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ANALYSES ET COMPTES RENDUS.

La Révolution en Hollande. La République Batave. Paris, Hachette et Cie. Parmi les États secoués par la tourmente révolutionnaire, la Hollande est un de ceux qui ont eu le plus à souffrir. Son histoire durant ces années troublées, depuis l'époque où se manifestèrent les premiers symptômes de rébellion jusqu'à l'avènement du roi Louis en 1806, n'a pas encore été racontée; même en Hollande elle n'est pas connue. Il est pourtant intéressant de connaître les épreuves par lesquelles la République des ProvincesUnies a passé avant de perdre une indépendance qu'elle avait été si fière de conquérir. Cette lacune est enfin comblée par un important ouvrage, paru d'abord sans nom d'auteur sous le titre de La République Batave. Les débuts de la Révolution en Hollande appartiennent à l'histoire générale : la France y prit la plus grande part : c'est elle qui soutint les Patriotes bataves révoltés contre leur stathouder Guillaume V, qui depuis 1751 opprimait les sept provinces c'est elle, qui mit le comble à leurs vœux en attaquant le gouvernement orangiste et en chassant le stathouder de la terre hollandaise par l'armée victorieuse de Pichegru. Puis, la guerre finie, les deux nouvelles républiques de France et de Hollande s'unirent par un traité d'alliance, et si la paix signée à La Haye en 1795 ne satisfit pas entièrement les Néerlandais, c'est qu'il leur fallait payer les frais de la campagne dont ils avaient si ardemment désiré l'entreprise.

Mais l'intervention française en Hollande ne devait pas cesser avec la guerre. Les différents gouvernements qui se succédèrent en France jusqu'en 1804 allaient imposer tour à tour aux Bataves leur façon de comprendre et d'organiser la liberté. C'est l'exemple le plus frappant de ce grand malentendu historique, qui fit croire aux peuples délivrés de leurs rois par les Français que ceux-ci les laisseraient ensuite libres de se diriger à leur guise. De gré ou de force, les Provinces-Unies durent « mettre leurs institutions en harmonie avec celles des Français » au fur et à mesure de leurs changements. Ce fut une suite de constitutions établies par des coups d'État, avec l'appui de nos représentants politiques et militaires, qui changeaient eux aussi à tout instant. Le peuple batave assista, inquiet d'abord, indifférent et passif ensuite, à cette rapide succession des pouvoirs publics, tous incapables de s'implanter dans le pays, de consacrer son indépendance et de relever les finances que la guerre perpétuelle contre l'Angleterre et

l'occupation de nos troupes avaient entièrement ruinées. États généraux, Convention, Directoire, Gouvernement d'État tombèrent l'un après l'autre, méprisés ou impuissants, se suicidant parfois sans attendre le coup de grâce parti de Paris. L'histoire de ces gouvernements d'un jour est à tous la même, et elle serait singulièrement fastidieuse si l'auteur de La République Batave n'avait su lui donner le plus haut intérêt en dégageant l'idée générale qui la domine la Hollande est de plus en plus nécessaire à la France dans sa lutte contre l'Angleterre, et chaque coup d'État est destiné à mettre au pouvoir des hommes plus souples et plus obéissants. Ces interventions continuelles permettent aisément de comprendre pourquoi les Français ne gardèrent pas longtemps dans les Provinces-Unies le beau titre de libérateurs. Nos diplomates, par leurs querelles et leur manque de tact, nos généraux par leurs exactions de toutes sortes, impatientèrent bientôt les Hollandais et après le 18 Brumaire cette impatience dégénéra en véritable hostilité. « Ces gens-ci ne nous veulent plus », pouvait écrire à Talleyrand notre ministre à La Haye.

Mais Bonaparte était nommé consul; d'une main implacable et géniale, il va précipiter la Hollande vers la perte de son indépendance. Plus de saccades, comme sous la Convention; plus d'hésitations, comme sous le Directoire; pour se rendre compte de sa politique, il faut au moins analyser rapidement le dernier chapitre de La Republique Batave, qui raconte l'histoire émouvante de la présidence éphémère de Schimmelpenninck.

Le Gouvernement d'État, qui depuis 1801 dirigeait la Hollande et avait reçu l'investiture des mains mêmes de Bonaparte, voulut rester neutre après la rupture de la paix d'Amiens. Cette résistance était contraire aux intérêts de la France et de la Hollande et le premier consul résolut d'instituer aux Pays-Bas un gouvernement émané plus directement de sa personne. Il ne connaissait et n'appréciait qu'un homme en Hollande, Schimmelpenninck, président des premiers Etats-Généraux de 1795 et depuis ambassadeur de la République Batave à Paris; il le savait docile et intelligent, qualités qu'il avait vainement cherchées auprès des dirigeants hollandais, et après le sacre de 1804, il lui déclara brusquement qu'il était fatigué du Gouvernement d'État, et le chargea de le remplacer. Schimmelpenninck se rendit avec déférence au désir de l'empereur; sur sa motion le Gouvernement d'État fit présenter une constitution au peuple et le simple bourgeois d'Amsterdam fut nommé grand pensionnaire.

