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4o Enfin le projet ne prévoit le partage des bénéfices que dans le cas où il sera accordé une garantie d'exploitation, parce qu'alors le concessionnaire aura déjà été astreint à la vérification de ses dépenses d'exploitation, et qu'il ne sera pas nécessaire d'avoir recours au for

fait.

Telles sont les principales dispositions du nouveau projet de loi. Quelles en seront les conséquences s'il est voté? Le législateur, on l'a vu, est parti de ce principe que les lignes d'intérêt local devraient être créées et établies par des capitaux locaux. Il a toujours refusé de reconnaître à leur exploitation un caractère commercial. Contre son attente, des sociétés fortement constituées se sont développées sous l'empire de la loi de 1880. Elles ont pu réaliser des bénéfices en empruntant à bon marché, servir des dividendes rémunérateurs à leurs actionnaires. On n'a vu qu'une chose, c'est que l'État payait luimême ce dividende, et on s'est inquiété uniquement de ne pas accroitre le budget des dépenses. A cela les compagnies répondent que la construction et l'exploitation d'une ligne de chemin de fer sont d'intérêt public, que toute nouvelle voie ferrée profite autant, sinon plus, à l'ensemble du pays qu'aux localités desservies et qu'il est juste que les contribuables payent l'avantage qu'ils en retirent. Là encore se cache parfois une question électorale, et le député ou le conseiller général qui a voté l'établissements de la ligne, pour satisfaire aux réclamations de ses électeurs, ne veut plus, par crainte de leurs protestations, voter le centime extraordinaire destiné à couvrir les frais et à payer les subventions.

Il est un point presque certain, c'est que le projet de M. Jonnart, s'il est ratifié par les chambres, arrêtera complètement le développement actuel des compagnies existantes. L'art. 3, relatif à la proportion du capital-actions par rapport au capital-obligations, les empêchera de demander la concession de nouvelles lignes, puisqu'elles ne pourraient les construire qu'en augmentant leur capital-actions'. Le but du législateur sera ainsi, il est vrai, atteint on en viendra peut-être à n'avoir que de petits tronçons de lignes, appartenant tous à des sociétés différentes. Encore pour cela faudra-t-il que l'on trouve des capitaux considérables acceptant de se lancer dans des entreprises où, pendant des années, ils ne pourront être rémunérés. C'est là une

1. Voici en effet la situation des deux principales compagnies. Société générale des chemins de fer économiques.......

Compagnies des chemins de fer départementaux...

.....

Capital-actions versé......
§ Capital-obligations réalisé..
Capital-actions versé.....
Capital-obligations réalisé..

On est loin du rapport de 1: 2 fixé par le projet de loi.

6,250,000 fr. 57,220,000 fr.

15,000,000 fr.

39,000,000 fr.

hypothèse plus que douteuse. L'intérêt privé l'emporte en général sur l'intérêt public. Chacun fait travailler de son mieux ses capitaux et cherche à leur faire produire le plus possible. Il est done fort probable que personne ne viendra apporter son argent pour aider à la construction de lignes de chemins de fer, quand on saura que pendant de longues années le produit suffira à peine à couvrir les frais d'exploitation. La vie humaine est de trop courte durée pour qu'un particulier puisse et veuille, pendant le tiers ou la moitié de son existence, immobiliser ses capitaux et n'avoir comme compensation que la satisfaction morale d'avoir rendu un service à son pays et l'espoir plus ou moins certain d'un bénéfice futur à réaliser dans un avenir plus ou moins lointain.

Sans s'arrêter à toutes ces considérations matérielles, tout le monde est cependant d'avis que notre réseau de chemins de fer n'est pas achevé et que nous sommes en retard sur nos voisins. L'État a déjà fait des sacrifices considérables pour favoriser l'établissement et l'exploitation des lignes d'intérêt général. Il supporte encore de lourdes charges, et les crédits ouverts au budget pour la garantie d'intérêt augmentent chaque année. Il y a lieu de se demander si les dépenses n'ont pas été excessives. Il semble en effet que parmi les lignes du troisième réseau, comprises dans le plan Freycinet et classées comme étant d'intérêt général, il s'en trouve qui eussent pu faire partie du réseau d'intérêt local, être construites et exploitées sur des bases moins luxueuses et plus économiques. D'autre part, on a vu que les lignes d'intérêt local ont parfois atteint des prix de revient kilométriques trop élevés, qui pourraient peut-être à l'avenir, à l'aide d'un contrôle rigoureux des dépenses et des travaux, être abaissés dans une certaine mesure. La question mériterait sous ce point de vue d'être étudiée d'une manière détaillée et approfondie.

