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toutes les puissances pour résoudre la formidable question sociale que le quatrième état soulève à la fin de ce siècle, comme le tiers état l'a soulevée à la fin du siècle dernier. L'Autriche peut travailler à toutes ces questions, libre de soucis, derrière l'excellente et solide armée qu'elle peut mettre en ligne à l'heure du danger.

D'ailleurs, si le désir de la paix ne se rencontrait que chez le souverain et chez son ministre, elle pourrait à la rigueur être à la merci d'un changement de règne, cette politique pacifique que poursuit l'Autriche. Mais ce désir est celui de toutes les nationalités de la monarchie. Nulle part on n'enregistre avec plus de satisfaction et d'empressement les déclarations en faveur de la paix venues du dehors; qu'elles émanent du président de la République française au moment où il prend possession de la première magistrature du pays, ou qu'elles viennent du souverain qui se fait gloire de gouverner autocratiquement quatre-vingt-dix millions d'âmes pensantes.

Grâce à ses dispositions pacifiques, l'Autriche est en bons termes avec toutes les puissances. Il y a toutefois dans ses relations extérieures deux petits points noirs qui, pour petits qu'ils soient, n'en sont pas moins irritants. Nous faisons allusion au différend avec la France au sujet des droits appliqués aux vins français et au conflit avec la Bulgarie dans la question dite des «< accises ».

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On connaît l'origine du différend franco-autrichien. A la suite d'une interpellation au Palais-Bourbon, le gouvernement français demanda au cabinet de Vienne des explications sur le traitement douanier des vins français à leur entrée en Autriche, traitement qui, malgré la clause de la nation la plus favorisée dont jouit la France, était sensiblement moins favorable que le traitement appliqué aux vins italiens.

Cette demande d'explications mettait le gouvernement autrichien dans un grand embarras, car les faits étaient patents. Il était difficile de donner des explications sans qu'elles fussent compromettantes. Au fond il y avait là un malentendu provenant d'un oubli lors de la rédaction du traité de commerce avec la France. Ce sont de ces choses qui ne s'avouent pas.

L'Italie jouit d'une situation privilégiée qui remonte au temps où l'Autriche possédait la Lombardo-Vénétie. A cette époque, un traitement de faveur fut accordé aux pays limitrophes de la Lombardie, traitement qui, abusivement, s'était étendu aux autres États de la péninsule. La question diminua d'intérêt après la cession de la Lombardo-Vénétie et fut perdue de vue. Or, dans ces derniers temps, l'Italie se prévalut auprès du gouvernement autrichien de ses anciens privilèges et en demanda la continuation. C'était placer l'Autriche dans une situation difficile par rapport à la France.

Devant les réclamations du quai d'Orsay, le gouvernement fut interpellé au Reichsrath sur la conduite qu'il entendait adopter. Le ministre du commerce comte Wurmbrand répondit que, sans admettre l'interprétation de la clause de la nation la plus favorisée, dans le sens que voulait lui donner le gouvernement français, une négociation serait entreprise de manière à amener une entente. On tiendrait compte toutefois des intérêts de la viticulture autrichienne '. Celle-ci, en effet, par suite de la concurrence étrangère et des mauvaises récoltes, se trouve placée dans une situation difficile.

L'Autriche avait, entre temps, échangé ses vues sur la question avec la Hongrie, dans une conférence douanière et commerciale qui se réunit à Budapest. Une note rédigée sur la base des délibérations communes fut envoyée au gouvernement français; elle proposait un arrangement. D'après cette note, le comte Kalnoky offrirait de réduire, de 20 à 12 florins or, le droit sur les vins français. Cette réduction ne serait applicable qu'aux vins titrant plus de 8 à 10 degrés d'alcool; les qualités inférieures en seraient exclues. En échange, la note demanderait des concessions pour l'importation en France des moutons, ainsi que de certains articles de jute 2.

La question n'a pas encore reçu de solution.

