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nière reste, en principe, séparée et l'autorité de la partie dirigeante ne se fait sentir que dans la gestion et l'administration générales du réseau, à moins que, par l'effet d'un contrat spécial comportant d'ordinaire garantie de certains emprunts, l'exploitation même du réseau « contrôlé » soit jointe à celle du réseau principal. Partiel ou absolu, le procédé du control est aujourd'hui l'une des formes les plus répandues de la consolidation aux États-Unis. Ne modifiant en rien l'organisation juridique des compagnies, il se voit particulièrement apprécié dans un pays où les questions légales ont toujours été compliquées comme à plaisir; il fournit un aliment à la spéculation de bourse, c'est là son plus grand danger, par les facilités excessives qu'il donne aux compagnies pour l'extension exagérée et débilitante de leurs.

réseaux.

On voit donc qu'il y a une hiérarchie à établir et des classifications à faire dans le régime si hétérogène des compagnies de chemins de fer américains au point de vue de leur formation administrative. A côté des compagnies indépendantes et « exploitantes » sont les compagnies subsidiaires ou auxiliaires, exploitées par les premières. Un grand réseau sera le plus souvent constitué d'une manière fort complexe par la juxtaposition progressive d'un nombre plus ou moins considérable de lignes diverses qui auront été un jour libres avant d'être asservies à un « contrôle » supérieur. Autour du réseau propre (owned), construit par la compagnie principale, ou réuni par fusion à ce noyau originaire et représenté directement par le capital de la compagnie, un grand système pourra comprendre et, en fait comprendra le plus souvent :

1o Des lignes possédées (lines of proprietary companies), achetées pour un prix fixe, ou dont la compagnie centrale tient le capitalactions tout entier dans son portefeuille;

2o Des lignes prises à bail, annexées au réseau pour une période plus ou moins longue, et pour lesquelles la compagnie doit payer des redevances annuelles;

3o Des lignes «< contrôlées», compagnies subsidiaires dont la compagnie principale possède la majorité des actions;

4o Des lignes possédées ou contrôlées, mais dont l'exploitation est faite séparément et dont les comptes sont tenus à part. C'est ainsi, par exemple, que le Pennsylvania railroad, qui exploite directement ou par l'intermédiaire d'une compagnie filiale, la Pennsylvania company, un système de plus de 14,000 kilomètres, n'a sur ce total qu'un réseau propre de 820 kilomètres, et se compose de près de 200 compagnies diverses rassemblées sous une même autorité. L'Illinois central qui forme la grande trunk line entre Chicago et la Nouvelle-Orléans, réu

nissant les lacs au golfe de Mexique, n'a construit par lui-même que deux courtes lignes d'ensemble 1,150 kilomètres (Chicago à Cairo et Centralia à Dubuque), sur un réseau actuel de 5,850 kilomètres. Il y a même des compagnies qui n'ont jamais construit un mille de voie ferrée et qui, comme la Pennsylvania company, que nous venons de nommer, ou la Southern Pacific company de M. Huntington, ont été formées dans le but exclusif de « contrôler », de consolider et d'exploiter un certain nombre de réseaux subsidiaires.

Au 1er janvier 1894, les 40 principaux systèmes de voies ferrées des États-Unis exploitaient un réseau de 185,000 kilomètres et « controlaient en outre 18,600 kilomètres de lignes ayant une exploitation séparée; le total de ces 40 réseaux, dont chacun relève en pratique directement ou indirectement, d'une seule et même autorité, représentait 203,600 kilomètres, soit 61 p. 0/0 du réseau total des chemins de fer de l'Union nord-américaine. Or il y avait aux États-Unis, en 1892, 1,822 compagnies de voies ferrées légalement existantes. Voilà les résultats statistiques du mouvement de consolidation depuis

trente ans.