La nation batave avait accepté sans mot dire; elle avait lu dans la pensée de Napoléon; elle sentait que le nouveau régime serait essentiellement transitoire et ne ferait que retarder l'avènement d'un prince français ou l'annexion, que la crainte d'exciter l'Europe coalisée ajournait seule l'exécution de ces mesures; elle inclina sa tête qu'elle avait portée si fière, et se tut.

Au bout de six mois en effet, Napoléon dévoila ses projets; le moment était venu d'entourer son trône impérial d'une ceinture de royautés vassales. Aussi simplement qu'il avait nommé un grand pensionnaire, il décida de faire un roi. Il en avait déjà préparé un, c'était son frère Louis, qui avait été chargé du commandement de l'armée de Hollande, et qui avait su y

gagner toutes les sympathies. Il ne fallait qu'un prétexte pour déposer Schimmelpenninck, dont le gouvernement était du reste excellent; Talleyrand se chargea de le trouver. Il apprit que la vue du grand pensionnaire se fatiguait beaucoup et lui adressa aussitôt à ce sujet une lettre, modèle d'habileté et de perfidie, montrant quel danger il y avait à laisser à la tête de la Hollande un homme qui, devenu aveugle, tomberait infailliblement entre les mains des Anglais; il l'incitait à envoyer l'amiral Ver Huell à Napoléon afin de s'entendre avec lui sur les moyens d'établir dans les PaysBas un régime qui assure pour toujours leur indépendance et leur prospérité ». Schimmelpenninck comprit; il se laissa déposer aussi docilement qu'il avait, six mois auparavant, reçu le pouvoir des mains de l'empereur, et lui envoya Ver Huell, recommandant à l'amiral d'éviter si possible l'établissement d'une monarchie héréditaire.

Ver Huell fit ce qu'il put, c'est-à-dire rien; une commission envoyée à Paris pour déclarer que le peuple hollandais restait indépendant et libre, fut reçue par l'empereur d'un air courroucé et les chambres néerlandaises se soumirent comme Schimmelpenninck. C'était la fin de l'indépendance hollandaise, la plus vieille, la plus noble de l'Europe.

Par le traité de Paris du 24 mai 1806, Napoléon déférait aux vœux de la nation hatave en autorisant Louis Bonaparte à accepter la couronne constitutionnelle et héréditaire de Hollande. Comme témoignage de sa satisfaction pour la docilité des Hollandais, l'empereur les autorisa à prendre de nouvelles armes les armes anciennes des Provinces-Unies mais écartelées de l'aigle impériale; elles sont parlantes.

Telle est en ses grands traits l'histoire de la République batave, récit toujours intéressant, passionnant par endroits. Son auteur, qui a bien voulu m'autoriser à le nommer, est M. Louis Legrand, notre ministre à La Haye. Ses hautes fonctions, ses nombreuses et cordiales relations parmi les descendants des héros de la période révolutionnaire, lui ont donné pour puiser aux sources mêmes toutes les facilités, toutes les latitudes : il a eu en main les documents les plus précieux et s'en est magistralement servi. M. Legrand a éclairé une époque confuse; il a débrouillé l'écheveau dans lequel on s'était perdu jusqu'alors et il l'a fait avec une dextérité et une patience qui lai ont valu les encouragements les plus flatteurs. Son œuvre, impartiale et bienveillante, a excité en Hollande un vif mouvement de curiosité et d'intérêt, et d'eux-mêmes les Hollandais ont décidé d'en faire faire une traduction, qui sera précédée d'une préface due à la plume autorisée de M. de Beaufort.

Cet ouvrage mérite le même succès en France. Il montre comment un peuple et un des plus fiers, celui-là même qui avait chassé le fils de CharlesQuint et bravé le Roi Soleil, dut plier le cou sous le joug de l'empereur. Les Hollandais s'en souviennent sans amertume; ils savent mieux qu'aucun peuple ce que vaut l'indépendance et qu'il y a quelque gloire à ne l'avoir perdue qu'en la défendant contre Napoléon.

JACQUES SEYDOUX.

Léon Poinsard, secrétaire général des Bureaux internationaux de la propriété industrielle et littéraire à Berne. La Question monétaire considérée dans ses rapports avec la condition sociale des divers pays et avec les crises économiques. Paris, Giard, 1895. — Voici un volume intéressant parmi tous ceux auxquels la question monétaire a donné naissance. Dans les quatre premiers chapitres, l'auteur nous expose successivement sa théorie de la monnaie, la crise monétaire et ses causes, les effets de cette crise et enfin le classement naturel des systèmes monétaires. Le lecteur y trouvera un exposé clair de la situation actuelle. Nous ferons cependant quelques réserves au sujet de la théorie qui attribue exclusivement à la dépréciation de l'argent le développement industriel de certains pays asiatiques. L'auteur recherche ensuite la solution des difficultés contemporaines: il trouve que ni le monométallisme or ni le bimétallisme or et argent, c'est-à-dire le régime sous lequel la frappe de ces deux métaux est libre, ne nous la donnent. Il écarte également les solutions partielles proposées aux dernières conférences monétaires, telles que le retrait des petites pièces d'or et des petites coupures de billets, afin de les remplacer par des espèces d'argent, ou encore la mise en circulation de warrants internationaux d'argent, ne portant d'autre indication que celle du poids du métal qu'ils représenteraient.

