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mais la baisse du métal blanc rendant de plus en plus onéreuse cette opération, elle fut suspendue en juin 1879. A côté des nouvelles monnaies d'or, il reste encore dans la circulation allemande des thalers, ayant également cours libératoire illimité, dont le stock ne peut être augmenté. L'Union latine, constituée sur la base de la loi française de germinal an XI, reposait théoriquement sur l'étalon d'argent; en fait, elle a été bimétalliste jusqu'en 1874. Mais à ce moment la baisse de l'argent obligea les pays qui la composaient à prendre des mesures préservatrices s'ils ne voulaient pas voir remplacer dans la circulation leur monnaie d'or par de la monnaie d'argent dépréciée; dans ce but, la conférence de 1874 limita l'émission totale des écus de 5 francs. Puis, les divers États contractants supprimèrent individuellement le monnayage de ces pièces, jusqu'à ce que la convention de 1878 édictât la suppression générale de la frappe de l'argent, tout en conservant le cours légal aux pièces existantes, qui circulent encore à côté des monnaies d'or, ayant comme elles valeur libératoire illimitée.

De même que ces pays, les États-Unis ont en circulation, depuis 1893, des monnaies légales d'or, dont la frappe est libre et illimitée, et des monnaies légales d'argent dont tout nouveau monnayage est interdit. Mais les silver dollars, au lieu de circuler matériellement comme les thalers et les écus de 5 francs, sont presque tous conservés dans les caves du trésor et ne sont guère utilisés par le public que sous la forme de silver certificates et de treasury notes1.

En somme, l'expérience tentée par les États-Unis a montré une fois de plus à quels dangers s'expose un pays, si riche soit-il, qui introduit imprudemment dans sa circulation une monnaie dépréciée. Obligés d'avoir recours au papier-monnaie pour soutenir la guerre de Sécession, les Américains avaient su échapper alors à la folie du papier; en 1878 et plus encore en 1890, la folie de l'argent s'était emparée de la majorité d'entre eux, et ce n'est qu'au prix d'une crise désastreuse qu'ils ont pu recouvrer la guérison. Nous leur souhaitons de ne plus retomber dans de semblables errements, mais nous souhaitons surtout que leur leçon serve d'exemple aux États qui seraient tentés d'oublier les intérêts généraux du pays pour satisfaire quelques intérêts particuliers; il leur en coûterait certainement fort cher.

ACHILLE VIALLATE,
Secrétaire adjoint de l'École.

1. En fait, cependant, une grande quantité d'écus de 5 francs de l'Union latine sont représentés dans la circulation par des billets des banques d'émission.

POLITIQUE FRANÇAISE DANS L'INDO-CHINE.

ANNA M.

(Suite 1.)

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III

1836. La monarchie de Juillet, occupée d'intérêts plus prochains, ou peu soucieuse d'affronter de nouveaux dédains de la part de la cour de Hué, s'abstint pendant longtemps de toutes relations avec elle. De son côté, le gouvernement de Charles X n'avait consenti, en 1829, à autoriser le retour d'Eugène Chaigneau en Cochinchine, que sur les instances de celui-ci, qui croyait le moment devenu favorable pour se faire admettre dans les fonctions consulaires, que le gouvernement annamite n'avait pas voulu précédemment lui reconnaître. Mais le ministère des affaires étrangères se faisait si peu d'illusions sur les résultats de cette nouvelle tentative qu'il n'avait d'abord voulu accorder à M. Chaigneau que le titre de vice-consul honoraire, avec un traitement fixé à 6,000 francs par an et à partir seulement du jour où il obtiendrait l'exequatur de la cour de Hué; de plus, quoique à la même époque le gouvernement expédiât la corvette la Favorite, avec mission de visiter la Cochinchine, Chaigneau avait dû prendre passage à Bordeaux sur un bâtiment de commerce, le SaintMichel, en décembre 1829.

