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LA CONSTITUTION SERBE

SES ORIGINES, SES CARACTÈRES, SES TRANSFORMATIONS.

(1835-1894.)

(Suite et fin 1.)

VI

La régence de 1863 fut plus hardie que le prince Michel en 1861. La skoupchtina, qui s'était réunie après l'assassinat de ce dernier pour désigner son successeur, avait émis trois vœux portant sur la convocation annuelle et l'élargissement de la sphère d'action de l'assemblée, sur l'établissement d'une loi réglant la responsabilité ministérielle et d'une autre loi relative à la presse. Les régents étendirent singulièrement le programme de réformes proposé par la skoupchtina. Dès que l'état de siège, dont l'établissement avait été nécessité par l'attentat de Topchidéré, eût été levé, ils ne cachèrent point leur intention de faire de la principauté une véritable monarchie constitutionnelle. L'on pouvait déjà prévoir les changements considérables qui allaient s'accomplir dans le pays en lisant cette phrase de la proclamation qu'ils adressaient au peuple le 12 novembre 1868 « Libres désormais de consacrer notre activité au progrès du pays, au développement de ses institutions, invoquons sur nous la bénédiction divine pour aborder les nombreux et difficiles travaux qui nous attendent ». Les espérances que cette proclamation permettait à la nation serbe ne devaient point être trompées. En effet, quelques jours à peine après l'affichage de la déclaration, une note insérée dans la « Gazette serbe », le journal officiel de l'État, ordonnait la réunion à Belgrade d'un comité consultatif de soixante-dix membres pris dans toutes les

1. V. les Annales du 15 janvier 1895.

A. TOME X.

MARS 1895.

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classes et chargé d'arrêter de concert avec le gouvernement les bases d'un nouvel oustav. La Serbie allait donc encore une fois changer de constitution.

Avant d'aborder l'examen des lois organiques de 1869, nous étudierons le projet développé par M. Ristitch dans son discours à l'ouverture du comité constitutionnel, le 20 décembre 1868. Ce discours a une grande importance, car son auteur avait exposé huit ans auparavant dans deux brochures restées célèbres : « Légalité » et <«< Réformes », ce qu'on pourrait appeler « les libertés nécessaires de la Serbie ». De plus il explique à merveille la genèse de la constitution serbe et l'esprit qui a guidé ses rédacteurs. M. Ristitch exprimait en commençant la nécessité d'une réforme globale des institutions : <«< Serait-il possible, disait-il, de convoquer chaque année l'assemblée nationale, tout en lui conservant ses attributions actuelles ou d'étendre ces dernières, sans les combiner avec celles du sénat? Serait-il possible, dans l'état actuel de nos institutions, de régler la responsabilité des ministres, sans s'exposer aux risques que courrait un grand vaisseau contraint de naviguer sur une eau peu profonde? Quel avantage enfin trouverait-on à supprimer les bornes posées à la presse, en laissant nos autres institutions à l'étroit dans leurs anciennes limites? » Il ne s'agissait plus désormais d'opérer de simples retouches; il fallait tout détruire pour tout refaire. La Serbie du reste n'avait-elle pas sous les yeux des exemples encourageants? Au moment où les États limitrophes, l'Autriche, la Hongrie, la Roumanie, venaient d'adopter un régime parlementaire, lui était-il permis de s'arrêter immuablement au degré de développement politique auquel elle était parvenue? Ce que la régence prétendait consacrer, ce n'était en somme que le résultat d'une lente évolution : «< Le besoin de reculer les limites des institutions de notre pays, disait l'orateur, ne s'est pas manifesté subitement; il a mûri avec nous.... Ne voulant, ni ne pouvant rétrograder, force nous est de marcher en avant. » Marcher en avant; mais dans quelle direction? Nous arrivons à la partie la plus intéressante du discours de M. Ristitch, celle qui semble avoir été écoutée avec le plus d'attention par les membres de la skoupchtina et avoir trouvé parmi eux le plus d'écho. « Il ne viendra à l'esprit d'aucun de nous, poursuivait le régent, d'emprunter à l'étranger et de transplanter sur notre sol des institutions qui, sous notre ciel, ne pourraient porter d'heureux fruits. Nous nous acquitterons de notre tâche avec succès si, mettant à profit l'expérience des nations plus avancées, nous savons, des éléments existants, faire sortir des institutions qui réprondront à notre état actuel, si nous leur imprimons le cachet de perfection que demandent l'époque et notre

situation. Il nous importera peu que notre création réponde à telle ou telle théorie; nous chercherons encore moins à savoir quelle sera sa dénomination parmi les doctrines politiques; nous appliquerons tous nos soins à satisfaire les besoins du pays... »

Certes c'étaient là les paroles d'un véritable homme d'État. La première qualité d'une constitution, c'est de s'adapter à la situation politique du peuple qui la reçoit. On pourrait faire deux parts des avantages de tout statut : les uns sont intrinsèques, les autres extrinsèques; les uns regardent plus spécialement le statut lui-même, les autres, le milieu où il doit entrer en vigueur. Parmi ces avantages les plus précieux sont, sans conteste, les seconds. C'est pour avoir méconnu le principe de l'adaptation que Mahmoud en 1839 a vu échouer le tanzimat de Gulkhané; de même la Grèce et la Roumanie ont souffert pour avoir calqué trop exactement leur organisation sur celle des nations les plus avancées de l'Occident. Ces funestes exemples étaient connus de la régence serbe. Elle eut le mérite, dans son projet, de savoir mettre à profit les leçons que lui donnait l'histoire, de maintenir ininterrompue la chaîne des traditions du passé.