M. Poinsard considère que la plupart des pays ne sont pas disposés à changer leur système monétaire, mais reconnaissent la nécessité de faciliter les échanges internationaux et de combler le fossé qui existe entre les 270 millions d'êtres humains faisant surtout usage de l'or, les 775 faisant surtout usage de l'argent et les 280 qui sont au régime du papier. Il s'agirait à cet effet d'augmenter la circulation internationale d'argent par la création d'une monnaie uniforme d'argent au titre de 900 millièmes, émise en quantité déterminée par les pays syndiqués, selon le chiffre de leurs importations. Les Etats auraient le monopole exclusif de l'émission et prohiberaient l'entrée des monnaies d'argent d'un autre type. La valeur de ces écus internationaux serait établie par rapport à l'or dans la proportion de 15 1/2 à 1; ils seraient admis dans toutes les caisses publiques des contractants.

Nous craignons que cette solution, si ingénieuse qu'elle soit, si bien étudiés qu'en aient été tous les détails par l'auteur, ne soit pas encore le remède définitif. M. Poinsard admet des liquidations régulières au moyen desquelles les États unionistes feraient l'échange des pièces d'argent entrées dans leurs caisses et régleraient les soldes en or. C'est étendre à l'univers la situation de l'Union latine : nous savons que même sur ce domaine restreint la clause de liquidation n'a pas empêché le mouvement des écus de se produire d'une façon que nous, Français, considérons à juste titre comme préjudiciable à nos intérêts et de créer des difficultés probables pour le jour de la liquidation de l'Union. Dans quelle proportion ne seraient-elles pas accrues, si l'on essayait d'appliquer le système à l'ensemble des nations civilisées.

R. G. L.

John Austin, La philosophie du droit positif, traduction de M. Henry. Paris, Rousseau, 1894. De nos jours, l'enseignement des Facultés de droit, à tort ou à raison, a été souvent critiqué; on lui a reproché de donner une trop grande importance aux controverses et de ne pas insister assez sur les grands principés des législations. Pour être exagérés, ces reproches n'en contiennent pas moins une certaine part de vérité; sans doute le plus grand nombre des maîtres de nos Facultés se place à un point de vue à la fois théorique et pratique, cherche à dégager les raisons qui ont inspiré telle ou telle loi, et, par un parallèle succinct, mais nécessaire, avec les législations étrangères, montre les avantages ou les inconvénients, l'équité ou l'injustice de chaque système; mais il est à regretter que, dans nos Facultés, l'enseignement de la philosophie du droit n'ait pas une plus grande importance le cours existe, mais il n'est pas suivi aussi régulièrement qu'il le faudrait, car il ne forme pas matière à examen; il faudrait le rendre obligatoire, le placer au programme de la première année, comme l'a fait la Faculté de Genève, et, avant d'étudier notre législation dans tous ses détails, il faudrait d'abord inculquer aux étudiants les grands principes sur lesquels elle est fondée.

Il s'agirait évidemment d'étudier seulement la philosophie du droit positif; mais la question se complique, car celui-ci peut être étudié à deux points de vue différents, selon qu'on le considère comme science sociale, ou comme science juridique. Envisagé dans ses rapports avec la science sociale, le droit positif a pour but d'exposer les institutions en elles-mêmes, abstraction faite de la procédure qui les fait fonctionner. Considéré comme science juridique, au contraire, le droit positif étudie les institutions dans leur organisation la plus intime, à un point de vue à la fois spéculatif et pratique. C'est la philosophie du droit positif, en tant que science juridique, dont M. John Austin préconise l'étude dans les Facultés,

La philosophie du droit positif produit des conséquences de deux ordres différents, selon qu'elle est envisagée comme science sociale ou comme science juridique.

Étudiée en tant que science sociale, cette philosophie a pour objet « l'étude comparative et critique des divers principes moraux, économiques et politiques sur lesquels toute législation est fondée ». Les ouvrages de Kant, de Hegel, de Krause, de Charles Comte, de Bentham, se placent à ce point de vue.

Conçue comme science juridique, cette philosophie étudie comparativement et en les critiquant « les principes d'après lesquels le législateur peut organiser les institutions qu'il croit devoir adopter, et la détermination de cette méthode qui s'impose au juriste dans l'étude de cette organisation au point de vue théorique et pratique ». C'est à ce point de vue que les ouvrages de MM. Shering et Austin étudient la philosophie du droit positif.

Dans cette organisation générale, il y a quelques grands principes, comme le formalisme ou la réduction des formes au minimum de procédure possible, qui sont à la base de la législation de chaque État; l'étude compara

A. TOME X.

1895.

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