Quoi qu'il en soit, le rapport de M. Cochery exprime le vœu que notre réseau de voies ferrées, dont la longueur est d'environ 37,000 kilomètres, soit le plus rapidement possible augmenté de près de 10,000 kilomètres parmi lesquels on compte 1,200 kilomètres d'intérêt local. Il est à craindre que, s'il est voté par le parlement dans les circonstances actuelles, en présence d'un mouvement d'opinion hostile aux libéralités de la loi de 1880, le nouveau projet, tout en remédiant à un mal n'en fasse naître un autre, celui d'arrêter le développement de notre réseau d'intérêt local, et qu'on ne se croie obligé de modifier encore une fois l'œuvre législative accomplie pour revenir peut-être, comme cela s'est vu trop souvent, à l'un des régimes antérieurs.

G. BAUGNIES.

L'ÉVOLUTION INDUSTRIELLE DE L'INDE.

CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DU DÉVELOPPEMENT DE LA GRANDE INDUSTRIE DANS L'EXTRÊME ORIENT.

(Suite et fin 1.)

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TROISIÈME PARTIE.

LES CONSÉQUENces.

Une évolution de la nature de celle que nous venons d'étudier dans ses manifestations et dans ses causes ne va pas sans de nombreux effets de portée et d'ordre divers. Ce travail serait incomplet si nous ne nous efforcions de les marquer en terminant. Quelle influence l'introduction du système industriel moderne a-t-elle eue en fait sur l'organisation antérieure de l'industrie? Cette organisation subsiste-t-elle, même dans les métiers où l'application des procédés nouveaux a été le plus complète? et, si elle subsiste, dans quelles conditions fonctionnet-elle et quelles sont ses chances de durée? Quelles ont été les conséquences sociales de la transformation économique qui s'est opérée? Telles sont les principales questions que nous voudrions passer en revue. Si nous sommes ainsi amenés à quelques répétitions, nous aurons au moins l'occasion de préciser d'une façon plus complète, en nous gardant autant que possible de toute exagération, dans un sens comme dans l'autre, les limites actuelles et la portée possible de la concurrence que l'Inde peut faire à l'industrie européenne.

I

Il nous paraît utile tout d'abord de marquer à grands traits les caractères de l'organisation particulière du travail à laquelle le sys

1. Voir les Annales des 15 juillet et 15 septembre 1894.

tème manufacturier moderne tend à se substituer, mais qui subsiste encore, comme nous l'avons fait pressentir1 et comme nous l'indiquerons d'une façon plus précise tout à l'heure, dans la plupart des industries. Cette organisation primitive varie d'ailleurs suivant des différences à la fois ethnographiques, religieuses, et techniques.

Notons, par exemple, sans autrement y insister, que, chez les tribus aborigènes 2, dont les représentants plus ou moins purs ne forment d'ailleurs que 8 p. 0/0 environ de la population totale de l'Inde, ce sont les femmes qui se livrent exclusivement au tissage, la plus importante des petites industries. Mais dans la grande masse hindoue, de beaucoup la plus nombreuse, ces mêmes industries textiles, et d'une façon générale les autres industries importantes, comme la poterie et la métallurgie, sont exercées par des castes spéciales de tisseurs, de potiers, de forgerons, etc. Chacune jouait et joue encore son rôle dans ces communautés de village (village communities) que Sumner Maine a fait connaître aux sociologues occidentaux et dont on a d'ailleurs exagéré quelque peu l'importance. Quelques-unes de ces castes, celle des corroyeurs par exemple, et surtout celle des égoutiers (scavengers) et celle si curieuse des village menials (domestiques du village : crieur public, veilleur de nuit, etc.) se recrutent parmi les aborigènes plus ou moins croisés de sang aryen. Presque tous ces petits métiers sont rémunérés en nature, par des distributions de petites parcelles de terre ou simplement de grains.