Le 31 décembre 1830, le vice-consul, arrivé à Tourane avec les naufragés du Saint-Michel, dont nous avons parlé précédemment, écrivait aux Affaires étrangères qu'il avait éprouvé des difficultés telles, de la part du gouvernement cochinchinois, qu'il n'avait point obtenu d'être installé dans ses fonctions et ne pouvait se considérer que comme toléré par les mandarins. Le 20 du même mois, la Favorite, commandée par M. Laplace, avait jeté l'ancre à Tourane. Le commandant entama aussitôt des démarches en vue d'obtenir, pour M. Chaigneau, l'exequatur qu'il attendait; mais M. Laplace n'était porteur d'aucune dépêche qui l'accréditât à cet effet auprès du

1. Voir les Annales des 15 juillet et 15 septembre.

gouvernement cochinchinois; au contraire, il avait ordre d'explorer les côtes du Tonkin, et cette expédition, faite sans l'assentiment de la cour de Hué, avait d'autant plus excité sa méfiance que cette partie de l'empire venait d'être, récemment, en pleine insurrection. Dans ces conditions, non seulement l'empereur Minh-Mang refusa d'admettre le consul, mais encore révoqua l'ordre qu'il avait donné, d'après Eugène Chaigneau, de préparer une corvette cochinchinoise pour ramener à Lorient l'équipage du Saint-Michel.

Dans un rapport au ministre de la marine, daté de Tourane, M. Laplace, en rendant compte de l'insuccès de ses démarches auprès des mandarins, faisait connaître que ceux-ci offraient bien de reconnaître, en qualité de consul de France, le fils de J.-B. Chaigneau, mais à la condition que celui-ci se conformât aux usages des Annamites et portât leur costume; ils donnaient pour raison que si l'on admettait un Français comme consul à Tourane, les Anglais demanderaient bientôt la même faveur, qui ne pourrait leur être refusée; tandis que, le jeune Chaigneau se soumettant aux conditions susdites, l'empereur aurait un prétexte pour repousser la demande des Anglais et des autres puissances.

La situation faite à Eugène Chaigneau par le refus positif de recevoir sa lettre d'introduction fit juger, par le commandant de la Favorite, qu'il n'était pas convenable que notre agent demeurât plus longtemps en Cochinchine, où il n'était considéré que comme le commissionnaire de quelques maisons de commerce de France et se trouvait confondu avec les marchands indigènes. En conséquence, Chaigneau s'embarqua sur la corvette française pour se rendre à Sourabaya et, de là, rentrer en France par un bâtiment de com

merce.

On doit croire que les répugnances de la cour de Hué ne s'adressaient pas uniquement à la France. Nous avons déjà vu quel accueil avaient trouvé les Anglais; en 1831, les États-Unis d'Amérique avaient tenté, eux aussi, d'introduire un agent en Cochinchine. Celuici eut beau insinuer aux mandarins que « le caractère pacifique et purement mercantile de sa nation la distinguait de la France et de l'Angleterre, toujours prêtes à obtenir par la force ce qu'on n'accordait pas à leur influence », il n'eut pas plus de succès que nous et dut se retirer. C'est à ce moment, d'ailleurs, que Minh-Mang se décidait à persécuter ouvertement les missionnaires et les chrétiens indigènes.

2

1. Lettre au ministre des affaires étrangères, du 20 juin 1832. — Henri Cordier, op. cit., p. 123.

2. Lettre d'Eugène Chaigneau au ministre des affaires étrangères, du 20 juin 1832. Henri Cordier, op. cit., p. 123.

POLITIQUE FRANÇAISE DANS L'INDO-CHINE. A la suite de violents édits, renouvelant et aggravant ceux précédemment promulgués, la religion catholique fut proscrite, la peine de mort prononcée contre tout Européen arrêté sur le territoire annamite et contre les indigènes qui persévéraient dans le christianisme. Le sang coula à flots: parmi les prêtres qui subirent le dernier supplice, nous citerons MM. Gagelin, Marchand, Cornay, Borie; deux évêques espagnols, MM. Hénarez et Delgado. - MM. Jaccard, Fernandez et de la Motte moururent en prison.

A cette occasion, il est intéressant de nous arrêter quelque peu ici sur un événement à peu près oublié aujourd'hui et qui tient cependant une place importante dans l'histoire de la Basse-Cochinchine. Il s'agit de la révolte de Khôi, ainsi appelée du nom de son principal chef. En 1832, l'ordre régnait sur tous les points de l'empire: le fils de Gia-Long avait su, de sa main de fer, briser toutes les résistances, et le peuple d'Annam, maintenu désormais dans l'obéissance, vivait en paix, - paix frémissante et basée plutôt sur la crainte de l'impitoyable empereur que sur un véritable apaisement des passions.