Quant au différend avec la Bulgarie, il rappelle un peu celui que l'Autriche eut déjà en 1893 avec la Serbie à propos de l'impôt de l'Obrt. Le gouvernement bulgare ayant supprimé récemment un impôt qui rapportait beaucoup, mais était impopulaire, la dime, chercha à compenser les pertes, qui en résultaient pour le trésor, par l'établissement de droits indirects ou d'accise sur les produits de provenance étrangère. Cette mesure était accompagnée d'un nouvel impôt sur les brevets d'invention. En apprenant ces faits, le gouvernement austro-hongrois adressa au cabinet de Sophia une note diplomatique dans laquelle il protestait formellement contre l'application de l'accise aux produits autrichiens et déclarait cette mesure inconciliable avec le traité de commerce austro-bulgare. Le cabinet de Vienne estimait qu'une affaire de cette importance ne sauraît être réglée par la Bulgarie à elle seule, qu'il fallait un accord mutuel et exigeait la suspension du nouvel impôt jusqu'à règlement du différend. Une seconde note protestait contre l'impôt sur les brevets d'invention.

1. Chambre des députés d'Autriche, séance du 10 novembre 1894, comple rendu sténographique.

2. Correspondance politique, no du 4 octobre 1894.

3. Voir sur cette question la Revue de droit international public, juin 1894, p. 295 et suiv.

4. Correspondance politique, no du 22 janvier 1895.

А. ТОМЕ Х.

1895.

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toutes les puissances pour résoudre la formidable question sociale que le quatrième état soulève à la fin de ce siècle, comme le tiers état l'a soulevée à la fin du siècle dernier. L'Autriche peut travailler à toutes ces questions, libre de soucis, derrière l'excellente et solide armée qu'elle peut mettre en ligne à l'heure du danger.

D'ailleurs, si le désir de la paix ne se rencontrait que chez le souverain et chez son ministre, elle pourrait à la rigueur être à la merci d'un changement de règne, cette politique pacifique que poursuit l'Autriche. Mais ce désir est celui de toutes les nationalités de la monarchie. Nulle part on n'enregistre avec plus de satisfaction et d'empressement les déclarations en faveur de la paix venues du dehors; qu'elles émanent du président de la République française au moment où il prend possession de la première magistrature du pays, ou qu'elles viennent du souverain qui se fait gloire de gouverner autocratiquement quatre-vingt-dix millions d'âmes pensantes.

Grâce à ses dispositions pacifiques, l'Autriche est en bons termes avec toutes les puissances. Il y a toutefois dans ses relations extérieures deux petits points noirs qui, pour petits qu'ils soient, n'en sont pas moins irritants. Nous faisons allusion au différend avec la France au sujet des droits appliqués aux vins français et au conflit avec la Bulgarie dans la question dite des «< accises ».

On connaît l'origine du différend franco-autrichien. A la suite d'une interpellation au Palais-Bourbon, le gouvernement français demanda au cabinet de Vienne des explications sur le traitement douanier des vins français à leur entrée en Autriche, traitement qui, malgré la clause de la nation la plus favorisée dont jouit la France, était sensiblement moins favorable que le traitement appliqué aux vins italiens.

Cette demande d'explications mettait le gouvernement autrichien dans un grand embarras, car les faits étaient patents. Il était difficile de donner des explications sans qu'elles fussent compromettantes. Au fond il y avait là un malentendu provenant d'un oubli lors de la rédaction du traité de commerce avec la France. Ce sont de ces choses qui ne s'avouent pas.

L'Italie jouit d'une situation privilégiée qui remonte au temps où l'Autriche possédait la Lombardo-Vénétie. A cette époque, un traitement de faveur fut accordé aux pays limitrophes de la Lombardie, traitement qui, abusivement, s'était étendu aux autres États de la péninsule. La question diminua d'intérêt après la cession de la Lombardo-Vénétie et fut perdue de vue. Or, dans ces derniers temps, l'Italie se prévalut auprès du gouvernement autrichien de ses anciens privilèges et en demanda la continuation. C'était placer l'Autriche dans une situation difficile par rapport à la France.