Voyons maintenant quels ont été ses résultats économiques. Tout d'abord la consolidation a constitué un facteur essentiel dans l'abaissement si rapide du prix de revient des transports en Amérique. L'exploitation par les grandes compagnies, plus souple, mieux entendue, est devenue moins onéreuse; les dépenses générales et d'administration se sont restreintes; par suite de l'extension aux compagnies subsidiaires du crédit des compagnies principales, les charges fixes ont été réduites: partout il y a eu économie réalisée. En ce qui concerne la concurrence, les guerres de tarifs sont devenues plus rares, mais aussi plus dures; principalement locale autrefois, la compétition entre les divers réseaux s'est depuis concentrée. Enfin au point de vue commercial et financier, c'est grâce à la consolidation que les grandes compagnies de l'Union ont pu s'élever aujourd'hui au rang des premières puissances du monde économique dans le continent américain.

LOUIS PAUL-DUBOIS.

1. Nous comptons comme un système unique les compagnies qui, comme les lignes Vanderbilt ou le réseau Gould, bien que légalement indépendantes, se trouvent cependant placées en fait sous une même direction.

2. Les statistiques des années postérieures ne sont pas encore publiées.

CHRONIQUE POLITIQUE ET PARLEMENTAIRE.

ESPAGNE.

Le 30 octobre 1894, au moment même où l'opinion publique faisait sentir au vieux chef du parti libéral, M. Sagasta, qu'elle voulait non seulement un ministère, mais aussi et surtout un gouvernement, un désaccord éclata entre M. Moret et ses collègues sur la question. douanière. M. Moret donna sa démission; elle entraîna, contrairement aux usages qui depuis longtemps existent dans la politique intérieure de l'Espagne, la démission collective du ministère. Les cortès avaient été convoquées pour le 12 novembre; l'approbation de la déclaration du gouvernement qui devait être lue à leur ouverture par M. Sagasta fit seule durer la crise jusqu'au 4 novembre. Trois ministres se retirèrent MM. Moret, Salvador et Aguilera. Quelques anciens ministres rentrèrent dans le nouveau cabinet; deux des ministres démissionnaires changèrent de portefeuille; M. Groizard, qui prit le ministère d'État, et M. Capdepon, qui accepta celui de l'intérieur. M. Maura, qui avait déjà été ministre des colonies, fut nommé ministre de la justice, tandis que M. Puigcerver fut placé à la tête du ministère de l'instruction et des travaux publics et M. Abarzuza à la tête de celui des colonies.

Ce nouveau ministère était un ministère de concentration politique, dans toute l'acception du mot. Car à côté d'un républicain de l'école de Castelar, comme M. Abarzuza, le gouvernement monarchique espagnol comprenait des représentants de la doctrine protectionniste, comme M. Maura, qui a remplacé, sur son indication, M. Gamazo, le chef de ce parti, et un libre-échangiste, M. Puigcerver, qu'il est assez piquant de voir siéger au banc du gouvernement, au moment où

1. Les ministres étaient : MM. Sagasta, président; Moret, ministre d'État; Salvador, ministre des finances; Capdepon, ministre de la justice; Aguilera, ministre de l'intérieur; Becerra, ministre des colonies; Groizard, ministre du fomento; Lopez Dominguez, ministre de la guerre; Pasquin, ministre de la marine.

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celui-ci adopte une orientation nettement et exclusivement protectionniste.

On se rappelle, en effet, que les désaccords qui se sont élevés entre M. Moret et ses collègues se sont produits sur les résolutions relatives à la politique économique du gouvernement. Le but des efforts de M. Moret était d'amener la conclusion de traités de commerce avec l'Autriche-Hongrie, l'Italie et la Belgique et la solution des négociations en cours avec la France. La constitution du nouveau ministère indique que le gouvernement sera désormais protectionniste et qu'il abandonne, au point de vue économique, la politique suivie antérieurement.