La Basse-Cochinchine (actuellement Cochinchine française) était alors gouvernée par un vice-roi du nom de Lê-van Duyêt, dont l'autorité s'étendait sur les territoires tombés définitivement en notre possession depuis 1867. C'était un vétéran, le héros des guerres civiles de la fin du XVIe siècle, le vainqueur des Tây-So'n. Originaire de la province de Mytho, il avait été, dès sa jeunesse, attaché au service de la famille royale et plus spécialement au prince NguyênAnh, l'avait suivi partout, et devait devenir l'un des principaux généraux de son armée. Depuis ce moment et jusqu'au jour de l'entière pacification, on vit Duyêt toujours à l'avant-garde; habile, actif, résolu et fidèle, il savait entraîner les populations dans son parti et donnait aux soldats l'exemple d'une valeur éclatante. Ainsi, c'est lui qui força, en 1801, l'entrée du port de Qui-Nho'n après un combat qui dura de six heures du matin à midi, et pendant lequel, selon l'expression d'un auteur indigène, « les détonations des canons des Tây-So'n fireut trembler la terre, et les boulets tombèrent serrés comme les gouttes de pluie ». Trois fois, le prince désespérant du succès lui envoya l'ordre de battre en retraite; il refusa de reculer, et à trois heures il pénétrait dans la rade, incendiait la flotte rebelle et obligeait l'armée à prendre la fuite. La même année, il reprenait la citadelle de Hué, puis concourait à l'occupation du Tonkin. C'est là que Nguyên-Anh l'élevait à la dignité de maréchal de l'aile gauche (Ta-quân).

1. Dans l'histoire intitulée Dai Nam thiết luc.

En 1813, il est nommé vice-roi, à Saigon. Chargé de rétablir sur son trône le roi du Cambodge fuyant devant une invasion siamoise, le maréchal Duyêt osa se rendre au camp siamois, alors à La-Bit, sur le fleuve Cô-Khiên, accompagné d'une escorte de treize personnes seulement. Les généraux siamois cédèrent à ses réclamations et lui rendirent les plus grands honneurs; il les obligea à restituer les territoires et les biens dont ils s'étaient emparés, releva les fortifications de Pnom-penh et rétablit le roi du Cambodge dans sa capitale, sous la protection d'un corps de 1,500 soldats annamites.

Les qualités d'administrateur et les vertus privées de cet illustre eunuque, bien plus encore que ses talents militaires et la faveur impériale, lui assurèrent l'obéissance des populations, heureuses de voir bientôt la paix et la prospérité succéder aux désordres et à la misère. Investi de pouvoirs quasi royaux, il n'en usa jamais que pour le bonheur du peuple; sa justice, son intelligence, la droiture de son caractère lui avaient acquis le respect de tous et l'attachement des honnêtes gens, autant qu'il était redouté des mauvais sujets. Chose digne de remarque: sa réputation a traversé, intacte, les calomnies et les vengeances posthumes qui lui furent infligées par Minh-Mang; elle subsiste encore telle, aujourd'hui, malgré la légèreté et l'inconséquence du caractère annamite. Mais on est frappé, lorsqu'on lit le Gia-Dink thung chi1, du silence systématique que garde cet ouvrage, si remarquable à beaucoup d'égards, sur le compte de cette grande personnalité, ainsi que sur Pigneaux de Béhaine et les officiers français. Le nom de Duyêt n'y est prononcé qu'à l'occasion des démêlés au Cambodge.

Après l'avènement du fils de Gia-Long, le maréchal Duyêt, menacé jusque dans sa vie par des ennemis devenus puissants auprès du nouveau souverain, s'empressa d rentrer au milieu des populations de la Basse-Cochinchine, sur lesquelles son influence était si grande qu'il eût pu aisément les soulever contre Minh-Mang. A partir de ce moment, tout lien de confiance fut rompu, toute entente cessa entre l'héroïque vieillard et le jeune empereur à l'humeur « farouche et haineuse »; mais le sentiment patriotique, l'attachement quasi religieux à la mémoire de ses anciens rois, et surtout l'horreur de la guerre civile empêchèrent, seuls, le maréchal de refuser à MinhMang des droits de souveraineté qu'il eût pu reporter sur le fils du prince Canh. Cependant, il affecta de n'accepter et de ne promulguer les édits impériaux qu'autant qu'il les jugea raisonnables et justes.

1. Histoire et description de la Basse-Cochinchine, par le mandarin Tràn hôi Duc, écrite sous le règne de Minh-Mang.

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