Devant les réclamations du quai d'Orsay, le gouvernement fut interpellé au Reichsrath sur la conduite qu' entendar: adopter. Le ministre du commerce comte Wurmbrand répondi: que, sans aumettre l'interprétation de la clause de la nation la pius favoriser dans le sens que voulait lui donner le gouvernement français, une négociation serait entreprise de manière à amener une ememe. On tiendrait compte toutefois des intérêts de la viticulture autrichienne :. Celle-ci, en effet, par suite de la concurrence étrangere et des mauvaises récoltes, se trouve placée dans une situation difficile.

L'Autriche avait, entre temps, échangé ses vues sur la question avec la Hongrie, dans une conférence douanière et commerciale qui se réunit à Budapest. Une note rédigée sur la base des deliberations communes fut envoyée au gouvernement français: ele proposait un arrangement. D'après cette note, le comte Kalnoky offriral require de 20 à 12 florins or, le droit sur les vins français. Cete reduction ne serait applicable qu'aux vins titrant plus de 8 a 10-degre Carol: les qualités inférieures en seraient exclues. Ex eraue & pute demanderait des concessions pour l'importation er Frame nontons, ainsi que de certains articles de jute *.

La question n'a pas encore reçu de solution.

Quant au différend avec la Bulgarie, il rappele e em que l'Autriche eut déjà en 1893 avec la Serbie à prova de l'Obrt. Le gouvernement bulgare ayant suppreERE DO impôt qui rapportait beaucoup, mais était impr. dime. chercha à compenser les pertes, qui en résultat or par l'établissement de droits indirects ou d'acrise sure-F100venance étrangère. Cette mesure était ace impôt sur les brevets d'invention. En appresara nement austro-hongrois adressa au cabine sauze úplomatique dans laquelle il protestait formele

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Le gouvernement bulgare répondit à ces deux notes en se justifiant. Il fit valoir que les nouveaux droits indirects, admis déjà par plusieurs puissances, ne frappaient que les consommateurs bulgares. Il ajoutait que la loi avait été votée et promulguée, qu'il y avait là un fait accompli et que l'on ne pouvait contraindre le gouvernement à se déjuger sans l'exposer à de graves complications. Du reste, la Bulgarie ne demandait pas mieux que de faire des concessions dans un traité définitif, mais priait l'Autriche-Hongrie de retirer sa protestation.

L'opinion publique s'émut dans la principauté et vit dans les prétentions de l'Autriche une ingérence dans les affaires intérieures de la Bulgarie et une querelle politique. Le Fremdenblatt, qui passe pour l'organe officieux du comte Kalnoky, protesta contre cette manière d'envisager la question. Il fit remarquer que l'Autriche avait déjà précédemment consenti à l'augmentation des droits douaniers bulgares et que, dans ces conditions, l'accise était une véritable entrave pour l'importation autrichienne. Il ajoutait qu'on ne saurait en Bulgarie se retrancher derrière le fait accompli, car on ne peut faire supporter à d'autres les conséquences d'une faute que l'on a commise soi-même et que, du reste, il était impossible de trouver des motifs politiques à la protestation de l'Autriche.

Une conférence douanière et commerciale se réunit à Vienne dans les premiers jours de février. Elle décida de persister dans l'attitude prise par le gouvernement dès le début du conflit, mais indiqua au gouvernement bulgare un moyen de solution. Elle aurait, paraît-il, désigné une catégorie d'articles sur lesquels l'Autriche-Hongrie ne saurait à aucun prix accepter une surtaxe contraire aux traités, tandis qu'elle serait au contraire disposée à faire des concessions sur les autres articles. Il paraît qu'à Sophia on est tout disposé à accepter ce terrain de discussion.

Tout porte donc à espérer que d'ici peu le conflit franco-autrichien comme le conflit austro-bulgare recevront des solutions satisfaisantes, pour le mieux des intérêts de chacune des puissances intéressées. Les luttes économiques de ce genre, si elles manquent souvent de grandeur, ont au moins cet avantage de pouvoir être circonscrites à un tapis vert et de ne faire verser que des flots d'encre.

J. BLOCISZEWSKI,

Professeur d'histoire diplomatique et de droit des gens à l'Académie orientale impériale et royale de Vienne, Ancien élève de l'École.

1. Fremdenblatt, no du 25 janvier 1895.

2. Correspondance politique, n° du 13 février 1895.

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