à l'emphyteote l'action en revendication, in rem, laquelle suppose toujours la propriété (1).

Ainsi il est constant que, dans le droit romain, l'emphytéote acquérait la propriété même de la chose : les lois sont formelies; et d'ailleurs, pour qu'il dût être considéré comme propriétaire, il suffisait, sans contredit, qu'il eût le droit d'aliéner, de disposer et de revendiquer (2).

Peu importe, après cela, que les lois romaines que nous avons citées 'disent que l'emphytéose n'est point une vente, et qu'elles aient réservé aux bailleurs ce qu'elles appelaient dominium directum. Il ne s'agissait pas ici pour le bailleur d'une véritable propriété, mais uniquement du droit qu'il avait, sans qu'il fût besoin de stipulation particulière, de rentrer dans l'héritage donné à bail, dans les trois cas déterminés par la loi 2, C., de jure emphyteutico. Le domaine direct n'a ja mais exprimé autre chose qu'un droit réel, soit le droit de faire résoudre le contrat et de rentrer dans l'immeuble, soit le droit qui est attaché à l'établissement d'une redevance foncière, << Celui qui a seulement le domaine direct d'une chose, disent les auteurs du Nouveau Denisart, au mot Domaine, N'EN A PAS LA PROPRIÉTÉ : c'est celui qui en a le domaine utile qui en est véritablement propriétaire. Tout domaine direct n'est qu'un droit réel. »

Toute notre thèse consiste à établir que l'emphyteose est une véritable aliénation. Cette aliénation sera perpétuelle ou

(1) In rem actio competit ei qui..... dominium acquisivit. (L. 23, D., de rei vind.)

(2) Voy. Lois civiles, liv. 1or, tit. 4, no 3; tom. 1er, pag. 73 et 74.

à temps, selon que le bail sera fait à perpétuité ou pour n'avoir lieu que pendant un certain temps, par exemple pendant 99 ans. Et rien n'implique contradiction dans cette aliénation à temps: car, dans l'exactitude des principes, l'aliénation d'une chose peut être subordonnée à des conditions, ou bien n'avoir, lieu que jusqu'à certain temps, ad certum tempus (1); ce qui se rencontre journellement dans les ventes à faculté de rachat, les donations en avancement d'hoirie, ou à charge de retour, ou sous toute autre condition résolutoire.

Au surplus nous ne faisons ici que rappeler une doctrine de tous les temps, et qui n'a jamais été contestée. Voici comment s'expriment à cet égard, au mot Emphytéose, les auteurs du Nouveau Denisart, qui résument toujours avec exactitude ce qui a été dit par les auteurs précédens : — « L'emphytéose, prise dans son véritable sens, est un contrat par lequel le propriétaire d'un fonds en cède à un autre la propriété, soit à perpétuité, soit pour un temps, à la charge que le preneur bâtira ou améliorera, et qu'il paiera au bailleur une redevance annuelle........... Le bail emphyteotique peut être perpétuel ou à temps. Quoiqu'il ne soit fait qu'à temps, il ne faut pas le confondre avec un simple bail à longues années. Il en diffère en ce que le bail à longues années ne transfère que le droit de jouir, au lieu que le bail emphyteotique transfère au preneur une propriété qui, pour être résoluble, n'en est pas moins réelle. »

Et la Cour de cassation, par l'arrêt qui a été rapporté plus haut, n'a-t-elle pas reconnu que le bail emphyteotique, même à temps, était translatif d'une véritable propriété, puisqu'elle a jugé « que le preneur possède le domaine utile qui lui est transmis comme propriétaire, pouvant, pendant la durée du bail, en disposer par vente, donation, échange, ou autrement, avec la charge toutefois des droits du bailleur, pouvant, pendant le même temps, exercer l'action in rem........... »

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Ces observations, en même temps qu'elles font connaître la véritable nature du bail emphytéotique, nous conduisent

(1) Voy. M. Toullier, Droit civil francais, tom. 3, no 87.

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