La plus vieille des institutions serbes était la skoupchtina. Il importait done, suivant M. Ristitch, de la conserver au nombre des facteurs les plus importants de la vie publique. En revanche et pour la mettre à la hauteur de sa nouvelle mission, il fallait lui donner « une organisation plus harmonieuse en elle-même et des limites moins étroites ». A quelles idées précises répondaient ces termes quelque peu vagues? Il faut, pour le comprendre, revenir sur les lacunes de la loi de 1861 relative à la skoupchtina. Son grand défaut, nous l'avons vu, c'était de borner le droit d'initiative de l'assemblée à l'émission de vœux sans aucune sanction pratique. Or quelle action pouvait exercer une skoupchtina réduite au silence quand elle n'était point interrogée par les ministres? En disant qu'il désirait organiser la skoupchtina plus harmonieusement, le régent entendait en faire un véritable parlement, ayant le droit de se saisir lui-même de toutes les questions dont l'examen lui paraissait utile. Les mots «< limites moins étroites » étaient de leur côté une allusion à la fréquence des réunions parlementaires. Trois ans, c'est une période bien longue pour l'intervalle de deux sessions; le souhait de M. Ristitch c'était de voir réduire les chômages. de l'assemblée. Enfin il voulait que, devenue forte, elle marquât plus clairement qu'autrefois son indépendance vis-à-vis du kniaze, en nommant elle-même son président. Voilà ses desiderata, en ce qui concernait la skoupchtina.

Convenait-il que cette skoupchtina concentrât dans ses mains tout le pouvoir législatif ou bien était-il meilleur d'avoir deux assemblées?

Il y avait là un point délicat à résoudre pour M. Ristitch; si l'on veut se convaincre de l'importance qu'il attachait à cette question, il n'y a qu'à considérer l'étendue des développements qu'il lui consacre dans sa harangue. Elle tient presque le tiers de son discours et à l'appui de son opinion il ne dédaigne pas d'invoquer les raisons les plus diverses. Ce sont d'abord des raisons d'ordre historique. « Il est des personnes, disait-il, qui pensent que partout où deux corps exercent parallèlement le pouvoir législatif, ce système provient des anciennes traditions féodales. Mais si l'on considère qu'il est des pays dont le passé n'offre point de période féodale et chez lesquels pourtant, à côté de l'assemblée nationale, il existe un second facteur portant le nom de sénat, de conseil, ou tout autre (tel est le cas, par exemple, aux États-Unis d'Amérique), cette opinion ne se montre pas fondée. Au contraire l'histoire nous enseigne que ce n'est que dans les temps d'agitation et de troubles que l'on a été conduit à concentrer dans l'assemblée nationale toute la puissance du mouvement pour qu'il se propageât avec plus d'énergie. » Après avoir fait appel à l'histoire, le régent faisait appel à la raison; il engageait la nation et ses mandataires à se prémunir contre leurs propres emportements, il vantait les avantages des travaux lents et consciencieux, rééditant sous une autre forme le vieux proverbe allemand : « Eile mit veile ».

Aux considérations générales en faveur de la dualité, M. Ristitch ajoutait des considérations particulières à la Serbie. A l'appui de son système il rappelait que les désordres de ce pays dans le passé étaient dus en grande partie à l'absence d'intermédiaire conciliateur entre le kniaze et le corps législatif. Enfin le motif le plus sérieux d'établir un sénat à côté de la skoupchtina, c'était, pour lui, la répugnance qu'éprouvait la population des campagnes à élire hors de ses rangs des députés à l'assemblée nationale. Il est de fait que le corps législatif, qui aurait dû embrasser toute la nation, n'était point du tout en 1869 le miroir fidèle des diverses forces du pays. A la skoupchtina qui proclama Milan en 1868, l'on ne comptait qu'un seul député appartenant aux professions libérales; les autres étaient des paysans pour la plupart illettrés. N'était-ce point pécher contre la logique que de confier à des ignorants le soin de faire les lois, de gouverner l'État alors que tant de talents restaient inutilisés? En créant une seconde assemblée dont les membres seraient en majeure partie choisis par le prince, on pourrait employer pour le plus grand profit de la Serbie une foule de gens intelligents et travailleurs. Telles étaient les raisons qui faisaient pencher M. Ristitch pour la création ou plutôt le maintien d'un sénat.

Les mêmes motifs devaient naturellement le guider, lorsqu'il fixait

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