MM. Sagasta et Puigcerver proposaient de conserver le tarif de 1892 avec ses droits minima et maxima modifiés par les traités mis en vigueur en 1893, en y ajoutant une troisième espèce de droits, ceux qui avaient été inscrits dans les traités abandonnés, avec le consentement des protectionnistes transigeants. M. Maura demandait qu'«< une commission fût chargée de reviser les droits minima du tarif de 1892, afin d'arriver à l'établissement d'une échelle de droits définitive, représentant le maximum des concessions que l'Espagne pourrait offrir aux pays étrangers disposés à lui accorder le bénéfice soit de leurs tarifs minima, soit du traitement de la nation la plus favorisée ». Un autre système avait été proposé par M. Puigcerver, le système allemand, c'est-à-dire l'adoption d'une taxe unique, avec des surtaxes applicables aux produits importés des pays qui refusent le traitement de la nation la plus favorisée, et d'autant plus élevées que sont plus élevés les droits qui frapperaient les produits espagnols à l'entrée de ces pays. C'est à la proposition de M. Maura que le cabinet a paru se rallier il s'agit donc de ramener le tarif de 1892 à celui des droits protectionnistes établis en 1877 par un cabinet conservateur.

Le 12 novembre, les cortès espagnoles reprirent les travaux de leur seconde législature. Le programme apporté par le gouvernement était un réel programme d'affaires, et, il faut le dire, un certain nombre des problèmes importants qu'il comportait ont été résolus au cours de cette session. Le règlement intérieur des séances avait reçu quelques modifications relatives au mode d'interpellation. Les deux premières heures de chaque séance, dont la durée totale devait être au minimum de cinq heures, pouvaient être seules consacrées aux interpellations cette réglementation, dont l'utilité ou l'opportunité paraissent contestables, n'eut pas d'effet; elle eut même un résultat contraire à celui qu'on était en droit d'attendre, car il n'y a jamais eu autant d'interpellations, de paroles inutilement dépensées, de récriminations plus âpres et plus stériles que pendant cette session.

Toutefois, grâce à la concentration qu'il avait opérée d'une façon si heureuse et si adroite, M. Sagasta put mener à bien plusieurs parties de son programme, qui offraient de véritables difficultés théoriques et pratiques, comme la protection douanière, et faire élever, sans discussion, à 2 1/2 pesetas, le droit de douane temporaire sur les blés.

Cependant l'abus des interpellations empêchait non seulement les cortès de discuter les projets inscrits à l'ordre du jour, mais il conduisit le 14 décembre à un vote contraire au ministère. On put pendant un certain temps croire à la chute finale du cabinet Sagasta; mais on comptait sans le jeu de bascule qui fait le fond de la politique espagnole. Voici ce qui s'était passé : une proposition tendant à l'établissement d'un droit sur les laines avait été déposée sur le bureau de la chambre par quelques députés de la province d'Estramadure. En Espagne, comme en France, les propositions émanant de l'initiative parlementaire ne peuvent venir en discussion que si elles ont été auparavant prises en considération. M. Salvador, ministre des finances, crut devoir s'opposer à la prise en considération. La chambre décida par 83 voix contre 35 cette prise en considération. Comme, en présence de ce vote qui lui était hostile, M. Salvador donna sa démission, que l'attitude habile de M. Romero Robledo avait rendue inévitable, la crise ministérielle fut ouverte. Elle dura deux jours les séances des cortès n'eurent pas lieu pendant ce temps et plusieurs députés démocrates essayèrent de créer une agitation qui n'aboutit à aucun résultat. Un publiciste français a comparé à ce sujet le ministère espagnol à un maître de poste de l'ère qui précéda les chemins de fer, en ajoutant qu'il devait à tout prix faire un relais, dût-il changer vingt fois de postillons et trente fois de chevaux; il disait, non sans malice, que le président du conseil avait fait descendre le postillon qui venait d'être atteint. En effet, M. Salvador fut purement et simplement remplacé par M. Canalejas, ancien ministre de la justice, démocrate et avocat distingué, disciple, au point de vue économique, de la théorie protectionniste.

La solution de cette crise, en donnant satisfaction au parti libéral, a causé un certain désappointement au parti adverse, le parti conservateur, qui escomptait déjà la retraite du cabinet tout entier et son propre avènement à la direction des affaires. M. Sagasta aurait fait pressentir, au cours de ses démarches auprès des hommes politiques du parti dont il est le chef, qu'il se verrait contraint de passer le gouvernement à M. Canovas, si les rivalités continuaient à se manifester parmi les groupes libéraux. C'est la reine Christine qui insista pour que le ministère des finances fût seul mis en jeu. Cependant

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