Dans les villes, cette organisation en castes est renforcée par des <«< unions de métiers » (trade-guilds) qui fonctionnent parallèlement ou se confondent avec elle, et qui rappellent tout à fait les corporations du moyen âge. Nous trouvons par exemple à leur tête des officiers

1. Voir 1r partie, Annales du 15 juillet 1894, p. 462 et passim.

2. Sir William Hunter, dans son Indian Empire (2o édit.), cite les chiffres suivants d'après le recensement de 1871:

Population totale de l'Inde: 240,931,000.

non aryenne:

Il y a trois grands groupes non aryens:

1° Les Thibeto-Birmans dans le Nord;

17,708,000.

2o Les Kolariens sur les frontières nord et nord-est du grand plateau triangulaire qui occupe la moitié méridionale de la péninsule;

3o Les Dravidiens dans le sud de ce même plateau.

Le recensement de 1891 n'estime le chiffre de la population non aryenne qu'à 14 millions 1/3 pour l'Inde entière sur une population totale de 282,459,000, mais c'est une simple approximation comme le premier chiffre d'ailleurs.

3. Il résulte en effet du très intéressant Statement of progress and condition of India pour les dix années 1881-82-1891-92, publié en 1893, que les villages communities telles que les a décrites Sumner Maine fonctionnent presque exclusivement dans le nord de l'Inde. Leur constitution varie en tous cas énormément d'une région à l'autre. Il ne faut pas oublier d'ailleurs que, comme nous l'indiquerons tout à l'heure, la dispersion de la population dans l'Inde est extrême.

héréditaires, mahajans (grands messieurs) qui correspondent aux << maîtres », et dont le rôle politique, comme celui du « Nagar Seth >> (seigneur de la ville) d'Ahmedabad, était souvent considérable 1.

La même minutie de réglementation les distingue. Les heures de travail, les salaires, les jours de chômage, etc., sont fixés dans les statuts. Cette organisation qui correspond à des conditions religieuses, sociales, économiques, et, pour tout dire en un mot, à un « milieu » spécial, offre des exemples curieux de solidarité morale. « L'objet de toutes ces règles, dit Birdwood, est d'égaliser davantage les chances entre les faibles et les pauvres et ceux que la nature avait mieux doués en vue de la lutte pour la vie. » Certains articles des statuts des corporations de marchands de Surate dont on retrouverait sans doute l'équivalent dans le « Livre des métiers » - ordonne par exemple aux marchands des quartiers riches de la ville de fermer boutique à certaines époques, afin d'assurer une clientèle plus importante aux marchands des quartiers moins bien situés. Ces unions de métiers constituaient aussi, et constituent encore, des sortes de sociétés de secours mutuels pour les cas de maladie, pour l'instruction des apprentis, etc. - Elles se procurent les fonds nécessaires au moyen de taxes et, en cas de contravention aux règlements. d'amendes imposées à leurs membres. Leur fonctionnement, parallèle à celui des castes industrielles proprement dites, ou se confondant avec lui, est restreint, avons-nous remarqué, aux villes c'est-à-dire aux industries de la soie (qui, à l'inverse du tissage du coton et du jute, sont une industrie urbaine), aux industries métallurgiques, et aux industries artistiques proprement dites. Examinons maintenant d'une façon plus précise dans quelle mesure subsiste cette organisation spéciale, au point de vue des procédés de fabrication et du régime du travail, en commençant par les industries urbaines.

II

Nous avons signalé, dans la première partie, le rôle encore très effacé de la grande métallurgie dans l'évolution moderne de l'Inde. En revanche plusieurs villes, surtout dans le Nord, ont conservé la spécialité indigène des armes et des armures damasquinées, bien que la demande ait beaucoup diminué depuis la disparition des petites principautés indépendantes et des guerres incessantes qu'elles se faisaient.

1. Birdwood, Industrial Arts, p. 137 et suiv. Nous devons aussi beaucoup à Hunter pour cette esquisse.

2. Hunter, Imperial India, passim.

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